Mon "scrapbook", tout simplement

Cécile, ma mère

Cécile, ma mère, est décédée le 18 septembre 2016.

Pour ses funérailles, le 1er octobre, j’ai rédigé un texte et préparé un diaporama. Les voici:

Cécile

Nous sommes ici rassemblés autour de Cécile, ma mère, qui nous a quitté il y a déjà 13 jours. Elle était sur le point d’avoir 93 ans, âge qu’elle aurait atteint hier, le 30 septembre.

Je désire vous parler un peu d’elle. Je veux compléter et dépasser l’image récente de la femme en fin de vie que nous avons tous en ce moment. Même si c’est normal que nous ayons surtout en tête cette dernière époque, il ne faut pas oublier qu’une vie de 93 années, c’est une bien grande histoire, variée et évolutive, pendant laquelle beaucoup de choses se passent. C’est ce que je désire partager avec vous.

Cette semaine, j’ai rapidement monté un diaporama à partir des milliers de photos qu’elle avait elle-même laborieusement classées et ordonnées. Cette sélection de photos, que vous pouvez voir ce matin en diaporama, fait apparaître une grande variété de moments de sa vie. Nous passons de la petite fille d’un autre siècle qui joue à la poupée, à la jeune femme élégante, à la mère active et à la réalité récente de son grand âge.
Cette Cécile des dernières années, vous la connaissez bien. Mais il y a bien plus.

Depuis 1998, au moment où elle a déménagé de Jonquière à Québec, j’ai eu l’occasion de passer beaucoup de temps avec elle. J’ai ainsi pu reprendre ce contact qui s’était amenuisé à mon propre départ du Saguenay autour de 1967.

Elle n’avait que 75 ans à son arrivée à Québec. Elle venait tout juste de perdre son mari, Marcel, mon père. Elle pouvait alors réaliser ce projet de vivre dans une plus grande ville qui l’intéressait depuis longtemps, mais que mon père n’aurait pas voulu partager.
Elle pouvait très bien s’occuper d’elle même dans sa nouvelle ville. Elle pouvait pleinement satisfaire ses propres exigences de fonctionnement et pourvoir à ses envies de cinéma, de théâtre, de concerts et d’opéra.

Mais, au fil des années, cette indépendance a très lentement été érodée. Je suis alors graduellement entré plus activement dans sa vie afin de l’assister. J’ai donc pu passer beaucoup de temps avec elle et constater l’effet progressif de l’âge.
Pour la femme autonome qu’elle était, il a été très difficile de voir diminuer sa liberté. D’une situation où elle contrôlait elle même l’exécution de toutes ses exigences, elle a dû passer à une dépendance croissante. Elle interprétait facilement cette perte de contrôle comme une incompréhension (presque une oppression) de la part de tous ceux qui l’entouraient et qui prenaient une place de plus en plus grande dans sa vie. Cela valait autant pour moi, pour les autres parents, que pour les intervenants.

Sa santé a toujours été excellente, sans maladie ou carence particulière. Tout au long de sa existence, les médecins lui prédisaient d’emblée une très longue vie. Ils avaient raison. Il s’agissait certainement là de l’héritage des gènes de la famille Bergeron.
Ce n’est que depuis 7 ou 8 ans qu’une certaine faiblesse est apparue. C’était sa capacité de locomotion qui était affectée. Cette fonction a graduellement diminué, au point où, depuis quelques mois, ses jambes ne parvenaient même plus à la soutenir.
Celle qui avait été une grande marcheuse, celle qui avait abondamment arpenté la ville de Québec, se trouvait désormais très dépendante. Depuis le début de l’année courante, cette évolution avait été encore plus rapide.
Son esprit, lui, n’était pas affecté. Elle a conservé (jusqu’aux derniers mois) une grande vivacité. Elle savait toujours très bien ce qu’elle voulait. On ne pouvait facilement la faire changer d’idée.
Elle donnait souvent l’impression d’avoir perdu sa sérénité. C’était probablement vrai. Mais en même temps compréhensible. Mais il ne faut pas imaginer qu’elle avait perdu le désir de mener sa vie. Au contraire, ces dernières années ont été une affirmation de son pouvoir sur la vie.

Pour élargir la vision immédiate que nous avons d’elle, en ces dernières années, je veux juste rappeler certains traits de sa personne qui ont marqué ses années de jeune maturité.

Dans sa jeunesse, ma mère était reconnue comme une femme fière, dans tous les sens du terme. Les photos de cette époque que vous pouvez voir attestent de son allure et du grand soin qu’elle y portait. C’était bien connu que les cavaliers ne lui manquaient pas ! Seule fille de sa famille (à l’exception de sa soeur Rolande, l’aînée, qui était entrée très jeune au couvent), elle ne ménageait rien pour se distinguer dans cette cohorte de garçons.

En 1949, la belle Cécile et le beau Marcel se mariaient. Ils ont eu trois garçons en succession assez rapide. Pour ma mère, cela a été un plaisir, qui lui apportait pourtant une certaine préoccupation, un désir de perfection. Les enfants c’était important ! À ce titre, un grand drame de sa vie a été la perte de mon frère Dominic, mort trop jeune à seulement 44 ans, dans des circonstances difficiles. Le souvenir de ce fils auquel elle était particulièrement liée est demeuré très présent en elle pour le reste de ses jours. Elle formait une belle équipe avec mon père, dont nous avons bien profité pendant notre enfance.

Elle a été une cuisinière chevronnée, pleine d’imagination et de créativité, ne reculant devant aucune difficulté. Pendant longtemps, elle préparait entre le Jour de l’an et le début du carême deux énormes buffets, fort complexes, incluant des pièces montées, destinés à chacune des familles Bergeron et Bouchard. Elle préparait des repas remarquables, à commencer par les soupes essentielles à la survie de son mari. Elle revenait de ses voyages avec des idées nouvelles, des défis de plats à réinventer. Elle nous a tous entraînés à partager une certaine critique gastronomique familiale.

Elle était aussi une couturière remarquable. À ce moment, même s’il était plus courant qu’aujourd’hui de fabriquer et réparer les vêtements, elle y mettait un talent particulier. Je me rappelle encore de l’uniforme “renforcé” que je portais au collège, avec un pantalon doublé à l’intérieur des genoux et un blazer à bordures de manches ourlées d’une fine bande de cuir. Ou alors les beaux habits de cowboy réalisés pour Dominic, Louis-Jacques et moi.

Ma mère a eu la chance de beaucoup voyager au cours de sa vie. En fait elle l’a fait plus qu’il n’était habituel à son époque. Elle l’a fait surtout avec mon père Marcel; elle se chargeait de l’organisation et de la préparation de ces voyages. Sur place, mon père était bien heureux que ma mère lui lise à haute voix le contenu des guides de voyage qu’elle avait “potassés”. Puis plus tard dans sa vie, elle voyagera plutôt avec des copines et d’autres compagnes.
Ce goût du voyage lui est venu d’abord par des séjours assez fréquents à Montréal et Québec pour accompagner mon père dans ses rencontres professionnelles. Puis elle s’est plu à séjourner à Montréal toute seule pendant plusieurs jours pour magasiner. Je me rappelle de ces absences qui déclenchaient la réception à la maison de nombreux paquets postaux, puis des séances interminables d’essayage de vêtement pour chacun de nous. La rue sainte-Catherine à la maison !
Au moment où elle était encore jeune mariée, mes parents ont aussi fait des voyages aux États-Unis, souvent en famille avec mes grand-parents Bouchard, Francis et Alida.
Puis ils ont fait un premier long voyage de 6 semaines (trop long pour les petits garçons que nous étions !) vers Cuba en 1960, juste après la révolution. Avec, en prime, une rencontre fortuite de Fidel Castro sur la plage de Varadero. Un projet bien original à cette époque, qui les a vraiment ouvert à cette activité. Un voyage d’un grand exotisme. Elle en a “meublé” la maison pendant des mois à son retour: l’odeur du café, la musique latine, les nombreuses photos, les senteurs de l’herbier qui séchait dans le mauvais papier des revues politiques cubaines.
Ensuite ce fut l’Europe. Plus tard l’Extrême-Orient, la Grèce, la Turquie, la Syrie, l’Égypte, à un moment où de telles excursions étaient rares.
Et des visites très régulières en France. Dont plusieurs voyages successifs dans la seule région des Pyrénées françaises pour connaître toute cette chaîne.

Ma mère a été une personne curieuse, bourrée de questionnements. Ce qu’elle partageait avec mon père. Ils avaient tous les deux une énorme pile de livres, de revues et de journaux, dont la lecture était en cours. Pour elle, c’était avant tout “La Presse”, qu’elle couvrait chaque jour de la première à la dernière page, habituellement plusieurs jours ou même quelques semaines en retard.
Elle a toujours cultivé une grande curiosité intellectuelle. Celle-ci s’est exprimé (au cours des années ’50 et ’60) dans sa participation à un petit cercle de femmes, portant le nom de Société d’étude et de conférences. Fondée en 1940, et toujours vivante aujourd’hui, elle regroupait des amies qui se donnaient chacune la peine de préparer une conférence chaque année et de la partager avec les autres. Je me rappelle de tout le travail et l’ardeur qu’elle mettait dans cette activité.

Les copines, les amies, parlons en. Elle a eu depuis son enfance un groupe d’amies fidèles. Autour d’un noyau de cousines, il y avait un groupe d’une quinzaine d’amies, dont beaucoup survivent à ce jour. Ces amies (et leurs maris) ont toujours été, à divers titres, au centre de la vie sociale de mes parents. Je peux me rappeler de nombreuses soirées très animées, de journées au chalet des uns et des autres (été comme hiver), de bals, de voyages. La jeune femme qu’était ma mère était bien joyeuse, autrement que la vieille dame qui vient de nous quitter. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies, souvent avec la disparition des maris, que les contacts de ce groupe se sont dissipés.

Ma mère a de tout temps été une personne indépendante. Cela s’est même manifesté de manière très particulière au début des années ’70 (en pleine période dite de “libération de la femme”) lorsqu’elle a décidé d’entreprendre des études de bibliothéconomie au CEGEP. Même si elle s’était assurée que mon père ne manquerait de rien, et que le repas du midi serait toujours prêt, celui-ci (comme la majorité des hommes de cette époque) n’était pas du tout enchanté de cette perspective. Elle a persisté. Elle a réalisé ses stages. Elle a obtenu son diplôme. Mais c’en est resté là puisqu’elle n’a jamais travaillé dans ce domaine.

En fait, hormis quelques années avant son mariage, elle n’a jamais travaillé en dehors de la maison. Son univers était justement sa maison. C’était à plus d’un titre “sa” maison puisqu’elle avait consacré l’équivalent d’une année de sa vie (autour de 1962) à concevoir et dessiner cette maison familiale, à l’image de son propre sens d’une organisation extrême. L’architecte et l’entrepreneur avaient dû “composer” avec les exigences pointilleuses de Cécile ! C’était une maison “très organisée”. Les commodités de la maison reflétaient avant tout les besoins de ma mère. Après tout, elle était la maîtresse de maison !
Même si elle était sociable (surtout dans sa jeunesse), elle ne dédaignait pas la solitude relative de son intérieur, de sa maison. Contrairement à mon père (qui devait absolument sortir en ville entre les repas) elle pouvait facilement demeurer à la maison. Elle a pu l’illustrer en ville, au chalet et (plus tard) au condo de Floride.

Ma mère, Cécile, a mené sa propre vie selon ses propres préceptes. Elle a eu la chance de disposer des moyens de réaliser ces désirs. Nous la connaissons tous comme une personne extrêmement volontaire, qu’il était difficile de faire dévier de son cheminement.

Pour nous qui l’avons côtoyé, pour nous ses enfants et ses petit-enfants, pour nous ses amis, pour nous ses connaissances, il est important de nous rappeler ce que Cécile nous a apporté. Ce qu’elle nous a appris.
Mon cas est un exemple. Je ressemble physiquement beaucoup à mon père. On me l’a dit. On me l’a répété. On a tendance à m’identifier à lui, pour l’allure comme pour le comportement. Mais je n’en suis pas une copie. Pour peu que j’y réfléchisse, je retrouve dans mes propres comportements et mes manières de faire une abondance de traits qui me viennent de ma mère. Je lui ressemble autant qu’à mon père. Seulement, c’est moins visible. Plus subtil.

Elle nous a donc apporté un exemple de vigueur, qu’il est important de suivre. À nous de l’intégrer à notre manière de faire.

Elle a souffert au cours des dernières années de devoir laisser graduellement son indépendance. En ce sens, son décès ne pouvait que lui apporter le repos et la sérénité qui convenaient maintenant à sa faiblesse.

Pensons à elle en nous disant qu’elle a maintenant atteint le grand repos qui lui manquait. Elle l’a bien mérité.

Jean-François

Diaporama de photos