Mon "scrapbook", tout simplement

Bolivie – 2

Cette randonnée se partage en 4 pages:  010304

Du 6 au 24 septembre 2016

Texte et photos de Jean-François Bouchard
Augmenté de photos de Mario Gagné


J04 – Samedi 10 septembre

Sucre

Dès le matin, Julio nous conduit à l’aéroport d’El Alto. Nous prenons un vol de la compagnie Amaszonas vers Sucre, la plus européenne des cités de Bolivie et peut-être l’une des plus belles d’Amérique Latine. Dès sa fondation, elle était destinée à devenir le centre de la bourgeoisie espagnole, qui estimait trop difficile la vie à l’altitude de Potosí. Nous atterrissons à un aéroport tout neuf, relocalisé sur un vaste plateau beaucoup moins dangereux que l’ancien. Un chauffeur de taxi nous attend et nous mène en ville, à 35 kilomètres.

La capitale

La Bolivie a la particularité d’avoir deux capitales: Sucre et La Paz. En 1826, la ville de Sucre est choisie comme capitale provisoire du pays nouvellement indépendant. Puis, en 1839, elle est confirmée comme capitale permanente. Mais le parlement et le siège du gouvernement déménagent en 1899 à La Paz qui était entre temps devenue le centre économique du pays. Sucre demeure toutefois la capitale constitutionnelle de la Bolivie, et elle est le siège de la Cour suprême.

Le chauffeur nous laisse à quelques coins de rue de notre hôtel. Il ne peut y avoir accès directement car tout le quartier qui entoure la place centrale est envahi par des milliers de citoyens qui amorcent une fin de semaine bien particulière, celle du défilé folklorique de la Nuestra Señora de Guadalupe, patronne de la ville. Nous prenons donc nos bagages et nous nous installons à l’hôtel.

Le programme de notre visite est un peu bousculé par cette fête, car les musées les plus intéressants (comme la Casa de la Libertad) sont fermés. Nous avons tout de même rendez-vous dans l’après-midi avec Mariella, notre guide. Nous avons quand même le temps de déguster un succulent repas à La Posada, un restaurant du centre qui semble être le point de ralliement de la bonne société de Sucre.

La visite que nous fait faire Mariella commence par la visite du Museo del Tesoro, qui présente les richesses minières du pays. C’est l’occasion de découvrir une pierre que nous ne connaissions pas: l’amétrine, combinaison bicolore de l’améthyste (violet) et de la citrine (jaune ou orange). C’est également un beau cours sur les capacités métallurgiques primitives mais efficaces des Incas. La visite se complète par un circuit dans la ville: le belvédère du monastère de La Recoleta, le magnifique cimetière, le Parque Bolivar avec sa minuscule réplique de la tour Eiffel.

Mais le plus grand intérêt de cette journée c’est l’activité concentrée à la place centrale, la Plaza 25 de Mayo où se trouvent la cathédrale, le palais du gouvernement départemental, la mairie et la Casa de la Libertad, lieu de déclaration de l’indépendance du pays. Au cours de la journée du samedi, depuis 10 heures le matin jusqu’à 3 heures de la nuit, ce sont 56 “fraternités” folkloriques regroupant presque 25.000 musiciens et danseurs qui défilent et dansent bruyamment par les rues de Sucre jusqu’à la cathédrale, où elles peuvent honorer la statue lourdement décorée de la Vierge de Guadalupe.

Les fraternités folkloriques de Sucre

Chaque fraternité se compose de plusieurs centaines de personnes, tous des musiciens et des danseurs. Chacune s’étale sur plusieurs centaines de mètres et comporte plusieurs sous-groupes. Le défilé avance très lentement. C’est en pratique un spectacle entier de chaque fraternité qui se déroule devant les spectateurs. Il faut bien compter une quinzaine ou une vingtaine de minutes pour que défile une seule de ces fraternités.

Chaque fraternité dispose d’une grande fanfare; souvent même il y en a deux ou trois pour accompagner les divers sous-groupes de la même fraternité. La musique est très simple et très bruyante: des grosses caisses, des caisses claires, des trompettes, des clairons, des trombones, des clarinettes, des cornets à piston et d’énormes cymbales.

Les principaux danseurs sont réunis en plusieurs groupes soit uniquement des jeunes femmes soit exclusivement des jeunes hommes, tous dans la force de l’âge. Les filles portent des costumes très colorés, très décorés et très sexy. Elles portent toutes le chapeau melon bolivien, le distinctif bombín. Les jupes sont très courtes, les costumes brillants, le maquillage marqué et soigné.

Les hommes portent de lourds costumes extravagants, de “monstres” diaboliques, couverts eux aussi de brillants et de dizaines de gros grelots, des costumes sans doute inspirés des cuirasses des soldats coloniaux espagnols du 16ième siècle. Les pas de danses sont extrêmement athlétiques. Ils mettent en valeur la force et la beauté des danseurs.

D’autres sous-groupes composés d’enfants, ou d’hommes et de femmes plus âgés provenant du même quartier ou du même village, complètent la fraternité.


J05 – Dimanche 11 septembre

De Sucre à Tarabuco (et retour) – 140 kilomètres

Notre programme ne prévoit rien pour cette journée. Pour Mario c’est l’occasion d’un jour de repos, pour compenser les récentes nuits trop courtes et les réveils trop hâtifs.

De mon côté, je décide de suivre le conseil de l’agence et d’aller au marché typique qui se tient les dimanches au gros village de Tarabuco. Pour y aller, je me fais conduire à la station informelle “du coin de Tarabuco” et je me retrouve bientôt dans un bus local poussif et surchargé, qui met 2 heures à faire le trajet.

Le parcours se fait d’abord en direction de l’aéroport, puis le dépassant, à travers de magnifiques plateaux assez arides, mais bien peuplés et bien cultivés. Nous longeons un ancien chemin de fer maintenant abandonné ainsi qu’un gazoduc très simple, même élémentaire, un simple tuyau sur le sol.

C’est la totalité du village de Tarabuco, qui est pourtant grand, qui fait office de marché. Les populations de toute la région s’y rassemblent le dimanche pour vendre leurs productions agricoles et se procurer toutes les nécessités. On y trouve donc des milliers de paysans, des centaines de négociants, et toute la population du village.

Tarabuco se trouve en plein cœur de la région yampara où les traditions sont très fortes et demeurent extrêmement vivantes. Les danses locales figurent même au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Beaucoup de paysans arborent donc les costumes traditionnels.

Pour les hommes, ce sont des mantes longues et des ponchos délicatement tissés, de solides sandales quelquefois ornées d’éperons symboliques. Mais ce sont surtout des monteras, une sorte de casque en cuir en forme de cloche, qui descend largement sur les oreilles et laisse le front découvert. Il ressemble fortement au casque de fer (le morion) que portaient les conquistadors du 16ième siècle.

Chez les femmes, ce sont des jupes blanches bien sages portées sous des ponchos au tissage très détaillé et coloré, en plus du joq’ullu, une sorte de chapeau cylindrique noir orné de perles et de petits panneaux colorés tissés.
Comme c’est le village tout entier qui devient le marché, aucun véhicule n’est admis dans les rues. Une imposante troupe d’adolescents munis de petites charrettes à bras louent leurs services aux acheteurs pour le transport des emplettes, souvent massives et lourdes.

Pour le retour, je saute dans un minibus qui ne prend que quelques passagers et retourne à (trop) vive allure vers Sucre; nous y sommes en une heure. Puis, sitôt descendu, je suis happé par une incroyable cacophonie.
À quelques centaines de mètres de là, au début de l’avenue de las Americas, il y a un étonnant regroupement de fanfares. Chacune regroupe les mêmes instruments bruyants que les fanfares des “fraternités” vues la veille, et  les musiciens portent tous des complets-cravate aux couleurs extravagantes. Par exemple, pour l’une de ces fanfares, le groupe est divisé en trois parties qui portent l’une ou l’autre des trois couleurs riches et vives du drapeau national (rouge, jaune et vert).

La plus étonnante de ces fanfares, originaire d’Oruro (ville minière distante de 500 kilomètres, assez proche du lac Poopó), porte le nom de Banda Intercontinental Poopó. Les hommes. portent pantalons blancs, vestons rouges, et un authentique casque de mineur brun marqué de l’identification du groupe en jolies lettres dorées. En plus de jouer leurs morceaux avec beaucoup d’énergie, les musiciens (qui ne sont pas tous jeunes, loin de là) se livrent à de vigoureuses chorégraphies. Les observer suffit à être essoufflé !


J06 – Lundi 12 septembre

De Sucre à Potosi – 150 kilomètres

Notre chauffeur pour cette étape passe nous prendre vers 8 heures. Nous nous dirigeons aujourd’hui vers Potosí, la célèbre ville du Cerro Rico, la montagne riche.

À la sortie de Sucre, nous croyons voir un minaret un peu devant, le long de la route. Y aurait-il une mosquée à Sucre ? Non, c’est plutôt un lycée militaire. Et le “minaret” n’est que l’une des tours du Castillo de la Glorieta, l’ancienne résidence d’une célèbre famille locale, bizarrement anoblie par le pape Léon XIII en 1898.

Notre voyage se poursuit sur une bonne route moderne qui nous mènera à Potosí en 3 heures à peine. Je me rappelle pourtant avoir effectué ce même parcours en 1973 en une dizaine d’heures en zigzaguant péniblement sur un chemin primitif.

Nous descendons d’abord vers Puente Sucre, à 2200 mètres d’altitude. Nous traversons là le río Pilcomayo, où nous effectuons un court arrêt. On peut y voir le pont ancien qui paraît si fragile. Mais surtout, c’est pour moi un moment d’émotion de traverser cette rivière qui coule depuis Potosí (à moins de 100 kilomètres de là) pour devenir éventuellement le río Paraguay et éventuellement atteindre le río de la Plata et Buenos Aires (plus de 2500 kilomètres en aval). C’est pour moi la matérialisation de ce “chemin d’eau” qui a toujours uni le Cerro Rico, la montagne d’argent, avec l’Argentine.

Depuis le Pilcomayo, la route remonte très rapidement et nous retrouvons bientôt à l’altitude des 4000 mètres, sur un plateau entièrement couvert de cultures. Nous longeons un chemin de fer et des usines de traitement de minerai. Nous arrivons à notre hôtel avant le repas du midi. Il nous reste un peu de temps pour passer à la banque et changer nos plus grosses coupures en petits billets, qui devraient être plus faciles à utiliser dans les petits villages reculés où nous nous dirigeons pour le reste du voyage.

Vers 14 heures, nous avons rendez-vous avec un guide qui nous fera visiter l’une des nombreuses mines du Cerro Rico. En fait, à l’heure dite, c’est un groupe de 4 personnes qui nous attend: notre guide, le chauffeur du mini-minibus mis à notre disposition, la responsable des visiteurs de l’agence à Potosí, et le mari de cette dernière. C’est dire comme nous sommes bien encadrés, choyés !

Potosí, le centre du monde ?

La ville a été fondée dès 1545, comme centre de l’exploitation des richissimes dépôts miniers du Cerro Rico. Elle est rapidement devenue un des plus grands centres urbains du monde à cette époque. De 3.000 habitants en 1545, la population a passé à 120.000 en 1580, puis elle dépassait 200.000 personnes en 1650.

Le Cerro Rico est exceptionnel puisqu’il est considéré comme le plus grand gisement d’argent du monde. On estime que 60.000 tonnes de ce métal y ont été produites au fil des siècles. Charles Quint, roi d’Espagne et Saint-Empereur Romain, donna le titre de Imperial à la ville de Potosí pour marquer cette importance.

La découverte en 1572 du procédé d’amalgamation au mercure a permis une avancée technique cruciale au développement du Cerro Rico. Aux 16ième et au 17ième siècles, les mines de Potosí assuraient plus de la moitié de la production mondiale d’argent. Les monnaies frappées sur place transitaient vers l’Espagne via Lima et Panama pour soutenir l’âge d’or espagnol. Encore aujourd’hui, l’expression Vale un Potosí (Cela vaut un Potosí) créée en espagnol par Cervantès est toujours utilisée. Elle a le même sens que l’expression française C’est le Pérou, dont l’origine historique est la même, Potosí appartenant originellement à la région appelée alors le Haut-Pérou.

Les monnaies frappées à Potosí (environ 3.320 millions de “pièces de huit”) ont été largement utilisées en tant qu’unité de compte internationale pour les transactions commerciales, sur plusieurs siècles. De par leur usage en Europe, aux Amériques et en Extrême-Orient, elles devinrent la première devise mondiale. Elles furent la base d’un grand nombre de monnaies, dont tous les pesos et tous les dollars existants à ce jour.

Il faut malheureusement avouer qu’un tel développement ne s’est pas fait sans un coût humain très élevé: les mines de Potosí étaient des “mangeuses d’hommes”. Le pouvoir royal et colonial avait utilisé la coutume inca de la mita, un système rotatif de corvée, de travail forcé, auquel étaient assujettis tous les hommes valides des populations indigènes, pour des projets d’intérêt public. Mais, ce système balancé et juste sous les Incas, a été transformé par les Espagnols en une obligation excessive qui dépeuplait les campagnes et abusait de la vie même des mitayos. On estime à 8 millions le nombre de mineurs qui ont péri à Potosí au 16ième siècle. La mita a éventuellement été abrogée, mais on l’a remplacée pour un temps par l’importation d’esclaves africains.

Potosí a donc pu se sentir au centre du monde pendant quelques siècles. Mais c’était un centre bien cruel et tragique. Ses grandes mines d’argent sont devenues le symbole d’une grande richesse, mais aussi de l’oppression et de l’exploitation des indigènes, ainsi que de la résistance de ces derniers face à l’extrême brutalité de la domination coloniale.

La mine à visiter est située à peu de distance, peut-être 3 kilomètres, mais 250 mètres plus haut que notre hôtel. Notre guide, portant l’étonnant prénom de Elvis, parle très bien le français qu’il dit avoir appris sur le tas à guider des voyageurs francophones. Nous faisons un premier arrêt au vestiaire de son agence (ou de sa coopérative de guides, ce n’est pas clair) pour revêtir l’ensemble de vêtements requis pour notre séjour souterrain: des pantalons et une veste imperméables, des bottes de caoutchouc, un casque protecteur et une lampe électrique de mineur.
Elvis nous explique que la montagne, le Cerro Rico, est aujourd’hui exploitée par 48 coopératives regroupant plus de 17.000 mineurs, dont 15% sont des associés mais 85% des salariés.

Nous faisons un premier arrêt dans un des nombreux petits magasins qui bordent la rue qui monte à la montagne et à ses mines. Ces magasins fournissent tout ce qui est nécessaire aux mineurs pour leur travail. Il est habituel que les touristes effectuent un arrêt dans l’un d’eux pour y acheter quelque chose à donner aux mineurs qu’ils visiteront.
Nous pénétrons dans un de ces minuscules magasins, logeant au sous-sol d’une maison. Il y a tout juste la place pour la marchande, notre guide et nous deux. Elvis nous explique tout avec beaucoup de patience. Il y a évidemment des outils, pelles, pioches etc. Il y a de la dynamite, du nitrate ammonium, des détonateurs. Pour les mineurs eux-mêmes, il y a de l’alcool très fort, des cigarettes (autant industrielles qu’artisanales), des aliments, des eaux gazeuses. Et il y a bien évidemment la feuille de coca. On retrouve aussi les divers produits catalyseurs consommés pour permettre l’extraction de la cocaïne, comme de la chaux éteinte, du bicarbonate ou des cendres de quinoa, de banane ou de patate. Nous achetons des feuilles de coca et boissons gazeuses.

Nous montons ensuite vers la montagne, pour visiter la mine Monja Ocho de la coopérative Gorimayo, dont la galerie principale date des temps coloniaux. J’avoue que j’avais vraiment peur de m’enfoncer sous la terre, en suivant des galeries aussi anciennes et primitives, bien au-deçà des normes modernes de sécurité.

Si l’on se fie au décompte de mes pas (lors du retour) nous avons pénétré horizontalement de 600 mètres au creux de la montagne. Nous sommes heureusement demeurés au même niveau. Sinon j’aurais beaucoup hésité à m’enfoncer dans les étroits boyaux et les insondables puits qui relient verticalement les divers niveaux.

La mine est très ancienne. Mais, comme elle ne se révèle par aucune structure architecturale extérieure, il n’y a aucun moyen d’en évaluer l’âge. C’est une simple galerie qui s’enfonce dans la terre. Seuls de mauvais rails et les lourdes bennes qui y circulent attestent d’une certaine modernité.

Quelques mètres après l’entrée de la mine, nous faisons un arrêt dans une petite chambre latérale réservée à la représentation grotesque du Tio, l’inverse de Dieu (Dios), soit le diable. Pour les mineurs qui sont très croyants, le monde souterrain est régi par le Tio tout comme le monde extérieur est régi par Dios. Il est donc important de s’assurer de la complicité du Tio. Comme les mineurs eux-mêmes le font, nous invoquons les bonnes grâces de cette bizarre statue. Pour ce faire, notre guide arrose d’alcool presque pur les différentes parties de la statue (tête, pénis, bras, jambes, cœur, yeux), il dispose un peu partout des feuilles de coca en offrande, il allume une cigarette et la laisse brûler dans sa bouche. Malgré que les mineurs soient tous des catholiques, ils maintiennent fortement ces croyances traditionnelles.

Nous nous engageons dans la galerie, où nous perdons vite toute trace de lumière naturelle. Les galeries sont étroites, tout juste assez larges pour laisser passer une benne. Elles sont souvent tout juste assez hautes aussi, ce qui nous oblige souvent à courber l’échine. L’avancée est ralentie par la présence des rails, et par l’accumulation d’eau entre ceux-ci. Les côtés et le plafond sont maigrement étayés, et on constate que certains des étais sont sous tension. On se sent bien petit dans cette mine !

Le travail s’effectue pour l’essentiel à la main: à la barre à mine, à la pioche, à la pelle. Occasionnellement, les mineurs utilisent des outils à l’air comprimé pour forer les trous pour les bâtons de dynamite. Il n’y a aucune forme de ventilation dans les galeries. Il en résulte donc que les opérations de forage, de dynamitage et d’abattage du minerai créent de fortes concentrations de poussière. Les mineurs sont donc exposés à des problèmes respiratoires, depuis l’asthme jusqu’à la silicose. À cela il faut ajouter des contrastes malsains entre l’intérieur de la montagne (qui est chaud) et la basse température ambiante à la sortie.

Aussi, comme les mineurs sont en pratique des entrepreneurs qui sont payés selon leur maigre production finale, ceux-ci ont tendance à passer de très longs moments au travail, souvent plusieurs jours, jusqu’à l’épuisement. À ce titre, c’est surtout la mastication permanente de feuilles de coca qui permet de résister à un tel effort.

Elvis nous explique en détail les particularités du travail des mineurs, l’évaluation des teneurs, le minage, la pose des explosifs, l’abattage du minerai, le transport dans les galeries, la négociation des travaux de raffinage, etc. Nous déambulons dans la galerie principale, les pieds dans l’eau, le dos souvent courbé sous la voûte trop basse et les étais déformés. Nous entrons dans des chantiers latéraux.

Notre guide nous propose de monter ou de descendre à un autre niveau, mais ni Mario ni moi n’en avons vraiment envie. Les boyaux et les puits qu’il faudrait emprunter ne nous inspirent pas du tout confiance. Nous retournons donc vers l’extérieur, où nous retrouvons avec plaisir la lumière vive qui baigne le paysage minéral du Cerro Rico.

Nous constatons que les rails de la galerie mènent à la limite d’une pente, d’une petite falaise où les lourds chariots sont déplacés à force de bras sur une ligne de rails latéraux vers des sections distinctes pour chacun des groupes de mineurs qui partagent la même galerie. C’est là que le minerai brut est basculé vers l’une des zones distinctes de stockage réservées à l’une ou l’autre des équipes de travail, où il s’accumule au fil des jours. Puis lorsque qu’il y a suffisamment de minerai, les hommes le chargent (à la pelle et à la brouette) dans un camion. Il est ensuite transporté à un ingenio, une raffinerie. Les mines du Cerro Rico ont d’abord été connues comme une source d’argent, celui-ci a été pratiquement épuisé dès 1800. Maintenant, ce sont plutôt l’étain, le plomb et le zinc qui dominent la production.

Nous retournons au vestiaire, puis à la ville. Potosí est à 4000 mètres. Il fait vite froid dès que le soleil disparaît. Nous choisissons de manger assez tôt, en accompagnant le repas d’une Potosina, bière locale produite par ce qui s’avère être la brasserie la plus élevée du monde. Après le repas nous faisons une promenade dans la ville pour partager cette soirée avec les foules locales qui déambulent partout, bravant le temps froid, autour du zéro.

Nous passons devant une petite galerie d’art où une foule dense est attirée par le vernissage d’une nouvelle exposition et par une paire de musiciens fort doués. Cet excellent duo est composé d’un guitariste et d’un charanguero. Le premier paraît être un modeste ouvrier d’un certain âge tandis que le second a des allures de jeune professionnel. Nous sommes particulièrement captivés par le charango, un luth très particulier au son aigrelet dont le concept serait justement né ici même à Potosí. Il dispose d’un tout petit corps, utilisant traditionnellement une carapace de tatou comme caisse de résonance, mais elle est aujourd’hui construite de bois tout en conservant la forme bombée du tatou, et d’un manche assez long (pour compenser) portant le plus souvent 10 cordes groupées en 5 paires jouant chacune la même note. L’accordage est spécifique, pour permettre un jeu de la main droite particulier avec le pouce et un doigt. Le frotté rapide du musicien donne la sonorité doublée typique de la musique andine. Nous demeurons une bonne heure à écouter ce concert inattendu.


J07 – Mardi 13 septembre

De Potosí à Tupiza – 250 kilomètres

En matinée, nous visitons la magnifique Casa de Moneda (l’Hôtel des Monnaies), site emblématique de la ville impériale. Dès le début de l’exploitation de ce gisement, l’état colonial a vite senti le besoin de transformer le métal sur place en battant monnaie. Un premier Hôtel des Monnaies a été construit en 1572 et, malgré sa technologie rudimentaire, il a fonctionné pendant presque 200 ans. Il fut remplacé par un second Hôtel des Monnaies (celui que nous visitons), construit entre 1757 et 1770. Il aussi a été utilisé pendant presque 200 ans, jusqu’en 1951, pour des pièces espagnoles, boliviennes et même argentines.

C’est un magnifique ensemble d’édifices, de cours, d’ateliers et d’entrepôts, qui occupe tout un pâté de maisons. Un bel exemple d’architecture industrielle où la sécurité et l’esthétique allaient de pair. Les lieux servent aussi de musée, et font un bel écrin aux expositions d’orfèvrerie coloniale.

Nous avons été particulièrement impressionnés par les deux ensembles circulaires comportant chacun quatre laminoirs gigantesques mus par des chevaux. Ces machines, fabriquées en Espagne de chêne vert, avaient été ensuite démontées pour être transportées jusqu’ici puis patiemment remontées.

En après-midi, un minibus privé nous mène à Tupiza. Nous arrivons en 4 heures de route à cette ville de plus basse altitude sise à peu de distance de la frontière argentine. Nous parcourons une campagne plutôt sèche, avec des paysages colorées aux teintes d’ocre.

Notre destination est un bel hôtel moderne et confortable. La ville nous paraît sans grand intérêt. Nous sommes surpris de constater que les pizzerias y sont nombreuses à l’exclusion d’autres spécialités; ce sera donc une pizza ce soir-là.

Tupiza marque la fin de la partie plus confortable du voyage. Nous quittons les villes, les vrais hôtels et les restaurants. Nous commençons la portion la plus aventureuse, dans la partie la plus désertique de l’altiplano, avec les randonnées, les sommets, les volcans, les vastes troupeaux de camélidés. Demain matin, nous serons cueillis à l’hôtel par un guide-chauffeur et son 4×4. Ils nous promèneront pendant les 10 prochaines journées.


Suite à la troisième page…