Randonnée dans le Haut-Atlas, Maroc – 1
26 mai au 17 juin 2016
Texte et photos de Jean-François Bouchard
Augmenté d’une soixantaine de photos de Dominique Fourestier
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Écrivez-moi à jean.francois.bouchard@gmail.com
Je connais Jean-Marc depuis 1999. Nous avons effectué de nombreuses randonnées pyrénéennes ensemble. Depuis plusieurs années déjà, nous avions envie de faire un voyage de randonnée un peu plus long, dans un environnement plus exotique. Une randonnée tout le long de la chaîne du Haut Atlas au Maroc nous était apparu comme une option intéressante.
Nous avons d’abord considéré partir avec une agence française (pyrénéenne, en fait) du nom de “La Balaguère”. Mais comme, après plusieurs approches infructueuses, cette agence ne nous est pas apparue très professionnelle dans son mode d’organisation, nous avons préféré rechercher une autre agence. Ce fut l’agence Allibert Trekking.
L’idée de ce voyage était déjà arrêtée depuis deux ans, mais il a fallu trouver le bon moment pour l’intégrer à nos horaires très chargés (!!!) de retraités. Nous voulions effectuer cette randonnée tôt en saison, pour profiter d’une température plus douce ainsi que de l’abondance des fleurs en haute montagne. Mais pas trop tôt, pour ne pas être importunés par la neige résiduelle sur les sommets. Nous avons choisi une sortie qui s’effectuait entre le 28 mai et le 17 juin 2016.
La randonnée
Cette randonnée longe la portion la plus élevée du vaste ensemble montagneux nord-africain de l’Atlas, qui s’étire sur plus de 2400 kilomètres de l’Atlantique à la Lybie. La portion que nous allons parcourir est située entièrement au Maroc. Elle s’appelle le Haut-Atlas.
Notre objectif est de relier le M’goun (troisième plus haut sommet de la chaîne, 4068m) situé à l’est avec l’Ouanoukrim (second, 4089m) et le Toubkal (premier, 4167m), situés l’un à côté de l’autre à l’ouest. En prime, à mi-chemin, une ascension à l’Anghomar (3610m).
Ces sommets sont situés à 150 kilomètres en ligne droite les uns des autres. Le voyage s’articule en pratique sur plus de 280 kilomètres, découpé en 18 journées de marche, toutes assez longues.
Comme nous longeons une importante chaîne de montagne, notre parcours comporte de nombreux cols, avec les montées et descentes correspondantes. Nous aurons un total de l’ordre de 16000 mètres de dénivelé positif et de 16000 mètres de dénivelé négatif.
Typiquement, nous marchons en deux étapes quotidiennes, une plus longue le matin (entre 7 heures et 13 heures, avec une pause vers 11 heures), une plus courte l’après-midi (entre 15 heures et 17 ou 18 heures), pour une moyenne journalière de 8 ou 9 heures de marche. Les journées de sommets sont un peu plus longues (souvent 10 heures), avec un départ plus hâtif.
Le programme de marche est donc plutôt exigeant. C’est d’autant plus vrai qu’il n’est prévu aucune journée de pause pendant le voyage. C’est pourquoi nous constaterons tous vers la fin du parcours une accumulation de la fatigue ressentie.
Il aurait été difficile de prévoir des étapes plus courtes, dans la mesure où il n’existe pas partout des villages, des sources d’eau et des sites qui se prêtent à un campement. Et il aurait alors fallu envisager une randonnée plus longue, ce que les participants n’aurait pu facilement faire.
Le voyage se fait d’est en ouest, ce qui est très agréable pour nous puisque nous avons en général le soleil dans le dos ou sur le côté, plutôt que droit devant. Cela nous permet de mieux voir le paysage, sans devoir lutter contre la réverbération du soleil. Un tel petit détail contribue au plaisir du voyage.
La région que nous traversons (le Haut-Atlas) est une région entièrement berbère. C’est-à-dire que ces vallées n’ont pas été historiquement colonisées par les immigrants arabes, comme dans les plaines marocaines. La langue qu’on parle communément à la maison n’est pas l’arabe. C’est plutôt le Tamazight, la langue berbère. L’arabe demeure toutefois la langue de l’éducation et de la communication nationale.
Jeudi le 26 mai
Comme mon itinéraire comprend un vol transatlantique nocturne, je veux pouvoir bénéficier d’une journée supplémentaire avant le début du voyage pour absorber le décalage horaire. Je quitte Québec en fin d’après-midi le jeudi 26 mai. Je prends un autocar direct vers l’aéroport de Montréal. Le vol s’effectue vers Casablanca avec la compagnie Royal Air Maroc en fin de soirée, d’où je ferai une courte correspondance vers Marrakech.
Le vol, avec une compagnie que je prends pour la première fois est très agréable. Je note que l’équipage ne comporte que du personnel masculin. Une particularité musulmane ? J’ai aussi la belle surprise de faire ce vol avec un appareil nouveau pour moi, le Boeing 787, qui est très confortable.
Vendredi le 27 Mai
L’arrivée s’effectue à l’heure prévue à Casablanca. J’enchaîne facilement le vol vers Marrakech, malgré une correspondance extrêmement courte, de moins d’une heure. Le décollage (sur un appareil ATR 72, un type que je prends aussi pour la première fois) s’effectue même d’avance.
Comme prévu, un chauffeur de taxi m’attend à la sortie de l’aéroport pour m’amener en quelques minutes à l’hôtel Mogador où sont réservées les chambres du groupe.
Je m’installe rapidement dans une chambre bien confortable. Je ne prends que le temps d’une douche et du débouclage des bagages et me voilà parti pour l’exploration de cette ville inconnue. L’hôtel se trouve dans la partie moderne de Marrakech. Je me dirige évidemment vers la place Jemaa el-Fna et vers la medina, au centre historique et touristique de la vieille ville fortifiée. Ce site est situé à un peu plus de 3 kilomètres. Je n’ai pas de difficulté à m’orienter, car j’aperçois au loin la tour de la vieille mosquée Koutoubia qui m’indique la direction générale de la ville ancienne et le chemin à emprunter.
Dès mes premiers pas, c’est évidemment le choc de ce pays inconnu pour moi. La tradition musulmane côtoie la modernité européenne avec beaucoup de simplicité et d’intégration. La variété des vêtements portés par la population, depuis les robes traditionnelles et les foulards les plus opaques jusqu’aux mini-jupes, surprend beaucoup. La cohabitation apparemment bien souple de l’arabe et du français sur les affiches offre aussi un grand contraste.
Je prends tout mon temps pour arriver à la place Jemaa el-Fna, faisant de nombreux détours selon l’intérêt du moment. Malgré qu’elle ne se situe qu’à 3 kilomètres, il me faudra presque deux heures pour y arriver. Je passe les murs de la vieille ville, je découvre successivement le parc Moulay Abdessalam, l’antique mosquée de la Koutoubia et son minaret imposant puis la place Arset El Bilk où stationnent les très nombreuses calèches touristiques. Je découvre enfin la place Jemaa el-Fna, ce coeur bien connu de la cité. C’est un grand espace pavé, de forme irrégulière, sans aucun aménagement particulier, ni mobilier, ni végétation. Tout autour, une variété d’édifices, des banques, un poste de police, la poste, des pharmacies, des hôtels traditionnels, des cafés, des restaurants, une petite mosquée, et la proximité des médinas, les nombreux marchés spécialisés. Nous sommes en fin d’après-midi et une foule bien dense la remplit, des citoyens comme des touristes.
Pour ces derniers, la place joue pleinement la carte de l’exotisme. On y retrouve toutes les attractions typiques annoncées dans le guides: montreurs de serpents, dresseurs de singes, musiciens, décoratrices au henné, vendeurs d’eau. On y voit même le célèbre arracheur de dents !
Les vendeurs de cet excellent jus d’orange se disputent la clientèle. Et les innombrables restaurants (en fait de bien simples gargotes) sont en train de s’installer pour la soirée. Les marchands ambulants de pâtisseries et les échoppes d’escargots “tout chauds” sont sur le point d’apparaître. Il faut aussi compter avec les vendeurs de parfums, onguents, huiles, lampes et souvenirs établis un peu partout sur la place.
Je m’engage dans la medina, cet ancien quartier populaire qui s’amorce du côté est de la place. Je longe une rue étroite, mais très achalandée. Celle-ci a beau être un peu plus large que les ruelles qui la coupent, il n’en demeure pas moins que la circulation est difficile, tant il y a de piétons, de mulets, de vélos, de charrettes et de petites motos qui modèrent à peine leur vitesse pour frôler les passants.
Partout, des échoppes, de toutes sortes. À proximité de la place, ce sont plutôt des boutiques de souvenirs pour les touristes. Un peu plus loin des fournisseurs de tapis, céramiques, babouches et autres productions artisanales. Puis, à mesure que l’on s’enfonce plus profondément dans le quartier, les commerces se limitent aux nécessités quotidiennes de la population locale: fruits, légumes, viande, pain, quincaillerie, vêtements.
Plus je m’éloigne de la place, moins il y a de touristes. Je me retrouve bientôt dans un quartier résidentiel très densément occupé. Les gens que je croise sont sympathiques, et je ne ressens aucune crainte, malgré les sévères admonitions des guides de voyage. Les gens doivent me croire être un touriste égaré, qui ne cherche qu’à retrouver son chemin vers la place. Ils vont même jusqu’à m’accompagner un bout et à m’inciter à m’engager dans une rue plutôt qu’une autre, dans un effort pour m’indiquer le retour vers la place. Je continue pourtant mon chemin, m’engageant plus profondément dans le quartier et observant l’activité intense. Je reviens vers la place un peu plus tard, par un chemin différent. La bonne “boussole” naturelle du géographe que je suis fonctionne encore très bien ! Et tout au long de ce périple, je continue de me sentir en sécurité.
Comme je savais d’avance que je ne pourrais pas vraiment dormir durant la traversée aérienne, j’avais prévu revenir tôt à l’hôtel pour le repas du soir. C’est ce que je fais. Et ça me convient parfaitement. Un repas marocain sans surprise, et je retrouve ma chambre pour une excellente nuit.
Samedi le 28 mai (jour 01)
Selon le programme d’Allibert, le lendemain est la journée numéro 1 de ce voyage. C’est aujourd’hui que les membres du groupe, supposément tous des Français, quittent leur domicile et arrivent à Marrakech, par une variété de vols, selon leur aéroport d’origine, donc à toutes sortes d’heures.
Comme je ne connais pas l’heure exacte de l’arrivée de Jean-Marc, je ne m’éloigne pas trop de l’hôtel, pour pouvoir le rencontrer dès son arrivée. Je me permets seulement de courtes escapades dans les environs, revenant d’heure en heure.
Il arrive de fait autour de 13 heures, après un vol depuis Toulouse via Madrid. Nous renouons et échangeons les nouvelles. Car il y a bien 3 ans que nous nous sommes vus la dernière fois. Il s’installe rapidement. Puis nous sommes prêts à explorer Marrakech.
Son choix se porte naturellement sur la place Jemaa el-Fna. Son choix me convient parfaitement. Pour Jean-Marc, ce voyage au Maroc est une première expérience de voyage dans un pays moins développé, ainsi que dans un pays musulman. Il y a donc un certain choc. Nous nous rendons directement à la place. Puis je l’entraîne avec assurance vers la medina, pour y observer le vrai Maroc.
Hier, lors de ma visite, on m’avait indiqué la direction générale des tanneries, qu’on me disait intéressantes à visiter. Jean-Marc et moi décidons donc de pousser dans cette direction. Un passant, qui avait remarqué la direction que nous prenions, nous offre même l’aide d’un de ses amis, qui se dirigeait vers ce quartier, pour nous y guider.
Nous visitons ces tanneries où les peaux (moutons, chèvres, vaches et dromadaires) sont traitées de manière traditionnelle dans une grande variété de citernes et de vasques successives, contenant de l’eau additionnée d’une variété de produits (chaux, écales de noix d’argan, fiente de pigeon, …). Les poils sont grattés avec des éclats de poteries. Puis les peaux sont étirées à la main, avant d’être teintes avec des produits naturels. L’odeur est tellement forte que le guide remet à chaque visiteur un bouquet de menthe à humer pendant la visite.
Inévitablement, une fois la visite terminée, le même guide nous emmène dans le dédale des ruelles du quartier vers un grand entrepôt regorgeant de belles productions artisanales. Le très nombreux personnel s’empresse de nous présenter toutes sortes de beaux objets, du cuir évidemment, mais aussi des vêtements, des tapis, des lampes de métal. Je suis bien faible, car je manifeste (trop?) vite un intérêt pour un beau grand tapis berbère. Après une petite heure de négociation usuelle, je m’en retrouve l’heureux propriétaire. De son côté, Jean-Marc acquiert un beau sac à dos de cuir.
De retour à la place, nous nous arrêtons à la terrasse d’un café (le café “Montréal” !) pour nous rafraîchir. Il n’est évidemment pas question de demander une bière ou un verre de vin blanc bien frais, car l’alcool est de moins en moins facile à trouver au Maroc. Nous choisissons de manger sur la place, dans une des nombreuses gargotes, toutes un peu pareilles. Le repas typique est agréable et pas cher. Ça nous suffit !
Dimanche le 29 mai (jour 02)
C’est ce matin que nous nous joignons au groupe. Dès 8h30, notre guide (Hamid) nous accueille avec le minibus qui nous conduira au départ de la randonnée, le village de Iskataffen, situé à environ 7 heures de route à l’est.
Nous découvrons à ce moment que le groupe est plus important que nous l’avions pensé. En effet, notre groupe comporte 13 voyageurs, plutôt que les 5 ou 6 personnes que le site de l’agence nous laissait croire jusqu’à récemment. Il y a d’abord eu des inscriptions tardives chez Allibert, pour un total de 9 voyageurs. Par ailleurs, une agence anglaise associée (KE Adventure Travel) ajoute 4 autres voyageurs. Nous serons donc un groupe de 13 randonneurs.
Le groupe
Jean-Marc et moi avons réservé avec l’agence Allibert, qui organise la randonnée. Nous avons été les premiers à nous inscrire, dès le mois de novembre 2015, Puis, au fil des mois, un total de 9 voyageurs s’étaient joints au voyage.
En plus, comme Allibert a une entente de partage avec l’agence anglaise KE Expeditions, celle-ci a contribué 4 voyageurs anglophones supplémentaires, pour un total de 13 voyageurs. Que le groupe soit composé de voyageurs parlant des langues différentes s’est avéré un problème. L’anglais a dominé dans les communications de notre guide.
Je partage une tente avec Jean-Marc. Une autre tente est occupée par un couple, Pascal et Valérie, de Vendée. La troisième tente héberge Pierre et Dominique, des voyageurs presque à temps plein, qui ont (à une lettre près) le même nom de famille. Une autre tente regroupe Eyup et Romuald. Finalement Céline (de Normandie) a sa propre tente. Les voyageurs anglophones ont tous choisi d’avoir une tente individuelle. Il s’agit de 2 californiennes (Patricia et Harriet), d’un Anglais des Midlands (Michael) et Luca, un sud-Tyrolien vivant à Rome.
Aujourd’hui, nous rejoignons par la route la vallée où débute la randonnée. C’est là que nous attend l’équipe d’accompagnement, les 7 muletiers et le cuisinier, avec les 8 mulets et tout l’équipement nécessaire pour notre équipée.
Nous allons franchir en un jour de minibus ce que nous allons parcourir en trois semaines… à pied ! Nous longeons d’abord la chaîne vers l’est jusqu’à la petite ville d’Azilal, où nous prenons un copieux repas du midi. Après cette pause, nous délaissons la grande route pour pénétrer la moyenne montagne. Le paysage est tout à fait superbe. Nous atteignons la belle vallée des Aït Bouguemez (la “vallée heureuse”) pour rejoindre Iskataffen (1800m) où nous passerons la nuit en gîte. Sitôt arrivés, nous nous installons au gîte, dans de sympathiques petites chambrées.
La vallée est étroitement liée au tourisme de montagne. Le centre de formation de l’association des guides de montagne du Maroc y est même installée. C’est aussi l’origine de la majorité des membres de notre équipe d’encadrement. Et c’est aussi à Iskataffen que notre guide demeure, chez ses parents.
Hamid nous invite d’ailleurs à une collation dans sa maison familiale, située moins de 2 kilomètres plus haut dans la vallée. Nous avons ainsi l’occasion de pénétrer dans une maison familiale, vaste et confortable, prévue pour une famille étendue. En fait, nous n’avons accès qu’à la vaste entrée, au toit et à une confortable salle de réception, en quelque sorte la partie publique de la maison.
Nous sommes reçus par le père de Hamid, qui nous sert une variété de délicieux pains plats accompagnés de miel et de confitures (et, évidemment, le thé à la menthe qui incarne l’hospitalité marocaine). Mais c’est sa mère qui nous apporte toutes ces gâteries de sa cuisine, tout en veillant à ne pas dépasser pas l’entrée de la salle de réception. Nous nous installons confortablement sur les épais tapis et coussins qui entourent les deux tables basses. Voilà l’hospitalité marocaine. Les pains que l’on nous sert sont bien simples, mais elles démontrent une grande compétence à travailler la farine de blé sous toutes ses formes et à varier le travail de la pâte. Tout au long du voyage, je serai sans cesse ébloui de la variété des pains et des pâtes qui nous seront proposés.
Nous revenons tranquillement vers le gîte où un copieux et délicieux repas nous attend. En cours de route, nous pouvons admirer le détail de la construction des maisons, qui sont toutes construites de pisé posé en banches (ou banco). C’est l’occasion de belles discussions sur ce mode ancestral de construction, peu connu dans notre monde. Hamid nous fait valoir les avantages de ce matériau qu’est la terre compressée: source locale, économie, isolation thermique.
Lundi le 30 mai (jour 03)
Cette journée marque l’authentique début du trek. Nous marcherons pendant les 18 prochaines journées.
Pendant que nous prenons le petit déjeuner, les muletiers commencent à se rassembler, avec leur bêtes. Les bagages de toutes sortes sont disposées sur le sol: nos sacs, les provisions, les tentes, les abris. L’équipe ordonne les charges pour chacun de nos 8 mulets, toutes des bêtes louées pour ce périple. Il est tout à fait étonnant de constater que ces bêtes si fortes et pourtant si sobres et endurantes peuvent porter 150 kilos malgré que leur poids corporel qui joue autour des 400 kilos. Contrairement à ce que j’ai pu constater en Argentine et au Népal, les bâts marocains sont très épais et paraissent beaucoup plus confortables. Parallèlement au chargement de nos mules, nous avons pu observer des voisins qui chargeaient les éléments de très longues banches de bois, en route vers le prochain chantier de construction de maison.
Nous quittons le gîte et amorçons une descente paisible de la vallée des Aït Bouguemez, observant les champs et les villages magnifiques, entre les rudes et arides montagnes. Au bout d’une petite heure de marche nous arrivons à Timmit et apercevons de la casbah de Sidi Moussa, un grenier collectif fortifié, une forteresse traditionnelle, érigée sur une colline proéminente d’une centaine de mètres. Nous y grimpons, et faisons la visite de ce qui était autrefois l’ultime défense des villageois et de leurs réserves, hors de portée des ennemis traditionnels. La construction a la particularité d’être le seul grenier circulaire du Maroc.
Nous continuons notre chemin en délaissant la route, pour suivre les nombreux petits canaux d’irrigation dans la végétation abondante du fond de la vallée. Nous notons en passant dans la cour d’une ferme la trace pétrifiée de pistes de dinosaures. Nous longeons sans cesse les lopins de cultures diverses et les vergers, sans compter les nombreux noyers qui s’alignent le long des canaux. Même si nous ne sommes encore qu’au mois de mai, le blé est déjà mûr et nous assisterons tout le long de notre périple aux diverses étapes de la récolte, selon les altitudes. Dans certains cas, nous verrons même les secondes semailles, celles des pommes de terre ou du maïs.
Après quelques heures le long de la vallée, nous nous engageons au sud dans une vallée latérale qui descend du massif du M’Goun, dont nous apercevons brièvement au loin les arêtes encore ourlées de corniches de neige. Nous remontons une vallée très industrieuse; des hommes et des femmes s’activent aux champs, les enfants reviennent de l’école, des hommes montent de nouvelles maisons.
Nous marchons depuis 5 heures déjà. C’est la pause pour le repas du midi, à la limite du village d’Agouti, sur les rives d’un canal d’irrigation, à l’ombre de grands noyers. La plupart des muletiers nous ont dépassé plus tôt en matinée; ils sont déjà en route vers le campement du soir. Seuls le cuisinier, son assistant et leurs deux mules nous attendent à l’arrêt du midi. Ils ont monté la cuisine, préparé le repas, disposé deux grands tapis et des matelas au sol pour nous recevoir. D’abord le thé, pour relaxer. Ensuite une magnifique salade composée, regorgeant de légumes aussi beaux que délicieux.
La pause du midi est longue, au-delà du temps nécessaire pour le repas. Ce sera la règle tout le long de notre excursion. Cela nous laisse amplement le temps de relaxer, de lire, d’écrire le journal, même de faire une sieste.
Du lieu de notre pause, nous dominons le torrent principal de la vallée. C’est le lieu de rendez-vous des femmes du village qui y font la lessive. Nous sommes particulièrement impressionnés par la lessive des tapis, massifs et lourds, que les femmes battent sur les roches et font sécher sur les pelouses.
Nous reprenons la marche en remontant la vallée de ce torrent, jusqu’aux estives (les azibs) du petit village d’Ikkis. Nous progressons d’abord le long d’une section où la vallée prend des allures de gorge assez large; on retrouve des abris troglodytiques creusés à même les falaises surplombantes. Nous atteignons ensuite un élargissement de la vallée où toute la surface du plateau est irriguée et cultivée en petites terrasses.
Une fois passée une grosse école (à saveur internationale, si on juge par les nombreux drapeaux qui y flottaient), il ne restait plus qu’une petite heure de montée pour arriver à notre premier campement, déjà monté en bordure d’un petit canal limpide, à 2400m. Nos campements comportaient toujours 10 tentes rouges individuelles (chacune pour 1 ou 2 voyageurs), un grand abri pour la cuisine, un plus grand abri faisant office de salle à manger. Rien n’était prévu pour les muletiers.
Le menu
Tout au long de cette expédition, nous avons été satisfaits du menu qui nous était proposé. La nourriture était simple, saine et goûteuse.
Le petit déjeuner était le repas le plus simple, le moins élaboré, tout en étant très satisfaisant. Il y avait toujours (sauf les matins des sommets et de départs très hâtifs) du gruau d’avoine chaud (du porridge pour les Français); personne n’en raffolait mais, avec du miel ou de la confiture pour le goût, et des céréales sèches pour la texture, ça nous donnait les calories nécessaires pour les longues matinées de marche. Il y avait aussi du pain, de la margarine, des confitures, des fromages à la crème individuels (Kiri et Vache qui rit). Et un assortiment de breuvages chauds: thé, café, lait.
En fin d’avant-midi, souvent à un endroit crucial de notre avancée (un col, une bifurcation, un petit bois ombragé), notre guide sort son grand sac de “cacahuètes”, c’est-à-dire un mélange bien soutenant : des dattes, des arachides grillées, des arachides pralinées, de minuscules biscuits salés à peine plus gros que des arachides. Les éléments de ce petit mélange sont traditionnels au Maroc; on en trouve d’ailleurs dans les petits magasins villageois. Cette pause a beaucoup de succès. Nous en consommerons plus de 40 kilogrammes au cours du voyage.
Le groupe s’arrête toujours assez longuement pour le repas du midi, souvent 2 heures, quelquefois 3 heures. Ce repas, qui commence et se termine par un thé vert à la menthe, est toujours axé autour d’une grande salade composée, d’un plat chaud très simple (pâtes, riz ou lentilles), de poissons en conserve (sardines généralement, thon ou maquereau à l’occasion), de fruits (oranges et melons) en dessert. Le cuisinier, son assistant et leurs deux mules chargées de tout l’attirail de cuisine nous devancent toujours au lieu prévu pour ce repas; dans les cas où le lieu est trop exposé au soleil, une troisième mule, celle qui porte la tente qui tient lieu de salle à manger se joint à eux. Il est courant que les voyageurs fassent la sieste ou lisent après le repas. Ou alors ils font une petite promenade dans les environs.
À l’arrivée au campement de fin de journée, le thé nous est généralement servi. Puis, lorsqu’il y a le temps, certains d’entre nous prennent l’apéro, en partageant les grandes bouteilles de Ricard que Dominique et Pierre ont eu l’excellente idée de glisser dans leurs bagages.
Le repas du soir comporte toujours une généreuse soupe, de type harira, qui nous réhydrate efficacement. Le plat principal est toujours soit un couscous, soit un tajine. Ces plats sont toujours admirablement présentés, et il sont généralement assez goûteux. L’assaisonnement de la cuisine est toujours assez doux, jamais piquant; au point où plusieurs des voyageurs ajoutent systématiquement la pâte d’harissa. Un plat a été particulièrement apprécié, un tajine dit “berbère” réunissant des boulettes de viande hachée et des œufs. Un régal. Plus rarement, nous avons eu des pâtes ou du riz au menu; le résultat était moins savoureux que les plats traditionnels. Le repas se termine par des fruits et une tisane.