Mon "scrapbook", tout simplement

2011 Nevado de Cachi

Texte de Jean-François Bouchard

Mario et moi avons eu le plaisir, en novembre 2008, de faire une bonne partie de l’ascension d’une d’un des nombreux sommets andins qui se prête facilement à la randonnée d’altitude, le Nevado de Cachi, dans la province argentine de Salta. On peut lire la relation de cette excursion ailleurs dans le présent site, à l’adresse suivante: http://jjffbb.com/?page_id=180 .

Cette montagne n’est (malgré ses 6380 mètres d’altitude) que le 21ième des sommets argentins. C’est donc dire que 20 autres sommets se partagent les 582 mètres qui le séparent du premier sommet, l’Aconcagua (6962 mètres).

En 2008, nous avions une organisation très légère pour cette ascension : nous n’étions que les deux, nous portions tout notre bagage (plus de 20 kilos cha­cun), nous n’avions pas de guide. Conscients du danger que représente l’altitude, et de la fragilité d’une équipe de seulement deux personnes, nous avions convenu de rebrousser chemin dans l’éventualité où l’un des deux se sentirait le moindrement indisposé.

Or, au bout de 4 jours de montée tranquille (environ 5 kilomètres de dis­tance et 500 mètres d’ascension quotidiennes), Mario ne se sentait plus bien. Nous étions autour de la cote des 5100 mètres, relativement à portée du sommet, à une longue journée de marche. Nous ne sentions pas la nécessité de rebrousser chemin à l’instant. Nous avons alors déci­dé de passer la nuit où nous nous trouvions et avons commencé la des­cente le lendemain matin. Une journée et quelques heures de descente et nous étions de retour au village de Cachi, satisfaits de l’expérience … et un peu fourbus.

Toutefois, un an plus tard, Mario revient avec l’idée de reprendre cette même as­cension, en nous donnant cette fois de meilleures chances de réussir le défi que représente une aussi grande altitude. Nous engagerions un guide. Nous ferions porter les bagages. Nous recruterions un plus grand groupe de randonneurs. Les conditions pour augmenter notre chance de parvenir au sommet seraient ainsi réunies.

Le voyage de 2011 est donc né de ce nouveau défi.

Mario et moi avons alors passé plusieurs heures à discuter de ce projet. Pendant l’une de nos mythiques randonnées hebdomadaires, ou pendant l’un de nos non moins remarquables soupers.

Constitution de l’équipe

Il nous paraissait qu’un groupe de six personnes représenterait un excellent équi­libre entre la “solitude” de deux personnes et la “multitude” d’un groupe plus grand.

Mario et moi connaissions Michel Fluet et Danielle Caron, pour avoir effectué avec eux de nombreuses sorties de ski hors-piste, dans la réserve des Laurentides ou dans les Chic-Chocs. Nous les savions bons randonneurs. Nous leur connaissions beau­coup d’expérience. Nous avions déjà apprécié leur optimisme et leur réalisme. Ils nous paraissaient être de bons compagnons pour ce défi. Le hasard nous avait fait les rencontrer au Mont-Albert à la fin du mois d’août 2009, alors que Mario et moi complétions une traversée pédestre des Chic-Chocs. Nous avons immédiatement partagé avec eux l’idée de ce projet. Nous nous sommes réunis une première fois chez Michel et Danielle en avril 2010 pour élaborer un premier plan.

Il manquait encore deux personnes au groupe. Michel et Danielle nous ont tout de suite proposé les noms d’André Caron, le frère de Danielle, et de Jean Grand’Mai­son, un ami de longue date et compagnon fréquent de leurs randonnées, qui se sont avérés tous deux intéressés. Le groupe était complet.

Nous nous sommes revus en novembre 2010 chez Monique et Mario à Deschaillons-sur-Saint-Laurent (ouf!) pour une journée de dis­cussion et de planification des étapes à suivre.

À l’issue de cette rencontre, nous avons confirmé notre intérêt à gravir le Nevado de Cachi. Nous avons convenu que la mi-octobre comme étant le moment le plus propice, entre les froids de l’hiver (juillet-août) et les pluies de l’été (décembre-février). Nous avons convenu que nous ne pourrions compter sur des mulets pour le transport des bagages puisque l’un de nous se savait allergique à ces animaux. Nous étions alors prêts à entamer la recherche d’un guide.

Hormis Mario et moi, les quatre autres membres du groupe avaient peu d’expé­rience de la haute montagne et de l’altitude. Ce fut (très naturellement, d’ailleurs) une source d’inquiétude.

Engagement d’un guide

Il nous fallait un guide qui disposait d’une expérience du Nevado de Cachi, un guide qui connaissait bien la montagne, et qui pourrait se charger de nous procu­rer le moyen de porter les bagages. En fait, nous ne recherchions pas tant un guide qu’une agence, capable d’une va­riété de services.

C’est ainsi que nous avons commencé le processus de recrutement d’une agence, qui s’est avéré plutôt lourd. Nous avions défini nos critères : au moins deux guide, le portage des bagages, un rythme de montée plus lent pour tenir compte de notre inexpérience collective et de notre incertitude en rapport avec l’adapta­tion à l’altitude, etc.

Nous avons alors rédigé un document qui était en fait un appel d’offre détaillé. Nous l’avons proposé à quatre agences de Salta et à une agence française. Toutes nous ont transmis une proposition. Celles-ci étaient très di­verses, et les prix proposés très variables. Ça aurait pu être un choix difficile. Le fait que seule Puma Expeditions répondait à notre exigence du portage humain des bagages a facilité notre choix.

 

Vers l’Argentine

Nevado de Cachi est bien loin de Québec. Il faut compter environ 24 heures d’avion pour atteindre Buenos Aires, un autre 20 heures de bus pour arriver à Salta, la grande ville du Noroeste argentin et un autre 4 heures de route pour le village de Cachi, lui-même à une quinzaine de kilomètres du début de l’excursion.

Le voyage commence donc par une enchaînement de vols (sur Air Canada) via Toronto et Santiago du Chili pour atteindre Buenos Aires au bout d’un peu moins de 24 heures. Dans notre cas, il a même fallu ajouter une correspondance, exception­nelle il est vrai, à Montréal.

Nous nous retrouvons tous les six à l’aéroport de Québec, les visages heureux de nous engager dans ce beau défi que nous préparons avec soin depuis près de 18 mois. Ceux parmi nous qui ne sont pas à la retraite sont certes un peu fatigués des efforts qu’il a fallu déployer avant de partir pour ce mois de vacances, mais les perspectives sont ré­jouissantes !

Nous avons eu certaines difficultés à nous procurer les billets d’avion pour ce voyage. Notre demande était certes un peu complexe: nous partions en deux groupes, les six “montagnards” et les trois compagnes, pour revenir en quatre groupes distincts. La combinaison de ces horaires s’est néanmoins bien effectuée. Mais, pour le premier départ (celui du 14 octobre) le vol Québec-Toronto néces­saire à la correspondance semblait (de manière tout à fait inexplicable) retiré de l’horaire. Après de multiples vérifications, il nous a fallu remplacer ce vol par une paire de vols transitant par Montréal.

Lors de notre dernière réunion de planification, en septembre, nous avons en outre découvert que, pour le vol Québec-Montréal, nous voyagions en deux sous-groupes, réservés sur des vols à 30 minutes d’intervalle. À l’aéroport, toutefois, une agente bien avisée d’Air Canada a rectifié la situation et nous nous sommes retrouvés ensemble sur le même vol. C’est quand même plus agréable !

La substantielle escale de Toronto est l’occasion d’un léger repas très convivial, pendant lequel chacun partage ses espoirs et ses inquiétudes, surtout face à l’adaptation à l’altitude.

Le long vol nocturne vers Santiago du Chili (d’une durée de plus de 11 heures, avec une seule heure de décalage) nous permet de dormir et de reposer, malgré la densité de la dis­position des sièges. Après la courte escale, il ne reste plus qu’un vol de 2 heures pour atteindre Buenos Aires, en début d’après midi de ce samedi 15 oc­tobre.

L’arrivée à Buenos Aires

Les formalités (dont le paiement de la taxe dite “de réciprocité”, réservée aux seuls Canadiens) sont vite terminées et nous prenons sitôt deux taxis (des remis en fait) vers la grande gare des bus de Retiro. Nous ne faisons que traverser Buenos Aires. Même si ce n’est encore que le printemps, il fait bien chaud, à se croire au meilleur de l’été québécois !

Une fois à Buenos Aires, il y a encore 1800 kilomètres de route à faire pour at­teindre Salta, soit 19 heures de bus. Heureusement, le confort des bus argentins est légendaire. Nous nous sommes permis de choisir un service de la classe la plus confortable (la classe Suite), où les sièges sont plus larges (trois de front plutôt que quatre), plus confortables et se transforment en couchettes intégrales (à 180 de­grés). Un steward accompagne les voyageurs et sert des repas aux heures nor­males argentines.

Les billets, que nous avions acheté par Internet un mois plus tôt, nous per­mettent l’accès à l’humble salle VIP, où nous bénéficions d’un confort nettement plus grand que les autres usagers de la gare. Il ne nous reste plus qu’à attendre le départ de notre bus ultra-confortable.

Le voyage, en grande partie de nuit dans la pampa uniforme, est ponctué de films et de repas quelconques servis par une jeune hôtesse perchée tout le long du tra­jet sur d’improbables talons hauts. Une merienda (collation) peu après le départ (18h30), une cena vers 21h00,.un desayuno (déjeuner) avant de passer à Tu­cumán le lendemain matin (vers 09h00) et un almuerzo (dîner) avant d’arriver à Salta. Les menus sont assez sommaires, et tout est trop sucré, mais ça évite les arrêts. Le repas du soir est accompagné d’un vin rouge honnête, et suivi d’énormes verres d’un whisky local bien correct, qui nous portent facilement dans les bras de Morphée !

Le confort du bus charme tous les membres du groupe. En fait, il n’existe ni en Amérique ni en Europe rien qui puisse égaler le confort de ces bus , en par­ticulier celui des services de classe supérieure. Il s’avère que les membres du groupe peuvent profiter des heures (et de la nuit) de ce long parcours pour se re­poser de la fatigue du long vol de la nuit précédente. Chacun arrive à Salta les vêtements plutôt fanés, mais le corps essentiellement reposé.

L’arrivée à Salta

Nous sommes accueillis à la gare des bus de Sal­ta et tout de suite transportés à l’Hostel Las Rejas, notre base à Salta. C’est Jean-François, qui le fréquente lors de tous ses voyages dans la région, qui a choisi ce petit hôtel familial situé à deux coins de rue de la place principale et de la cathédrale. Les propriétaires, Pilar et Ignacio Castellanos nous accueillent chaleureusement.

Un message téléphonique nous attend à la réception, de la part de notre guide, Nicolás Olaciregui, le propriétaire de l’agence Puma Expeditions que nous avons engagée pour nous aider dans cette ascension. Il nous convie à une rencontre de prise de contact à l’hôtel à 17 heures. Il reste à chacun juste le temps d’effacer les outrages des 48 heures de trans­port qui nous ont mené à Salta.

Rencontre avec Nicolás

Cette rencontre, qui s’effectue dans la salle à déjeuner de l’hostel, nous permet enfin de rencontrer ce Nicolás, que nous ne connaissons que par les nombreux courriels échangés depuis maintenant un an. C’est un jeune homme, d’environ 35 ans, un “maniaque” de sport et de plein-air sous toutes ses formes, un autodi­dacte qui se débrouille très bien en anglais et en français, un chef de groupe ex­périmenté qui n’hésite pas à affirmer son autorité dès le départ.

Conditions climatiques

Nicolás revient tout juste (il y a quelques heures à peine) de Cachi où il a guidé un groupe d’une douzaine de clients dans une ascension du Nevado de Cachi. Le groupe a rencontré des conditions climatiques anormales et particulièrement diffi­ciles. C’est ainsi que personne n’a réussi à atteindre le sommet. Un certain nombre des marcheurs ont même dû rebrousser chemin à diverses étapes.

Nicolás nous fait d’abord rapport sur les difficultés rencontrées. L’expédition a été marquée par des températures absolument non-saisonnières, beau­coup plus basses que celle qu’on peut attendre. Il en résulte la présence de plaques de glace exceptionnelles, sur les pentes supérieures; l’usage de crampons (que nous n’avons pas) serait réconfortant, mais ces plaques de glace peuvent en général être contournées. De manière plus inquiétante, le groupe a rencontré des vents très forts, qui ont détruit plusieurs des tentes, y compris la tente-cuisine sur la­quelle notre groupe aurait pu compter.

Le portage

Nicolás nous apprend également que, malgré ses efforts, il n’a pu recruter les trois porteurs prévus à notre contrat et sur lesquels nous comptons. Il semble n’exister aucun volontaire pour ce type de tra­vail dans la région de Cachi, ou même ailleurs. L’Argentine n’est certainement pas le Népal ! Nicolás a toutefois déjà résolu ce problème en recrutant, pour l’expédition précédente et pour la nôtre, des guides capables de porter de bonnes charges. En fait, plutôt que de compter sur 2 guides et 3 porteurs, notre groupe disposera de six guides-porteurs (incluant Nicolás). De plus, en profitant des journées d’acclimatation prévues au programme, des guides pourront positionner des charges aux camps suivants.

L’altitude

Nicolás attire l’attention sur les difficultés inhérentes à l’altitude ainsi que sur les défis particuliers de Nevado de Cachi. Il nous rappelle qu’aucun risque inutile ne doit être pris. À cette fin, son rôle de chef d’expédition sera de s’assurer qu’aucun de nous ne courre de risques, et qu’aucun ne fasse courir de risques au groupe.

Une préoccupation

Nicolás aborde ensuite une question fort délicate qu’il n’a pas osé toucher aupara­vant par courriel. Quelques semaines plus tôt, il nous avait déjà avisés que la responsabilité de notre expédition serait légalement assurée par une agence du nom de Adventure & Landscape, par l’entremise de sa propriétaire Ana Inès Figueroa Alexander, mais qu’en réalité rien du tout ne serait changé aux termes de notre contrat avec Puma Expeditions. Le message nous paraissait bizarre. Nous avions éprouvé un certain malaise, qui n’avait pas persisté en raison du ton direct du message et de l’absence de conséquences pratiques. C’est de cette annonce que Nicolás voulait nous parler.

En juillet der­nier, deux touristes françaises ont été retrouvées assassinées dans les limites de la réserve privée de San Lorenzo, en banlieue de Salta. Ce meurtre a évidemment eu un grand retentissement en France comme à Salta, où on voyait un impact négatif possible sur la lucrative activité touristique de la province.

Ce crime survenait en plein durant la campagne électorale menant aux élec­tions nationales (et provinciales) à venir dans quelques jours, le 23 oc­tobre. Toute la classe politique de la province de Salta, en particulier le ministre du Tourisme, avait senti le besoin de prouver aux électeurs que la situation demeurait sous contrôle.

Or, la réserve de San Lorenzo était gérée au nom de son propriétaire (la Finca Los Maitines) par Nicolás et son associé dans Puma Expeditions. Même si cette gestion se faisait à titre personnel, l’agence se trouvait tout de même indirectement affectée. Ajoutons à cela un autre fait d’importance qui ne peut qu’avoir amplifié la réaction politique (mais que Nicolás a négligé lors de la réunion de mentionner) : un des deux inculpés était un guide ayant travaillé pour Puma Expeditions. Il n’est pas inutile d’ajouter que, avant que la concession de la réserve soit accordée à Puma Expedition, elle l’avait été à une agence de tourisme de San Lorenzo propriété d’Horacio Cornejo, alors Ministre du Tourisme de la province et membre de la “grande noblesse” de Salta. Ça fait beaucoup d’ingrédients explosifs !

Il était donc commode pour les politiciens locaux de démontrer leur contrôle des événements en attirant l’attention sur Puma Expeditions. Ils l’ont fait en obligeant l’agence à suspendre ses activités pour une période indéterminée. Dans les faits, l’agence Puma Expeditions se trouve forcée pour des motifs poli­tiques à réduire sa visibilité et à cesser temporairement ses activités. Le rappro­chement avec l’agence Adventure & Land­scape s’explique d’autant mieux.

Nous terminons la réunion en signant les documents habituels : décharge de responsabilité, questionnaire médical. S’ajoutent également des documents destinés à alimenter une fiction destinée à protéger l’agence Puma Expeditions, à savoir que nous effectuons cette expédition comme un groupe de bons vieux amis qui partagent une activité sportive, et non pas comme six clients encadrés par six guides rémunérés. C’est à ce moment que nous réglons le solde du coût de l’expédition, en bons billets de dollars américains, comme il se doit dans ce pays qui n’a pas plus de raisons de faire confiance à ses banquiers qu’à sa monnaie nationale ou à ses politiciens.

Première soirée

Puisque nous sommes en Argentine, il faut nous mettre à l’horaire des repas argentins. Le souper n’est jamais avant 20h30; et les Argentins eux-mêmes ne répugnent pas à arriver au restaurant juste avant minuit, même avec des enfants. Nous sommes plus “sages” en vi­sant 21h00.

Nicolás nous suggère de manger à la Casona del Moli­no, une peña, c’est-à-dire un restaurant qui accueille des amateurs de musique folk­lorique qui s’y réunissent pour faire l’équivalent d’un jam session avec guitares et tambours. Le concept de la peña est bien typique du Noroeste argentin, et les plats qu’on y sert aussi. Lorsque nous arrivons à la vieille maison de l’époque coloniale qu’occupe la Casona del Molino, Nicolás est déjà là. Ana nous rejoint un peu plus tard.

Le menu est alléchant. Il y a autant des plats typiques de la région, que des viandes comme seuls les Argentins peuvent les préparer. Nous nous sommes installés dans la cour, sous les arbres, juste à côté de la pa­rilla, ce grand grill où le chef parillador prépare ses braises et cuit doucement les multiples coupes de viandes et les abats variés. André rend tout le monde jaloux avec une énorme pièces de bife de chorizo. La soirée est assez chaude pour que nous nous y sentions aussi à l’aise qu’à l’intérieur.

Toutefois, vers 22h30, des musiciens arrivent et s’installent dans une des salles. La peña commence ! Avec la guitare et le tambour les voix s’animent, les chanteurs se répondent. Nous commandons de grands pichets de vin et les discussions s’animent, entre nous, mais aussi avec Ana et Nicolás. Cette soirée nous procure une belle introduction à l’Argentine,

Lundi 17 octobre      Départ pour Cachi

Le village de Cachi, la base de notre ascension, est encore à plus de 3 heures de route de Salta. C’est ce matin que commence notre voyage avec Puma Expe­ditions, qui a organisé notre transport. Nous partons en mi­lieu de matinée. De Salta, nous nous engageons dans la vallée de Lerma, cette plaine réputée pour son tabac, puis nous nous engageons dans la val­lée d’Escoipe. De là, commence l’ascension de la Cuesta del Obispo (la “Côte de l’Évêque”), une longue montée très jolie qui nous mène graduellement vers l’en­trée du parc na­tional de Los Cardones, à 3500 mètres. Les caméras s’activent.

C’est notre premier contact avec les plateaux d’altitude. Au bout de quelques mi­nutes, nous entreprenons une descente régulière vers le Valle Calchaquí, à envi­ron 2500 mètres, où se trouve le village de Cachi. La route passe par une longue ligne droite aux al­lures de piste d’atterrissage pour OVNI sur une plaine en douce pente, la Recta de Tín-Tín. À cet endroit, le chauffeur es­saie de nous démontrer la soit-disant puissance des ondes locales, en mettant à l’épreuve son télé­phone portable, mais il ne convainc personne.

Au passage à Payogasta, premier village de la vallée, juste 15 kilomètres avant Cachi, le conducteur nous offre de prendre le repas du midi à la Sala de Payogasta, une ancienne ferme coloniale transformée en un joli ensemble touris­tique. Nous comprenons qu’il avait déjà réservé pour nous (à tout hasard, dirons nous…) mais la proposition est intéres­sante. En fait, nous faisons un excellent repas “ty­pique”, sous l’auvent, servi avec simplicité et efficacité.

Arrivant à Cachi, nous nous installons à l’Hostal Llaqta Mawk’a, où Nicolás a ses habitudes. Le reste de la journée est consacré à la découverte de ce beau village, au centre bien aménagé. Certains partent vers les collines avoisinantes, les champs, les ruines, le cimetière et la piste d’atterrissage qui dominent le paysage. D’autres font le tour des boutiques d’artisa­nat, particulièrement nombreuses. Tous mettent une dernière main à leurs ba­gages de montagne, préparant les sacs à être confiés aux porteurs, les vê­tements et le sac de jour à endosser le lendemain.

La soirée est l’occasion d’un repas au restaurant qu’un ami de Nicolás vient d’ou­vrir il y a seulement quelques semaines. Nous y rencontrons pour la première fois, le guide en second, Juancho, qui est venu de Salta avec Nicolás.

Mardi 18 octobre      Vers le camp de base

Le Nevado de Cachi est une montagne d’accès relativement facile, que les ran­donneurs peuvent atteindre sans devoir compter sur des compétences techniques particulières. Ce massif comporte neuf sommets principaux, éche­lonnés entre 5300 et 6380 mètres. Le plus haut sommet est nommé Cumbre del Libertador, en l’honneur de ce héros national “universel” qu’est le Général José de San Martin, “libérateur” et meneur de l’indépendance argentine. Les deux accès utilisés par presque toutes les expéditions sont ceux de Las Pailas et de Las Cuevas, à partir de deux vallées annexes situées une quinzaine de kilomètres à l’ouest du village de Cachi.

Nous avons initialement choisi la route de Las Cuevas, à la fois parce qu’elle est moins accidentée tout en étant aussi exigeante en raison de sa grande longueur, et parce que cette route aurait apporté une certaine diversité à Jean-François et à Mario qui sont passés par Las Pailas en 2008. Mais Nicolás nous a fait la proposition en mai dernier de prendre plutôt la route de Las Pailas, pour profiter de l’organisation logistique d’une autre expédition, juste avant la nôtre, qui allait tenter l’ascension de ce côté. Nous avons accepté cette proposition de Nicolás.

Les vallées supérieures de Cachi, incluant celle de Las Pailas, sont des oasis au sol assez riche, qui contrastent grandement avec la sé­cheresse générale du Valle Calchaquí. D’autres telles oasis existent de distance en distance, profitant des eaux coulant des massifs environnants. La partie supérieure de la vallée de Las Pailas était sous la courte domination des Incas et pendant les millénaires où les Calchaquis habitaient la région, un lieu d’habitation dense et d’agricul­ture active. Les ruines d’occupation, souvent très simples, mais très nombreuses le démontrent bien.

Nous rallions en une quarantaine de minutes les dernières maisons et les derniers champs de Las Pailas, à 2800 mètres, en roulant une quinzaine de kilomètres sur un simple chemin de gravier. De là, nous continuons à travers les ruines incas et à travers l’étrange “forêt” assez lâche de ces grands cactus d’une dizaine de mètres de haut, appelés cardones.

Nous dépassons une petite maison d’éleveurs de chèvres à 3080 mètres, où une petite centaine de chevreaux s’activent dans un corral, attendant leurs mères parties paître pour la journée. De cet endroit, nous poursuivons à pied et Nicolás continue avec la camioneta et avec les bagages. Nous prenons conscience de l’ampleur de cet immense couloir que représente la vallée de Las Pailas, appuyé au bas par un petit massif que nous perdrons à notre vue au fil de la montée, et ouvert vers le haut comme un passage menant à un puissant ensemble de versants et de sommets déclinés dans une vaste palette de couleurs. Tout le monde est enchanté. Pour plusieurs, c’est déjà la plus grande altitude jamais randonnée.

Nous sommes à une petite heure de ce que nous appelons le camp de base, monté dans les ruines d’un ancien village Calchaquí. Le lieu porte le nom de Huayco Hondo et se situe à 3330 mètres d’altitude. Le camp est déjà installé puisque quatre des guides-porteurs y ont passé les dernières journées, à la fin de l’expédition précédente, attendant notre arrivée et le retour de Nicolás et de Juancho de Salta. Nous rencontrons donc à ce moment Armando, Augusto, David et Sebastián, qui vont nous encadrer pour cette randonnée.

Pour la majorité des membres du groupe, l’altitude de ce camp de base repré­sente déjà une étape importante, une altitude jamais atteinte auparavant pour la plupart. L’adaptation à l’altitude représente d’ailleurs le défi le plus grand dans l’esprit de chacun. Elle impose même une certaine crainte. Heureusement, malgré que nous arrivions très tôt (avant le repas du midi) à ce camp de base, il est pré­vu que nous y passerons toute la journée en acclimatation. Ceci permet de limiter les inquiétudes des membres du groupe à propos de l’adaptation à l’altitude.

Notre camp est situé au pied des grandes pentes qui délimitent la vallée au nord. La végétation se compose de bosquets clairsemés de plantes épineuses et basses, et de grands cactus droits et massifs répartis de distance en distance. Le camp est assez proche d’un torrent qui dévale la vallée dans un profond ravin. Cet apport d’humidité crée une mince oasis où poussent quelques arbres. C’est sous leur ombre que nous prenons le repas du midi.

Durant l’après-midi, certains de nous entament, dans une grande boucle à pied, la traver­sée de la large vallée, tout en montant de quelques centaines de mètres. C’est une sortie de presque trois heures, un exercice d’acclimatation assez exigeant, peut-être un peu trop. D’autres choisissent plutôt la paresse et le farniente, à l’ombre du ravin, en lisant, en écoutant le gazouillis du courant, ou en dormant.

Puisque nous sommes en Argentine, la fin de l’après-midi ne signale pas encore la prépa­ration du souper. Même s’il est presque 18 heures et si le soleil est mainte­nant derrière la montagne, c’est plutôt l’heure du maté pour l’équipe des guides-por­teurs, qui nous invitent à partager ce breuvage de l’amitié avec eux. Chacun y va timidement, pour goûter à ce breuvage amer, que les Argentins adorent. Nos opinions sont très partagées.

Le rite du maté se prolonge, et les estomacs québécois crient famine. Il est dé­passé 19 heures quand nous lançons “subtilement” le message du souper. Mes­sage vite reçu ! Mais il faudra attendre encore un peu avant le repas, car le menu prévoit une parillada de chori­zo et de viande, et le feu n’est même pas encore al­lumé ! C’est un branle-bas pour satisfaire ces Québécois qui ont faim si tôt ! D’abord un feu de brindilles et de branches d’épineux, qui a peine à s’établir. Puis un plein sac de charbon de bois. Plus d’une heure après, nous pouvons enfin manger. La parillada est délicieuse.

À la nuit tombée, nous avons la visite d’un renard qui nous observe longuement, sans plus, et que les lampes braquées dans sa direction ne rendent même pas nerveux.

Mercredi 19 octobre      Montée à Piedra Grande (4200 mètres)

Au réveil, le ciel est un couvert. C’est un peu inquiétant, dans cette région ré­putée sèche où les nuages sont rares et les ciels toujours d’un bleu profond.

Pendant le déjeuner (composé seulement d’un breuvage chaud et de ces petits biscuits très sucrés dont les Argentins sont si friands), la météo ne s’améliore pas. Au contraire. On peut maintenant voir une fine neige tomber sur les pentes élevées des sommets les plus proches. La neige se rapproche pendant que nous nous préparons au départ, et la marche du jour commence sous cette fine neige. Tout un événement, semble-t-il. Car, malgré l’altitude, il ne neige pas souvent dans cette vallée.

Le groupe s’ébranle, avec l’objectif d’atteindre le lieu-dit de Piedra Grande, à 4200 mètres. La journée représente donc une montée de l’ordre de 900 mètres.

La neige ne cesse d’augmenter. Au début, le seul polar assure une protection suf­fisante, mais nous sortons vite les manteaux imperméables et les couvre-sacs, car la neige se fait toujours plus forte. Au terme de cette “bordée”, il y a au moins une dizaine de centimètres de neige au sol.

La montée est rude. Elle est d’autant plus rude que la tempête nous prive de la consolation du paysage. La visibilité est très réduite. Nous n’avons même pas le plaisir de constater l’avancée que nous réalisons. Aucune vue devant vers l’objec­tif. Aucune vue derrière sur le petit massif qui bloque la vallée dans le bas.

Nous atteignons Piedra Grande en milieu d’après-midi. L’endroit porte bien son nom car on y trouve une très grosse pierre, grande comme une maison, comme un petit édifice, qu’un glacier disparu a un jour laissé au fond de la vallée. Une gigantesque pierre traversée de quelques grandes fissures qui auront un jour raison de son intégrité. La Piedra Grande marque clairement une étape dans cette approche au Nevado de Cachi. Impossible de ne pas la remarquer. Elle crève les yeux. Depuis Québec, Louise a même pu la distinguer très nettement sur les photos de Google Earth.

Sur la base de l’un de ses côtés, une large plaque de roc s’est détachée, dégageant un surplomb suffisamment grand et protégé pour abriter un petit groupe de randonneurs. Mario et Jean-François ont pu y monter leur petite tente en 2008. Et c’est dans cet abri que nos guides-porteurs établissent leur quartiers pour les deux jours que nous passons à cet endroit.

À notre arrivée, la vallée est couverte d’une dizaine de centimètres de neige, mais les précipita­tions vont bientôt cesser. Pour certains d’entre nous, la montée a été trop rapide, et des symptômes de mal de l’altitude se font sentir. Il aurait mieux valu adopter chacun son rythme de montée que de suivre celui que le guide de tête nous donnait. Les conditions de neige et de vent nous amenaient peut-être aussi à accélérer le pas. Cette expérience un peu inquiétante nous a amené à réclamer de nos guides une allure plus posée pour les étapes suivantes.

Dès le début de la planification de ce voyage, notre groupe a exprimé clairement aux cinq agences que nous avons sollicité le désir d’effectuer une montée lente vers le sommet, dans l’es­poir de maximiser l’acclimatation à l’altitude. Notre chef d’expédition res­pecte bien notre désir en nous obligeant à des étapes d’acclimatation.

Comme il est courant en montagne, Nicolás s’intéresse à l’état physique de chacun. L’appétit, le sommeil, la respiration donnent de précieuses indications sur l’adap­tation des randonneurs à l’altitude. Nicolás accorde en outre une très grande im­portance à ces signes vitaux mesurables que sont la pression sanguine et l’oxymé­trie (la saturation en oxygène). Il nous a prévenu dès le début du voyage que, à titre de chef du groupe, il n’hésiterait pas à ramener à une altitude plus basse ceux d’entre nous dont les signes vitaux présageraient d’une détérioration immi­nente de l’adaptation en continuant la montée.

La mesure oxymétrique des randonneurs devient d’ailleurs rapidement un rituel biquotidien, que chacun craint un peu. Que l’un de nous ne rencontre pas la norme espérée à l’altitude donnée, c’est tout de suite l’appréhension de devoir interrompre l’ascension et retourner au camp de base ou à Cachi.

L’altitude de Piedra Grande n’est que de 4200 mètres, mais c’est suffisant pour que des inconforts apparaissent. Certains d’entre nous dorment déjà mal, ou même presque pas. Tout le monde fait des rêves bizarres. D’autres ont moins d’appétit. Et c’est sans compter la respiration plus difficile, des petites pertes d’équilibre, une oxymétrie en baisse.

Jeudi 20 octobre      Acclimatation à Piedra Grande

La neige d’hier est encore au sol à notre réveil, mais le grand soleil de cette jour­née en fera disparaître toute trace.

Selon l’usage argentin, le petit déjeuner est encore un peu léger (trop léger en fait) mais le message est passé à Nicolás que les Québécois ont habituellement besoin de plus que cela pour soutenir leur effort pendant la matinée. La chose est dûment notée, et les petits déjeuners suivants seront plus substantiels.

Comme nous passerons la prochaine nuit au même camp, la journée est consacrée à la seule acclimatation. Nicolás nous incite à faire de courtes excursions sur les pentes environnantes, mais en faisant attention à ne pas exagérer l’effort déployé. Pour ceux d’entre nous dont la saturation en oxygène est trop basse, il les “assigne à résidence” en leur demandant de limiter leur exercice au seul fond de la vallée, et de demeurer à faible distance du camp.

En matinée, certains entreprennent une montée dans une magnifique vallée secondaire où la marque des guanacos est omniprésente, des pistes, des crottes et aussi des cavités qui font office de “dortoirs” pour les bêtes. La neige met en valeur leurs innombrables sentiers obliques sur les flancs. En après-midi, un autre groupe monte au sommet d’un versant local, où d’autres petites hardes de guanacos peuvent être observées. Autour du camp, on remarque la présence dans tous les pierriers de nombreuses viscachas, ces “lièvres” à longue queue qui semblent voler de pierre en pierre au-devant de nous.

Pendant cette journée, deux paires de guides-porteurs effectuent des aller-re­tours, l’un vers le prochain camp supérieur pour porter des provisions nécessaires à la suite de l’expédition, l’autre vers la camioneta au camp de base pour y laisser du matériel inutile et y prendre des vivres supplément­aires. Les premiers reviennent tout à fait excités d’avoir vu ces paysages de haute altitude couverts d’une quinzaine de centimètres d’une neige rarement vue dans ces parages.

Pendant cette journée nous continuons à manifester notre appétit encore inassouvi à Nicolás. Certainement le signe de notre bon état de santé, mais Nicolás retiendra à la fin de l’expédition que “ces Québécois sont vraiment de bons mangeurs”. Certains d’entre nous continuent de manifester des difficultés d’adaptation à l’alti­tude.

Vendredi 21 octobre      Montée à Isla de Piedra (4700 mètres)

Après cette relâche, le groupe reprend la montée, longeant un torrent animé et admirant les sommets de 6000 mètres qui nous entourent. Nous atteignons Isla de Piedra, un camp dominé par d’énormes plaques de pierre et situé à 4700 mètres. La journée est plutôt courte et facile, ce qui nous laisse beaucoup de temps pour effectuer des sorties d’acclimatation sur les pentes et sommets environnants, et aussi pour lire.

Nicolás nous réunit en fin d’après-midi pour nous parler du sommet et des mesures qu’il faudra adopter pour essayer de l’atteindre. Son objectif est de nous rendre conscients des difficultés qui nous attendent, et peut-être de nous faire peur, de nous faire craindre les problèmes liés à cette journée-clé.

En début de soirée, nous avons la visite d’un autre renard, curieux de notre groupe. Nous nous y intéressons un peu trop peut-être, et il s’esquive bientôt.

L’état d’adaptation des membres du groupe connaît des hauts et des bas. Certaines difficultés persistent.

Samedi 22 octobre      Montée au camp du sommet (5200 mètres)

Ce matin, l’adaptation de Danielle laisse à désirer. Son oxymétrie est toujours trop basse pour envisager poursuivre la montée et surtout affronter la journée du sommet. Elle doit redescendre vers le camp de base et vers Cachi. Michel, dont le sommeil était très perturbé, choisit de l’accompagner. C’est à regret que les deux nous laissent.

Voici d’ailleurs le texte de Michel sur l’altitude.

L’altitude

texte de Michel Fluet

L’altitude m’a mis K.O. !

La seule crainte que j’avais avant de faire ce trekking n’était pas ma capacité physique à parvenir au sommet mais comment je réagirais à l’altitude, particulièrement la capacité de mon corps à absorber l’oxygène, plus rare en haute altitude.

En fait, je n’ai eu aucun problème à absorber cet oxygène. Ma saturation d’oxygène était toujours au delà des seuils minimum requis à chaque palier. Mes globules rouges faisaient très bien leur travail.

J’ai eu plutôt des problèmes à dormir à toutes les nuits au delà de 3300 mètres: 2 ou 3 heures de sommeil à 3300 puis aucun sommeil réparateur au cours des trois nuits suivantes. Je suffoquais à chaque 5 ou 6 inspirations. Pendant ce temps, Danielle dormait paisiblement à mes côtés, nuit après nuit. L’altitude n’a pas les mêmes effets sur les individus.

À chaque jour, la fatigue accumulée a hypothéqué graduellement ma capacité physique si bien qu’à la cinquième journée, je n’avais plus d’énergie pour continuer à monter. C’en était assez pour moi. Je suis redescendu à Cachi avec Danielle, qui elle, avait des problèmes de saturation d’oxygène. Je n’ai aucune amertume à redescendre, le sommet n’était aucunement ma priorité. Je voulais seulement être là et monter aussi loin que mon corps et mon esprit me le permettraient. L’objectif était accompli.

Bref, contrairement à ce que je pensais, l’altitude a grandement affecté ma capacité physique et non ma capacité d’absorber l’oxygène. Aurais-je dû prendre les comprimés de Diamox que les médecins québécois avaient recommandés mais que notre guide en chef nous avait déconseillés? Je ne le saurai jamais.

Par contre, je crois fermement que l’acclimatation à l’altitude ne fut pas suffisante. À partir de 2800 mètres, nous aurions dû progresser d’un maximum de 500 mètres par nuit, idéalement 300 à 350 mètres. Au contraire, nous avons monté de 2000 mètres (2200 à Cachi à 4200 à Pierra Grande en 2 jours) dès le départ. Mon corps ne s’est jamais adapté pendant la nuit.

Mes prochains trekkings se feront fort probablement sous la barre des 3000 mètres…

Veni, vidi, vici. Ce fut toute une expérience de vie!

Merci à tous mes compagnons de randonnées et surtout à ma compagne chérie.

Et le texte de Danielle sur l’oxymétrie.

L’altitude

texte de Danielle Caron

Matinée – 20 octobre – Le dépaysement

Depuis notre arrivée en Argentine, tout n’est que dépaysement. Paysages arides, secs, tempo ralenti, montagnes aux pierres colorées, etc… Pour ma part, depuis que nous sommes en expédition, le plus dépaysant est que je dois me laisser servir !!! Et oui, au contraire de nos autres sorties au Québec, « on se laisse organiser ». J’avoue que ça fait du bien… ce qui me donne tout le temps d’admirer et de partager avec les amis. Que les paysages sont beaux ! Et ce ciel bleu intense ! Jamais je ne me fatiguerai de regarder, aussi loin que je le pourrai.

J’en profiterai amplement aujourd’hui car c’est un jour de « repos ». À la demande de Nico, je devrai rester tranquille car mon taux de saturation d’oxygène n’est pas reluisant (74%) mais la pression est excellente. Rester tranquille, pour quelqu’un qui aime la randonnée, c’est plutôt .. dépaysant ! De façon générale, mes symptômes reliés à l’altitude se résument à de petits maux de tête (qui peuvent s’accentuer à l’effort), de la congestion nasale, un l’essoufflement « normal » pour l’endroit, et un taux d’oxymétrie très bas. Trop bas. Bref, je découvre les effets de l’altitude, et me repose malgré tout.

Aujourd’hui c’est la fête de Michel. Il a reçu un paquet de biscuits au chocolat avec une chandelle allumée dessus, et un Happy Birthday chanté en espagnol ! C’était vraiment sympa.

Pendant la nuit, c’est la première fois que je dois me lever pour aller uriner. Il a fait certainement 0 degré mais sans vent. La nuit est magnifique. Je n’ai jamais vu autant d’étoiles et d’aussi près. Je me rendors rapidement, espérant que Michel, de son côté, réussira à se reposer.

Matinée – 21 octobre 2011 – On se déplace… enfin !

Je me réveille tôt et bien reposée. Michel ne dort pas et digère mal. C’est moche. Nous prendrons la décision plus tard si nous continuons. Je suis passée à 81 % de saturation d’oxygène. C’est tant mieux.

Après le petit-déjeuner, Michel se trouve assez bien pour continuer. Tout le monde s’encourage, s’informe de l’autre, et hop on repart. De gros nuages menaçants passent sur la vallée, et s’en iront une heure plus tard. Le magnifique ciel bleu revient nous accompagner. C’est la montagne qui mène !

Pour la randonnée, je continue de suivre le rythme de Jean-François qui marche à une vitesse qui me convient parfaitement. J’adore. Je trouve même que les distances sont un peu courtes. Nous sommes habitués à des journées de marche beaucoup plus longues au Québec.

18 heures – Nico prend les signes vitaux et je suis à 69%. Ça c’est pas bon du tout. Jean me suit de près à 71%. On verra demain matin si certains devront redescendre. Je n’ai aucun autre symptôme majeur. À la lumière de ce que Nico nous a expliqué pour le sommet, Michel et moi entrons dans notre tente à 20h45 et jasons des différentes possibilités pour demain. Nous sommes conscients qu’il est peu probable que la prochaine nuit de Michel soit bien différente des précédentes, et que mon taux de saturation augmente miraculeusement.

Samedi – 22 octobre 2011 – Mon sommet !

Alors que Nico m’avait prédit une nuit d’enfer, j’ai assez bien dormi. Ma lecture est à 71 % et Michel à 86%. Pourtant, il ne file pas du tout. Quatre nuits sans dormir, il est brûlé. Pour Nico, il est évident que je dois redescendre. Je comprends ça, avec un pincement au cœur. J’essaie de négocier une petite variante : que j’accompagne le groupe pour le plaisir i.e. je monterais à 5200 mètres et redescendrais à Cachi ensuite ? Hum.. c’est non. Je fais un pacte : je grimpe de 200 m. sur une crête tout près du camp et redescendrai à Cachi ensuite. Nico est d’accord.

Ce sera mon sommet à moi, 4900 mètres ! La tête dans les nuages mais remplie de beaux souvenirs. Pendant la descente vers Cachi, David a remarqué que je regarde souvent derrière moi, et me sourit. J’imagine les copains en haut, je m’inquiète du moindre nuage. Mon cœur est avec eux. La douce et chaude Cachi nous accueillera finalement en fin d’après-midi.

L’altitude ? Il y a autant de façon de s’acclimater qu’il y a de randonneurs. Et si je veux y retourner, il faudra que dame « oxymétrie » veuille bien collaborer un peu…

La journée commence par un passage facile dans une zone humide, à peine pentue, couverte d’herbes courtes, un peu plus haut que notre camp. C’est jusqu’à cet endroit que les mulets peuvent normalement porter le matériel, car cette “prairie” est le dernier pâturage possible, aussi médiocre soit-il. Au-delà, il n’y a plus que de la pierre et du gravier, des moraines et des éboulis.

Nous passons peu après devant l’abri sommaire de Casa de Piedra, sans nous y arrêter. C’est à cet endroit que Mario et Jean-François avaient établi leur avant-dernier camp en 2008. En passant, n’est-ce pas symptomatique que tous les camps possèdent des noms qui comportent le mot piedra ?

Après Casa de Piedra, la montée devient beaucoup plus ardue, car nous empruntons de vastes pierriers, et marchons sur de grandes pierres souvent instables. Et il reste suffisamment de neige et de glace pour ralentir le rythme. Nous prenons le repas du midi juchés sur un ensemble de pierres grosses comme des petites voitures !

Nous arrivons en début d’après-midi au dernier camp, que Nicolás choisit d’établir au plus bas des sites possibles, à 5100 mètres, en raison du grand froid et du risque de vents. L’endroit est magnifique. Juste au pied de la rude montée d’une moraine abrupte, un assez vaste bassin où un petit ruisseau permet à ses eaux de se reposer sur un fin gravier pour donner l’illusion d’un petit lac sans aucune profondeur. Il fait froid et le vent est présent. Les tentes sont vite montées.

En fait, c’est exactement à cet endroit que Mario et Jean-François ont monté leur dernier camp en 2008. L’endroit était alors plus agréable : il faisait plein soleil, l’air était presque chaud, le fin gravier était sec et prenait des allures d’une plage.

Demain sera la journée du sommet. Une journée difficile : un dénivelé de près de 1200 mètres, un effort d’environ 16 heures de marche, l’escalade du mur de l’Amphithéâtre Kuhn, du froid et du vent probablement. Le départ se fera en pleine nuit, le retour, après le coucher du soleil.

Nicolás nous incite très fortement de passer le reste de l’après-midi à dormir, pour accumuler le repos. Heureusement, le sommeil vient vite.

Nous sommes réveillés vers 19 heures, pour notre dernier repas chaud avant le souper du lendemain. Car, en route vers le sommet, nous n’aurons ni le temps ni l’opportunité ni peut-être l’envie d’aucune pause-repas. Nous calmerons notre appétit en grignotant des petites choses (toutes sucrées). Le repas de ce soir est copieux, simple et délicieux.

Le temps s’est couvert. Et le froid est cinglant. Sitôt le repas terminé, Nicolás nous renvoie à nos sacs de couchage.

Dimanche 23 octobre Tentative de sommet et retour à Cachi

Au beau milieu de la nuit, vers 2 heures, notre sommeil est interrompu par le réveil de Nicolás. Nous l’entendons sortir de sa tente. Le ciel est dégagé, et le vent est assez calme. Il fait donc assez beau pour prétendre atteindre le sommet.

Pas de petit déjeuner ce matin. Chacun avait dormi avec une bonne partie de ses vêtements de marche, et le sac de jour était déjà prêt. Il ne faut donc que quelques minutes pour que nous nous retrouvions tous autour des tentes, à lacer les bottes, attacher les vêtements, fermer les sacs.

Nicolás donne le signal du départ avant qu’il soit 2h30. Notre groupe s’ébranle : nous sommes quatre randonneurs et quatre guides. Chacun avec sa frontale évidemment. Sitôt partis, il faut grimper une moraine qui présente un abrupt front de terrasse. Il n’existe pas vraiment de sentier. Le chemin est encombré de grosses pierres. Il fait assez froid pour que de bonnes coulées de glace s’infiltrent entre ces pierres.

Le groupe monte à la file indienne, chacun derrière sa frontale dans l’obscurité profonde. Jean-François se sent tout de suite mal à l’aise : l’obscurité, le froid, la glace, la perspective d’une journée très difficile. Il abandonne après seulement quelques minutes. Malgré les encouragements qui viennent de toute part, il retourne à sa tente, qui n’est qu’à quelques dizaines de mètres.

Seulement, une heure plus tard, c’est André qui revient au camp. Une fois la moraine escaladée, il s’était senti indisposé.

Plus tard, juste avant le lever du soleil, c’est au tour de Jean de revenir au camp. Il s’est arrêté au fond de l’Anfiteatro Kuhn, juste au moment où il fallait commencer l’escalade du mur de tête.

Il ne reste plus que Mario à continuer l’ascension, en compagnie de Nicolás et de Armando. Il raconte lui-même son histoire dans l’encadré suivant.

Le sommet invaincu

texte de Mario Gagné

Il est deux heures du matin. On s’apprête à tenter l’étape finale de notre ascension du Nevado de Cachi (6 380 mètres). Comme notre point de départ se situe à quelque 5 100 mètres, ça donne un dénivelé de plus de 1 200 mètres à franchir pour tenter d’atteindre le sommet. Cette longue montée et la nécessaire descente le même jour au moins en dessous des 5 000 mètres sont à l’origine de ce départ en pleine nuit.

À cette altitude, la faible densité d’oxygène dans l’air rend les choses plus difficiles : le simple fait de s’activer pour se vêtir et préparer son sac à dos demande un effort important. De plus, toujours à cause de l’altitude, il fait très froid, bien en dessous du point de congélation. Enfin, comme on est en pleine nuit, l’obscurité nous enveloppe complètement.

Le groupe s’ébranle vers 2h 30 du matin avec, pour seul éclairage, nos lampes frontales. La marche commence par une montée plutôt abrupte. Chacun de nous cherche son équilibre, son souffle et son énergie pour suivre la cadence que le guide en chef a prise. La montée nous paraît longue et est ponctuée de nombreux petits arrêts. Il faut constamment arbitrer entre l’effort à fournir pour avancer et l’impérieux besoin de ne pas s’épuiser, de ne pas trop s’essouffler, d’éviter une crampe ou un claquage musculaire.

On finit par arriver sur un large plateau qui constitue le bas de ce qui est appelé l’amphithéâtre étant donné qu’il est entouré sur deux tiers ou trois quarts de cercle par un mur très à pic qui monte sur plusieurs centaines de mètres. Comme il fait toujours nuit noire, on ne voit aucunement cet impressionnant décor mais on sait qu’il est là pour en avoir souvent parlé.

Marchant vers le haut de ce plateau, on s’approche tranquillement du pied du mur qui est constitué d’un énorme éboulis de pierres de toutes tailles empilées n’importe comment ce qui donne à l’ensemble un degré de stabilité très variable… La lune nous fait une belle surprise lorsque se lève un magnifique quartier orangé qui, aussi joli qu’il soit, n’apporte tout de même pas un éclairage supplémentaire significatif. À cause du manque d’oxygène, du froid intense et de l’épaisse obscurité, le groupe s’est doucement étiolé, si bien qu’arrivé au pied du mur, il ne reste que moi avec deux de nos guides.

À ce moment, il faut décider si on continue ou si on rebrousse chemin : une fois l’ascension du mur amorcée, il faut la terminer car il est trop dangereux de le descendre de noirceur. Le guide en chef a bien tenté de me convaincre de renoncer et c’est certain que j’ai vraiment hésité face à ce mur dont l’obscurité me cachait l’ampleur mais j’ai finalement choisi de continuer. J’avais confiance qu’en adoptant un rythme de montée compatible avec ma capacité de renouveler mon énergie, je serais en mesure d’y arriver.

Petit train va loin, on a, lentement mais sûrement, franchi des dizaines et des dizaines de petits paliers aux configurations très diverses : mise à part la pente, toujours très forte, on a grimpé sur toutes sortes de pierres, petites, moyennes ou grandes, stables ou instables et parfois recouvertes d’un champ de neige durcie dans lequel on se taillait des petites marches. Finalement, quel soulagement et quelle victoire pour moi, on est arrivé sur l’arête du mur, à 5512 mètres, vers 5h 30 du matin!!

À partir de là, la pente est moins rude et on pouvait espérer avancer, Dieu sait jusqu’où, vers le sommet. Cependant, notre marche s’est bel et bien arrêtée là : un très fort vent rendait illusoire toute velléité d’avancer au-delà de ce point. On a donc attendu le lever du jour, magnifique d’ailleurs, blottis contre les rochers pour se couper au mieux du froid et on est reparti vers le bas… Le sommet est demeuré invaincu ce jour-là.

Jean y va de sa propre expérience

La nuit de la tentative vers le sommet

texte de Jean Grand’Maison

Il est environ 21h00 et avant de me coucher, je finis de préparer mon sac pour le départ. Je met 3L d’eau. Normalement, je prend 2-3L pour 8h de rando selon la saison. Ça me semble peu pour les 15-16h de marche qui nous attendent. Mais avec ce froid, vais-je avoir le goût de m’arrêter pour boire ? Les provisions du chef d’expédition pour le sommet sont frugales, un peu de noix et des barres sucrées. Où sont les hydrates de carbone et les protéines dont on aura besoin ?

J’ajoute 3 barres énergie. Avec la doudoune et l’eau, le sac me semble lourd … trop lourd ? Je décide d’y aller sécurité. J’aime mieux aller moins haut et revenir.

J’essaie de dormir … la montée de la coulée m’inquiète … elle est supposée être très abrupte et les pierres devraient être instables. Ça, c’est pas un problème; mais, à cette altitude … Il ne faut faire aucun faux pas; sinon, gros problèmes …. J’arrive à peine à respirer. Je dois prendre de grandes inspirations régulièrement … et je suis encore couché. Ça promet pour la montée. Et si j’apportais moins d’eau. Je serais plus léger et plus rapide. Est-ce que j’y tiens d’aller au sommet ? Pas tant que ça; mais, ça serait bien. J’ai tellement travaillé pour m’en sortir cette année et pour m’entraîner même si l’énergie et l’endurance n’étaient pas au rendez-vous. Et si et si … ? Ah! Ce vent ??? Il fait très froid déjà … Dois-je mettre ma doudoune en partant ou plus tard ? Faut pas que je devienne détrempé; sinon, je vais geler ensuite. Oui mais, on marche tellement lentement. Faut pas que j’oublie d’allumer mon altimètre …

Shit ! Il est 00h30 et j’ai pas encore dormi. Ouf ! Y’a pas d’air !!!

1h30, André, à mes côtés dans la tente, s’anime. Commence à te préparer ….

Shit ! Y fait vraiment froid ! On a perdu l’habitude du froid après l’été chaud qu’on a eu et c’est bien plus froid que les –2 à –5 °C auxquels on s’attendait. Bip-Bip, 2h00, c’est le moment. J’étais dans mon sac avec presque tout mon linge. Hop ! Quelques couches de plus, anorak, surmitaines, 2 tuques. Maudit qu’y fait froid !
À la lueur des frontales, j’appercois les autres regroupés dans la nuit noire et froide. Le vent siffle en rafale. On devine, l’immensité des crêtes qui nous entourent. C’est un peu surréel ! Je fais le tour des visages pour reconnaître les yeux sous toutes ces pelures. On sent la tension qui est palpable; mais, tout le monde fait comme si de rien n’était.

Le chef d’expédition part comme une fusée et les autres courent après lui. Je fais 20 pas et je dois m’arrêter pour prendre 7-8 grandes inspirations. Je capote ! Moi qui aime à marcher rapidement, je n’arrive pas à trouver un rythme ici. Comment puis-je espérer monter plus haut. Reste calme … respire profondément et lentement. Ralentis ! Un pitch à la fois. On traverse un pierrier (ruisseau) et ça commence à monter. Jean-François s’arrête net et revient aux tentes quelques mètres derrière nous. Je suis renversé, il semblait si bien réagir à l’altitude.

On repart sur les pierres qui roulent et glissent dans le noir et le vent froid. La pente est raide pour 30m. Je dois tourner la tête à chaque rafale de vent car mon souffle est trop court. Mon visage entier est encore engourdit comme hier. Je ne peux arrêter tout de suite … je me sens presque bien quand je ne monte pas. Aller, plus lentement encore. J’arrête, je respire … je repars. Le rythme du groupe est trop rapide. Je vois même certains guides qui en arrachent. Ça me fait réfléchir. Si les guides en arrachent, comment pourraient-ils m’aider si j’en arrivais à ne plus pouvoir marcher ? Moi qui croyais qu’on pourrait se secourir les uns les autres; c’est illusoire. Tu ne peux compter que sur toi; alors, sois prudent et reste vigilant.

Encore une autre montée et on arrive sur un plateau lunaire avec de l’eau gelée. De l’autre côté du plateau se trouve une autre montée abrupte. André s’arrête à environ 5200m. Nous avions un pacte de rester ensemble et de s’aider mutuellement. J’hésite à continuer. Un guide l’accompagne, on est à 30-40 minutes du camp en descente. Je décide de poursuivre en me disant que dans l’état ou je suis, je ne pourrais pas l’aider beaucoup de toute façon. Avec le recul, je ne sais pas si j’ai bien fait.

Le chef d’expédition nous avise que le couloir approche et que si on s’engage à le grimper, il faudra attendre la clarté du jour avant de pouvoir le redescendre. Ça pourrait vouloir dire un sitting glacial au vent de quelques heures si je n’arrive pas à continuer sur la crête.

Je suffoque, mes pieds et mains sont déjà gelés, j’ai les jambes en coton, j’aurais besoin de boire et manger; mais, le vent cinglant m’interdit d’enlever mes mitaines. Le rythme de marche est si lent que mon corps ne génère plus la chaleur dont j’aurais tant besoin. Le couloir sera beaucoup plus abrupte qu’ici et j’arrive déjà difficilement à respirer. Ma voix intérieure me dit d’arrêter. 5300m.

Mario souhaitant poursuivre, le chef d’expédition demande à Juansho et moi d’attendre ici 10 minutes, le temps pour Mario de voir le couloir et décider s’il continu ou pas.

Juancho, le guide qui m’accompagne, et moi cherchons un endroit entre les pierres pour nous protéger du vent qui souffle en rafale inlassablement. On éteint nos frontales pour profiter de cette nuit noire et étoilée. Dans la vallée plus bas, les nuages se rapprochent chargés d’éclairs et de tonnerre. Quelques étoiles filantes animent la nuit; puis, une lueur orange et étrange se dessine derrière une crête. C’est la lune qui se lève toute orangée. Quel spectacle !

Juancho et moi partageons en silence un moment d’amitié et de paix. Derrière nous les lueurs des frontales confirment que Mario et 2 guides tentent l’ascension du couloir. Après un moment, la douleur du froid sur mes membres me rappelle que je doit bouger et descendre … maintenant !

À regret, nous rebroussons chemin dans la nuit en essayant de nous rappeler la route vers les tentes. Quel soulagement lorsque j’arrive à la tente et découvre André blotti dans son sac. J’espère que Mario et les 2 guides vont revenir en bon état. André et moi discutons de nos aventures respectives et sombrons doucement dans le sommeil. Dans quelques heures, ce sera une longue descente vers Piedra Grande ou même le camp de base 1800m plus bas.

Adios Nevado de Cachi !!!

Mario et les autres sont de retour au camp vers 8 heures, peu de temps après le lever du soleil. Pour atteindre le sommet, il faudrait effectuer une autre tentative la nuit prochaine. Mais nul n’y songe vraiment.

Il vente maintenant “à écorner les bœufs” et il continue de faire froid. Il n’y plus aucune raison de demeurer à cette altitude. Nicolás donne tout de suite les ordres à chacun de préparer ses affaires, aux guides de démonter le camp et au groupe d’amorcer la descente, sans même manger.

En haute altitude la descente c’est du bonbon! En 2008, Mario et Jean-François avaient descendu en une seule journée une distance qui avait requis trois journées de montée. L’objectif maintenant est de redescendre jusqu’à Piedra Grande, encore plus bas si c’est possible. Car, même si notre retour à Salta n’est prévu que pour le surlendemain, il n’y a plus de raison de demeurer en altitude.

La descente se réalise sans encombre. Nous passons bientôt devant Casa de Piedra, et continuons tout droit. L’appétit nous rattrape bientôt, et nous cassons la croûte à Isla de Piedra, un arrêt bien apprécié malgré que le repas soit froid. La pause fait du bien, sous le soleil qui recommence à devenir bienveillant.

Nous continuons la descente d’un bon pas. Le groupe se brise maintenant en plusieurs sous-groupes, chacun allant à son rythme. Nous arrivons à Piedra Grande où nous ne faisons qu’un court arrêt. En effet, il est encore tôt dans la journée et Nicolás nous encourage à continuer la descente. Il propose soit de passer la prochaine nuit au camp de base soit de rallier tout de suite Cachi et y passer les deux prochaines nuits.

Nous arrivons au camp de base, à côté de la camioneta, vers 14h00. Il est encore bien tôt. La tentation est forte de continuer vers Cachi. L’appât de la douche et de la bonne bouffe est là. Suite à une bonne discussion, nous décidons de revenir à Cachi. Tout le monde s’empile dans le véhicule, Nicolás et les quatre randonneurs dans la cabine, les six guides (y compris les deux qui avaient accompagné Danielle et Michel) dans la benne arrière avec les bagages, qui est bondée. La descente s’amorce. Nicolás doit faire attention à ne pas aller trop vite, pour ne perdre ni rien ni personne. Les guides seront toutefois totalement empoussiérés !

Cachi est tranquille en ce dimanche après-midi, malgré que ce soit journée d’élections. Christina sera réélue présidente avec aisance. Ce sont les adieux aux guides-porteurs, qui sont bien fatigués de ces trois semaines passées en montagne au service de deux expéditions de suite, surtout à porter des charges phénoménales. Nous leur laissons (ou vendons à prix d’amis) certains de nos petits équipements de randonnée qui les intéressent et qu’il ne trouvent pas sur le marché argentin. Il vont ensuite prendre une bière avec Nicolás (qui parvient à en dénicher, malgré l’interdiction de vente d’alcool jusqu’à la fermeture des bureaux de vote) et s’empressent de retourner chez eux.

L’Hostal Llaqta Mawk’a peut nous prendre. Nous y retrouvons Danielle et Michel. Le reste de l’après-midi est consacré à notre toilette et à la correspondance avec les parents et amis.

Nous nous retrouvons pour un souper de Despedida (d’adieux) avec Nicolás au café Oliver Wine Bar, sympathique repaire de monsieur Oliver, andiniste émérite et fou de voyages à moto. Nous pouvons voir sur les murs de nombreuses photos de groupes au sommet du Nevado de Cachi, y compris quelques unes avec Nicolás. Il y a aussi Ana (qui est en route pour retrouver un groupe de clients à Cafayate) qui nous rejoint pour ce repas.

Lundi 24 octobre Journée à Cachi

Cette journée devait être celle de notre retour de la montagne. Elle est plutôt une journée de repos, une journée d’emplettes pour ceux d’entre nous que l’artisanat local émeut et une journée de petites explorations dans les environs.

Mardi 25 octobre Retour à Salta

Notre chauffeur nous prend à l’hôtel dès 9 heures, pour le retour à Salta. Ceci nous permet d’arriver à l’Hostel Las Rejas juste à l’heure du midi, amplement à temps pour accueillir nos compagnes qui sont sur le point d’arriver de Buenos Aires par le bus de FlechaBus. Les chambres nous attendent. Cette fois ci, notre groupe occupe la totalité des cinq chambres de cet établissement, et les autres clients sont relégués aux chambrées de la section auberge de jeunesse”.

Tout le groupe se rend à pied ensemble au terminus des bus pour y accueillir Johane Careau, Mo­nique Desrochers et Louise Lachance qui arrivent de Buenos Aires et de Québec pour continuer le voyage avec nous. Un petit arrêt en cours de route dans un boui-boui où nous prenons des empanadas et des frites, que nous dégustons tout en marchant le long du boulevard. Nous retrouvons les trois vaillantes voyageuses, radieuses, même pas fatiguées, après leur périple de trois jours depuis Québec.

Ce soir là, le groupe a grandi. Nous sommes maintenant neuf. Nous décidons de retourner à la Casona del Molino pour le souper. Même menu sympathique. Même atmosphère musicale enjouée. Notre serveuse devient la “tambourine”, accompagnant le guitariste avec brio. La salle est remplie, avec des gens qui sont en fête. L’un d’eux nous manifeste sa sympathie en partageant les feuilles de coca qu’il mâchonne avec zèle.

Mercredi 26 octobre Journée à Salta

Cette dernière journée de l’expédition est bien tranquille. Chacun vaque à ses propres activités: des souvenirs à acheter, des musées à visiter, le marché à explorer, le Cerro San Bernardo à gravir. Rien de bien stressant. Et le plaisir de nous retrouver dans cette sympathique ville qu’est Salta.

Le soir, nous partons à pied pour ce restaurant italien que Mario et Jean-François on découvert en 2008 en se réfugiant d’un soudain orage, le Mamma Mia. Un agréable changement du menu standard argentin ou du menu régional du Noroeste !

Jeudi 27 octobre Départ des “tournées touristiques”

Le lendemain, jeudi, c’est le début de nos “tournées touristiques”. André, Johane, Michel, Danielle et Jean ont loué un véhicule récréatif pour les 2 semaines à venir. Ce véhicule leur est livré ce matin, et c’est le début de l’aventure. D’abord vers la Quebrada de Humahuaca, les Salinas Grandes, puis San Antonio de los Cobres. Puis d’autres destinations, à décider au fur et à mesure, et le retour final avec le véhicule récréatif à Buenos Aires.

Monique, Mario, Louise et Jean-François louent pour leur part une auto pour la prochaine semaine, avec le même itinéraire que le premier groupe, mais à l’envers. Par la suite, ils partiront les uns en bus pour une semaine à Mendoza, puis une dernière semaine à Buenos Aires, les autres avec une autre voiture pour explorer la route 40 jusqu’à Mendoza.