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Maroc – 3

Cette randonnée se partage en 4 pages:  01020304

Randonnée dans le Haut-Atlas, Maroc – 3

26 mai au 17 juin 2016

 

Texte et photos de Jean-François Bouchard
Augmenté d’une soixantaine de photos de Dominique Fourestier

Lundi le 6 juin (jour 10)

Marche 09h00 à 11h00, 15h00 à 17h00; total de 4h00.
(Ceux qui font l’ascension de l’Anghomar ajoutent 5h00)

Cette matinée, la majorité des randonneurs partent tôt pour effectuer l’ascension du mont Anghomar (3610m), directement à partir du campement, un aller-retour d’environ 5 heures.

Je choisis de me lever plus tard et d’aller directement vers le lieu de la pause du midi, en compagnie de notre cuisinier. Nous descendons la vallée d’un affluent de la rivière Ounila, jusqu’à son confluent. À cet endroit, au centre d’une magnifique vallée, nous attendons pendant quelques heures le reste du groupe. C’est l’occasion de paresser, en lisant, en dormant ou en observant les bandes nombreuses de chocards à bec jaune qui utilisent à merveille les courants d’air et prennent plaisir à se poursuivre en d’habiles manœuvres aériennes.

Le groupe des braves qui reviennent de l’Anghomar nous rattrape pour la pause du midi. Puis nous nous engageons le long de l’Ounila. Nous remarquons tout de suite les dégâts causés par les récentes pluies catastrophiques qui ont affecté cette région où nous nous engageons. Comme nous descendons la vallée, les premières zones de cultures que nous abordons sont les plus marginales, puisqu’elles sont à la limite des altitudes et des températures propices. Les petites terrasses de ces zones, toutes en bordure immédiate de la rivière, ont été lessivées, souvent complètement dévastées, par les crues. Le paysage n’offre que la désolation agricole.

Un peu plus loin, avec l’altitude décroissante, les conditions climatiques meilleures et les terres plus propices ont limité les dégâts, qui n’en demeurent pas moins importants. Les terrasses sont mieux protégées des inondations. La végétation arbustive (des lauriers-roses, des saules, des peupliers, des pins)  a offert une protection robuste, mais l’on peut encore voir les traces du passage des crues. Nous arrivons au beau grand village de Tighza (1940m), où nous passons la nuit dans un grand gîte.

Mardi le 7 juin (jour 11)

Marche 08h30 à 13h00, 15h00 à 15h30, 17h30 à 18h30 ; total de 6h00

Nous quittons le gîte de Tighza, continuant notre route par de petites gorges dans la vallée de l’Ounila. Nous longeons une suite de petits villages avec leurs cultures, leurs noyers, leurs amandiers. Au bout d’une heure, nous quittons le chemin carrossable et grimpons vers un vaste plateau dénudé qui nous sépare de la petite ville de Telouet. On constate que des efforts de reforestation de ce plateau n’ont eu aucun succès; une multitude de petites dépressions sèches et vides, qui avaient pourtant été creusées pour retenir l’humidité autour d’une pousse de pin d’Alep, témoignent de cet échec.

Nous contournons routes et cultures dans cette grande plaine sèche et suivons des oueds asséchés, pour nous rapprocher de Telouet. Nous effectuons la pause du midi près d’un canal d’irrigation, juste en dessous d’une terrasse cultivée.

Nous sommes alors tout près d’un site ancien remarquable, que nous prenons le temps de visiter. Il s’agit de la casbah de Telouet, une très grande forteresse, aujourd’hui partiellement en ruines. Cette casbah marquait la force de la tribu des Glaoua. Celle-ci tirait son pouvoir et sa richesse du passage des caravanes reliant les régions subsahariennes à la Méditerranée. La casbah est aujourd’hui pratiquement ruinée, mais son énorme masse se détache à l’horizon. Elle servait évidemment de caravansérail sur la route de Tombouctou à Marrakech.

Au début du 20ième siècle, le pacha de cette tribu (Thami El Mezouari El Glaoui, surnommé “le seigneur de l’Atlas”), qui avait raffermi son pouvoir en s’associant avec le nouvel occupant français, décida de transformer une partie de cette casbah en une magnifique résidence privée. Nous visitons ce palais traditionnel serti au milieu de la forteresse. Les pièces sont abondamment décorées, avec une abondance de stucs sculptés, de zelliges, de boiseries importées du Mali. On peut imaginer la douceur de vivre dans ces belles grandes pièces, bien aérées et ensoleillées par les seuls atriums.

Zellige

Le zellige est une mosaïque dont les éléments, appelés tesselles, sont des morceaux de faïence colorés. Ces morceaux de terre cuite émaillée sont découpés un à un et assemblés sur un lit de mortier pour former un assemblage géométrique complexe. Le zellige, utilisé principalement pour orner des murs ou des fontaines, est un composant caractéristique de l’architecture arabo-andalouse.

Nous effectuons ensuite une pause dans un café de Telouet, une petite ville sans grand charme, qui agit pourtant comme centre commercial de la région.

Jean-Marc profite de ce court moment pour saluer un résident local qu’il connaît bien, pour l’avoir reçu chez lui dans les Pyrénées. Cet homme est le propriétaire d’un magnifique gîte, que Marie-Pierre (la compagne de Jean-Marc) utilise chaque année pour un stage de yoga. Le gîte, au centre d’un magnifique verger, est situé juste à la limite du village, derrière la place du marché.

Nous reprenons notre marche pour une heure. Notre campement nous attend aux portes du village de Tinzazmine (1860m).

Le Ramadan

Une bonne partie de cette randonnée a eu lieu pendant le mois du Ramadan. À partir du 7 juin (soit le jour 11) jusqu’à la fin. Tout le personnel d’encadrement du groupe étant Marocain et musulman, ces 9 personnes (le guide, le cuisinier et les sept muletiers) choisissaient donc, comme le veut la tradition, de jeûner et de s’abstenir même de boire chaque jour, du lever au coucher du soleil. En théorie, en tant que “voyageurs”, ils auraient pu alléger ou reporter ce jeûne un autre moment, où leur corps n’aurait pas été autant sollicité. Mais la pression sociale et la force de la tradition n’auraient pas facilement permis cet écart.

Cette année, le sacrifice est d’autant plus important (… et d’autant plus dangereux !) que nous sommes au solstice d’été, avec ses journées particulièrement longues.

C’est à peine imaginables pour les “impies” que nous sommes ! Tout le monde marche chaque jour pendant 8 ou 9 heures sous le grand soleil. Et nous, les randonneurs sentons le besoin de boire de 3 à 5 litres, pendant que le personnel ne boit rien du tout !

Il y a évidemment pour eux la “compensation” tant prisée du ftour (ou iftar), ce repas hautement symbolique après le coucher du soleil, le bris du jeûne. Les exigences de la randonnée en simplifient le menu (dattes, harira, chebakia, oeufs, crêpes, lait, eau, thé); mais on peut sentir le grand plaisir que les hommes ont à prendre ce repas et ces breuvages après la prière du soir, au moment de notre coucher.

Le régime de ramadan est complété par un petit déjeuner substantiel que nous entendons l’équipe prendre au petit matin, avant notre propre réveil.

Mercredi le 8 juin (jour 12)

Marche 07h30 à 13h30, 15h00 à 17h00; total de 8h00

Cette journée marque a peu près la moitié de notre périple, ce qui peut être symbolisé par notre croisement de la grande route principale entre Marrakech et Ouarzazate, dans le col du Tizi-n-Tichka.  

Nous traversons les villages de Taourirte et de Ouzlim, avant de nous engager dans une jolie vallée qui nous mène assez facilement dans une belle succession de végétations diverses au col de Tizi n’Mahboub (2650m), sur la ligne de partage des eaux. Nous faisons une pause pour profiter d’une très belle vue sur les deux versants de la chaîne montagneuse. On y voit en particulier la circulation dense sur la route N9 qui traverse le Haut-Atlas.

Puis c’est une folle descente, assez facile et presque ininterrompue jusqu’à un café situé le long de la route (2100m). C’est là, sous un bosquet de grands pins, que nous effectuons la pause de midi. La route est un lien national important, donnant accès à Ouarzazate et à l’Anti-Atlas. On y effectue des travaux d’élargissement et d’asphaltage, ce qui ne semble pas réduire la circulation.

Nous reprenons notre périple, et nous nous engageons bientôt le long d’un grand ravin très abrupt et très profond. Le sentier que nous suivons est assez étroit, et il ne semble pas très fréquenté. Le ravin est assez ouvert, mais il est très profond. On aperçoit, sur son autre versant les lacets de la grand-route que nous venons de croiser. Je négocie le sentier avec beaucoup d’attention car je le trouve bien vertigineux, presque terrifiant.

Je me retrouve à la queue du groupe, comme d’habitude. Je suis donc quelques centaines de mètres derrière le groupe des mules, le guide et l’avant-garde habituelle des autres randonneurs. Je ne voyais pourtant personne devant moi, car ils m’étaient tous cachés par un promontoire escarpé qu’il fallait contourner. Je m’arrête quelques instant pour saisir une photo du paysage du ravin lorsque une grande colonne de poussière s’élève subitement au-delà du promontoire. “Il vient de se passer quelque chose”, me dis-je. “Peut-être un accident. Pour le moins, un éboulis”.

Dès que je déborde du promontoire, je constate que tout le groupe est immobilisé le long du sentier. Mais ce n’est qu’en m’approchant que je découvre que la première des mules avait perdu pied, culbuté et roulé avec sa charge en traversant le lit d’un torrent asséché qui avait oblitéré quelques dizaines de mètres du sentier. Voilà la preuve que le sentier n’est pas très fréquenté ! Par bonheur, des muletiers et le cuisinier avaient pu rattraper l’animal et sa charge avant qu’il ne bascule plus bas. L’instant d’après, il était à peu près remis sur ses pattes, il était presque calmé et ses blessures ne paraissaient pas trop graves.

Il devenait clair qu’il fallait contourner le bout de sentier qui avait été grugé par le torrent. Il semblait possible de le faire en montant un peu plus haut. Il fallut décharger le mulet blessé, diviser sa charge et tout transporter au-delà du torrent. Puis faire traverser le reste des bêtes par un détour dans les pentes situées au-dessus du passage difficile.

Le groupe reprit son avancée, jusqu’à ce que nous complétions notre traversée de ce ravin. Nous abordons maintenant un vaste plateau entièrement occupé par des champs de culture, d’un village invisible. Les terrains planches sont trop précieux pour les cultures; ils ne doivent pas être utilisés pour l’édification des habitations.   

De distance en distance, nous croisions les bases de béton des tours d’un ancien téléphérique minier qui traversait naguère le plateau pour desservir une mine de cobalt située dans la montagne voisine. Mais aucune trace du téléphérique lui-même. Ce n’est que le lendemain, dans le village de Assadesse, situé au bas des gorges d’Afra, que nous pouvons apercevoir quelques vieilles bennes d’acier utilisées comme abreuvoirs.

Nous poursuivons notre avancée en descendant doucement jusqu’à la limite lointaine du plateau de cultures, à l’endroit où les divers ruisseaux et canaux d’irrigation se réunissent en une rivière plus importante.

Notre campement se situe juste à côté d’un terrain de foot. C’est surprenant et incongru puisqu’il n’y a pas d’école ou de village visible à proximité. Mais nous découvrirons le lendemain que le village d’Afra proprement dit n’est qu’à un kilomètre plus bas, et que les terrains du plateau sont plus propices à un terrain de foot.

Le campement est situé dans un pré très humide, heureusement dans sa partie la plus sèche. Mais, dès qu’on s’éloigne un peu des tentes, les pelouses sont très spongieuses et il est facile de s’y embourber.

Juste à côté du campement, la pente de la rivière augmente et un petit rétrécissement nous offre d’agréables cascades. Le lieu devient rapidement un centre d’attraction pour le groupe. Chacun s’y baigne et s’y lave.

Jeudi le 9 juin (jour 13)

Marche 06h30 à 10h30, 11h30 à 13h30, 15h30 à 18h30; total de 9h00

Dès notre réveil hâtif, nous apercevons un flux continu de paysans qui montent lentement à leurs champs. Les journées sont chaudes, et il est plus facile de travailler dans la fraîcheur du matin. C’est d’autant plus vrai en ce mois de Ramadan où le jeûne ne peut qu’affaiblir les travailleurs sous l’effet de la chaleur.

Nous commençons nous mêmes notre journée très tôt car le parcours sera long. Comme nous l’avions un peu deviné la veille nous sommes juste à côté du gros village d’Afra, que nous découvrons dès le premier détour et que nous traversons. Nous suivons la route jusqu’au prochain village, Tidssi. Juste après, nous continuons le long de la rivière dans ce qu’il y a lieu d’appeler les gorges d’Afra. Même s’il ne s’agit pas d’un défilé très encaissé, la vallée devient quand même plus étroite, au point où la route ne peut la longer. Nous joindrons des villages qui communiquent avec le reste du pays par l’aval.

Le sentier est facile. Il surplombe la vallée, accroché aux pentes. La seule difficulté est une traversée de la rivière qui s’avère un peu plus exigeante. Les marcheurs n’ont aucune difficulté à la négocier. Mais les mulets, qui suivent, devront être déchargés à cet endroit. Suite à la “déboulade” de la veille, notre guide Hamid sera inquiet tant qu’il ne recevra pas par téléphone l’assurance que les bêtes auront passé cette délicate traversée.

Nous abordons éventuellement des villages aux allures médiévales, délicatement accrochés aux flancs de la vallée. Le modernisme y semble à peine installé. On ne s’en étonne guère puisque le chemin d’accès semble tout nouvellement créé.

Nous arrivons à un hameau (1300m) installé près d’un fragile pont de béton (et d’un gué, pour les camions) où nous attendons plus d’une heure la confirmation du passage sécuritaire des bêtes à travers les gorges en aval.

De là, nous grimpons un peu, traversons un village, puis continuons dans la montagne située juste derrière, dans une très belle forêt. Une des plus denses forêts que nous aurons l’occasion de traverser, avec une grande variété de plantes et d’arbres. J’y aurai l’occasion d’entendre pour la première fois le chant du coucou.

Nous émergeons de la forêt pour nous engager sur un chemin donnant accès au village de Ouarzazt, au même moment où la caravane de nos mulets y passe. Encore une petite demi-heure de marche et nous faisons la pause du midi le long de cette route, à 1900m dans une forêt clairsemée, mais à l’ombre de grands hêtres.

Nous reprenons la marche sous le grand soleil et atteignons bientôt le village de Ouarzazt qui domine les vallées à la ronde. Nous continuons à grimper doucement sur le plateau du Yagour qui l’entoure, au milieu des innombrables champs cultivés, et de leurs petits canaux d’irrigation.

Nous faisons une pause sur un petit promontoire pour y admirer de simples gravures rupestres du Néolithique, puis nous continuons vers notre campement d’Agdal n’Irkane (2200m), à proximité d’une grosse agglomération de bergeries, malheureusement à peu près inoccupées à ce moment.

Suite à la quatrième page…