Mon "scrapbook", tout simplement

Venise – septembre 2018

L’an dernier, à la fin du mois de juin, je découvrais Venise à l’occasion du voyage que Louise et moi faisions à Florence et Venise avec notre petite-fille Florence. Ce fut un réel choc que d’être confronté à une ville aussi particulière, aussi extraordinaire, aussi “anormale”. Tout me plaisait, en particulier l’omniprésence de l’eau et l’enchevêtrement unique des voies de communication. Mon cœur de géographe était comblé.

Nous n’y sommes restés que trois jours. Et nous logions dans un hôtel moins qu’intéressant de Mestre, sur la terre ferme. Il me fallait absolument y revenir. Dès mon retour à Québec, je me suis mis à échafauder le projet d’une visite plus longue, trois semaines, à partir d’un logement dans la ville même. Je voulais tout voir. Je voulais me perdre dans ses dédales. Je voulais découvrir les îles de la lagune. Je voulais y consacrer un budget suffisant pour ne rien rater. Au départ, Louise ne partageait pas la même envie, mais elle se laissa assez facilement convaincre de se joindre à moi pour ce voyage.

J’ai d’abord acheté les vols. Puis j’ai réservé le magnifique appartement, en plein milieu du sextier de Cannaregio, l’un des six “quartiers” de la ville. Puis j’ai consacré de nombreuses semaines à des recherches de plus en plus pointues, afin de monter un programme très étoffé, qui me ferait vraiment apprécier les lieux. Je me suis laissé aussi porter par la lecture des 26 ou 28 romans policiers de Donna Leon, qui mettent en valeur les enquêtes du sympathique commissaire Brunetti, toutes localisées à Venise. Mon projet voulait combiner les musées, les églises, les activités banales et quotidiennes et la cuisine très caractérisée de Venise.

Jeudi 6 septembre

Louise et moi avons été “brûlés” par la piètre performance des vols de Jazz entre Québec et Montréal. Deux de nos voyages de 2017 en ont été perturbés, entraînant des retards de 24 heures dès le départ, et des dépenses supplémentaires, qui n’ont jamais été ni compensées, ni remboursées. C’est pourquoi, nous avons programmé un décollage depuis Montréal, plutôt que depuis Québec. Nous nous y rendons en voiture, que nous laissons chez Hélène Lebeau à Laval.

Vendredi 7 septembre

Notre vol atterrit à Venise à l’heure, autour de 10h30. C’est parfait. Mais il pleut à boire debout. L’avion se gare à distance sur le tarmac, loin de l’aérogare. Il nous faut donc affronter cette méchante pluie pour atteindre les bus qui nous mènent à l’aérogare. L’arrivée (immigration, douane, bagages) se passe bien. Il ne nous reste qu’à nous présenter au guichet pour prendre possession de l’ensemble des billets de Venezia Unica (transport et musées) déjà achetés par Internet.

Nous avons un peu de peine à trouver le long corridor de 700 mètres qui mène à l’embarcadère des bateaux-taxi et vaporetti. Une fois trouvé, le transfert s’effectue rapidement car le corridor est équipé de tapis roulants. Nous arrivons dans ce qui s’avère être une très agréable gare maritime, nouvellement construite. L’attente pour notre bateau de la ligne orange de Alilaguna est un peu longue. Ce qui nous donne le temps de constater que la pluie a maintenant cessé. Ça nous fait drôle de passer ainsi directement de l’avion au bateau. C’est une combinaison bien rare. Peut-être unique même, sauf peut-être à Male aux Maldives.

Pendant notre attente, nous entendons soudain un énorme grondement de moteurs, qui ne cesse de s’amplifier. Puis nous voyons apparaître un groupe très serré d’avions à réaction petits et très bruyants. Il ne faut pas oublier que nous sommes toujours à l’aéroport, tout juste à 300 mètres d’une des pistes. Les avions sont bien des appareils militaires. Ils effectuent une passe rapide en formation au-dessus de la piste, puis exécutent quelques acrobaties simples au-dessus de l’aéroport, avant de revenir atterrir à la queue-leu-leu, les uns derrière les autres. Vérification faite un peu plus tard, il s’agit bien de l’équipe italienne d’acrobatie aérienne, les Frecce Trecolori (les flèches tricolores), pilotant des avions d’entraînement Aermacchi MB-339. Voilà tout un accueil ! Leur présence s’explique par un spectacle à être donné deux jours plus tard de l’autre côté de la lagune, à Jesolo.

Nous embarquons sur notre navette. Et nous voilà en route pour Venise. Si la pluie a cessé, les vents de bourrasque continuent toujours. Et ils fouettent les vagues. Même l’étroit canal de 2 kilomètres qui relie l’aérogare à la lagune est bouleversé par les vagues. La circulation intense et à grande vitesse des bateaux-taxi ne fait qu’apporter encore plus d’action. Nous longeons les chenaux marqués de Duc-d’Albe ou (en italien, des “bricole”), ces ensembles tellement typiques de trois troncs de chêne liés entre eux au sommet et enfoncés le long des canaux pour indiquer les voies navigables.

Nous longeons d’abord l’île de Murano (sans nous y arrêter), puis nous effectuons deux arrêts à des débarcadères du nord de Cannaregio. Nous débarquons à notre destination, à Guglie. Nous ne sommes plus qu’à 250 mètres de notre appartement, nommé si agréablement Ca’Felice, le “Palais heureux”. Il ne s’agit plus que de rouler nos valises le long du très achalandé Rio Terà San Leonardo. Notre appartement se trouve au fond d’une toute petite “rue” qui débouche sur cette large artère, la “Calle del Frutariol”. On l’appelle une rue, mais il s’agit d’un simple passage qui fait peut-être 1,20m de largeur et ne donne accès qu’à deux édifices. Il aurait été difficile de la trouver, si notre propriétaire ne nous avait fait parvenir une photo de l’entrée de la rue, bien marquée par une petite arche de pierre.

Notre propriétaire, c’est Sibylle, une allemande installée depuis longtemps à Venise auprès de son mari italien, mère de deux grands enfants bien italiens eux aussi, grande amatrice de bateaux vénitiens et sportive reconnue à la rame vénitienne. Elle nous accueille, en nous donnant toutes les instructions nécessaires. Elle nous prévient aussi qu’elle sera absente une partie de notre séjour, mais que sa fille (qui habite juste à côté) s’occupera de nous.

Les poubelles

Dès notre arrivée, notre propriétaire nous a mise au courant des pratiques vénitiennes concernant le ramassage des poubelles. Il faut dire que, dans une ville si particulière, ces pratiques ne peuvent qu’être très particulières.

Venise est une ville extrêmement dense, où tout le transport se fait par voie d’eau. Si bien que les déchets ne peuvent être laissés n’importe où. Chacun conserve donc ses déchets à l’intérieur de sa maison. Mais le ramassage se fait tous les jours (à l’exception du dimanche). Tôt le matin, entre 6 et 10 heures, le préposé de la rue ou de l’îlot signale son passage en sonnant à toutes les portes. Les Vénitiens lui portent leurs déchets ordures et leur produits à recycler (plastique, métal et verre un jour, papier et carton le suivant). Le préposé porte ces petits sacs jusqu’à un des ces astucieux chariots manuels à un seul essieu, capables de gravir et descendre les marches des ponts. Le chariot comporte deux sections distinctes, pour les ordures et pour le recyclage. Une fois rempli, le préposé roule le chariot vers l’une des petites péniches spécialisées, amarrées à une soixantaine d’endroits de la ville. La grue de la péniche soulève le chariot et le vide, jusqu’à ce qu’il soit plein. Il porte alors sa charge sur la terre ferme.

Notre première tâche est de nous procurer une carte locale d’abonnement pour les services de transport urbains de Venise, beaucoup moins chère que les cartes touristiques, et mieux adaptée à la longueur de notre séjour. Avec une telle carte, nous ne serons aucunement limités lorsqu’il s’agira de prendre un vaporetto. Nous nous rendons au bureau de l’ACTV de Piazzale Roma, où notre photo est prise et la carte émise.

De là, nous revenons près de l’appartement acheter un abonnement téléphonique auprès de la compagnie TIM. Et nous terminons cette petite tournée des nécessités en passant à l’épicerie Despar, située à 2 minutes de l’appartement, histoire de nous procurer les produits de base pour nos petits déjeuners. C’est un supermarché bien complet, installé dans l’ancien Teatro Italia, qui a conservé son magnifique décor d’époque.

Nous sommes un peu fatigués de notre traversée. Nous choisissons de souper d’une sélection de simples chichettis au café “Azienda Agricola” situé à deux pas, et qui figure sur ma liste de références. Nous nous couchons tôt.

Samedi 8 septembre

En cette première journée de notre séjour à Venise, nous décidons de visiter la partie extrême du sextier vénitien le moins visité, Castello. Nous prenons le vaporetto depuis le débarcadère de San Marcuola jusqu’au débarcadère de Santa Elena.

Nous sommes tout de suite impressionnés par l’environnement de ce débarcadère lointain, qui a les allures d’un parc forestier, très différent du décor habituel de Venise. L’explication en est bien simple. Ce quartier, qui regroupait une partie des milliers de travailleurs de l’Arsenale, était encore assez récemment (il y a un siècle) une île distincte, qui a été agrandie par remplissage. Ces zones ont été plantées et transformées en boisés et en parcs. Le quartier est très paisible. On n’y sent aucunement la pression touristique qui affecte la ville. Les rues sont presque désertes à cette heure. Les gens vaquent à leurs occupations. Les cordes à linge fleurissent partout. D’ailleurs, la présence de cordes à linge sera pour nous l’indication la plus fiable de la fonction résidentielle d’un quartier vénitien. Une bonne partie de l’île est occupée par une école militaire, évidemment hors limites pour tout le monde, sauf pour les cadets et officiers dans leur beaux uniformes blancs.

Nous nous rendons jusqu’à l’île de San Pietro, aujourd’hui bien tranquille, mais qui fut naguère bien au centre de l’activité de la société vénitienne. Nous visitons la basilique de San Pietro di Castello, fondée vers l’an 600, puis devenue la basilique du patriarcat de Venise dès 1450, jusqu’au moment où ce rôle central passera à la basilique de Saint-Marc autour de 1810. Un tel grand édifice surprend dans un quartier aussi paisible. Nous dînons dans un petit restaurant de la place Garibaldi, toute proche.

L’un des agrandissements de terrain du siècle dernier est devenu aujourd’hui un parc très boisé qui est le centre des activité de La Biennale. Nous longeons la lagune puis nous traversons les terrains de ce parc. Mais sans entrer dans les pavillons, qui sont réservés aux détenteurs de billets de La Biennale.

J’annonce à Louise que je la mènerai bientôt à deux surprises. Nous passons devant l’entrée “de terre” de l’Arsenale, puis nous nous engageons dans la partie ouest de Castello.

La première de ces surprises, c’est le “Sotoportego dei Preti”, un tout petit passage qui traverse plusieurs édifices et relie deux rues. Le passage est étroit, et très bas de plafond à son issue nord. C’est justement à cet endroit qu’un maçon des temps anciens a inclus une petite brique en forme de cœur dans le mur qui surplombe à peine la sortie du passage. On donne à cette petite brique la réputation d’accorder un amour éternel aux couples qui la touchent. Après de telles émotions, nous nous octroyons de déguster une crème glacée sur le Campo Bandiera e Moro où nous avions aussi fait une pause l’année précédente avec Florence.

Je mène ensuite Louise vers la seconde surprise, une librairie très particulière, localisée au niveau le plus bas d’un édifice, à peine au-dessus du niveau du canal. Cette librairie s’appelle “Acqua Alta”, du nom des hautes marées qui affligent Venise plusieurs fois chaque année. Elle tient des livres neufs et usagés, surtout en langue italienne, dans un espace très restreint, bas de plafond, et même “bas de plancher”. Les hautes marées l’envahissent facilement, ce qui fait que les employés sont très habitués à déplacer les livres des tablettes les plus basses vers les tablettes les plus hautes. On a même installé une vieille gondole au beau milieu d’une des salles, en tant que table d’exposition de livres. La librairie est pleine de chats. Il y en a partout, qui dorment sur des piles de livres, ou dans des recoins. Ce sont les maîtres des lieux !

Une large porte s’ouvre aussi sur le canal, où le libraire a amarré une vraie gondole où les visiteurs, surtout les couples, s’empressent de prendre une photo. Une autre porte donne sur une courette bornée d’un haut mur de brique, probablement bien utile pour retenir les hautes marées. Mais il est possible de grimper au haut du mur et jeter un coup d’œil sur le canal en escaladant une surprenante palissade faite de gros volumes que l’on peut grimper par deux escaliers faits de gros tomes empilés. Une surprenante librairie, qui est toujours remplie de visiteurs.

Dimanche 9 septembre

Le dimanche, Venise est une ville plutôt tranquille. Les magasins sont en général fermés. Sauf ceux qui font commerce avec les touristes. Les petits bars et restaurants fréquentés par les locaux sont eux aussi fermés. On retrouve un peu de l’atmosphère perdu des dimanches non-commerciaux d’antan. Nous choisissons d’explorer le sextier de Dorsoduro, en suivant l’itinéraire proposé par Venezia Unica. Des canaux, quelques chantiers navals. Nous longeons les quais qui donnent vers la Giudecca. 

Nous traversons vers l’île de San Giorgio, où nous n’avions pas eu la chance de nous arrêter l’année dernière. La vue de l’île depuis la place San Marco, la beauté de l’église et l’harmonie de l’ensemble qu’elle fait avec le monastère et les autres bâtiments s’impose comme une des vues les plus classiques de Venise.

Les bâtiments de l’île, occupés par les militaires pendant 150 ans, ont été restaurés par la Fondazione Giorgio Cini, qui lui a donné une vocation artistique. Parmi les édifices, le “Stanze Del Vetro” est une salle d’exposition consacrée à l’art de la fabrication du verre aux XXème et XXIème siècles. Nous découvrons une exposition en train d’être inaugurée, portant sur la production exceptionnelle de la verrerie Cappellin pendant les années 1920 sous l’impulsion du designer Carlo Scarpa. Une très belle exposition de pièces uniques, combinant une grande simplicité avec une dextérité technique incomparable. Nous nous émerveillons de toutes ces pièces de beauté réalisées dans ce matériau tellement fragile.

Juste à côté, sur un terrain recouvert de gros gravier, l’exposition d’une œuvre monumentale de verre d’une artiste américaine nommée Pae White. L’installation (nommée Qwalala) est une longue “muraille” (75 mètres de long et jusqu’à 2,4 mètres de haut) ondulante, construite de milliers de grosses briques de verre, les plus basses incolores, les plus hautes dans une gamme de 26 coloris. Impressionnant. Chacune des briques massives (20 x 20 x 40 centimètres peut-être) laisse voir par transparence une “tempête” créée par des filets de verre plus opaques. 
En sortant de cette magnifique exposition, nous avons envie de nous promener dans les jardins de cette magnifique île. Nous y croisons ce qui tient lieu de Pavillon du Vatican pour La Biennale, une succession de créations architecturales temporaires sur le thème des “chapelles”.

Nous retournons à la maison par un vaporetto de la ligne 2, qui nous y laisse après une mini-croisière sur le large canal de la Giudecca et la découverte du port des croisières. Nous soupons dans un restaurant voisin sur le Rio Terà San Leonardo, le Ristorante Speranza, offrant une cuisine trop touristique et trop chère.

Lundi 10 septembre

Nous profitons de cette belle matinée bien chaude pour commencer notre visite de la lagune. L’année précédente, nous avions rapidement visité Murano et Burano, mais sans vraiment nous y attarder. Nous avons toutefois un souvenir très mémorable d’une longue (presque 2 heures) et riche démonstration de soufflage de verre, dans un des nombreux ateliers de Murano. Le maître et son assistant avaient réalisé quatre œuvres différentes devant nos yeux ébahis.

Mais, ce matin, nous partons plutôt pour Torcello, où nous n’avions pas fait escale l’année dernière. Bien que cette île soit pratiquement déserte aujourd’hui, ce fut la première zone du peuplement de la lagune à partir du VIème siècle, et l’île la plus peuplée (de quelques milliers d’habitants) au Xème siècle. La création de Torcello et le peuplement de la lagune avaient une valeur de refuge défensif, après le passage destructeur des Huns.

Il ne reste plus grand chose du Torcello ancien, hormis la remarquable cathédrale Santa Maria Assunta et son campanile, vestiges de l’époque où le pouvoir religieux était basé à Torcello. L’arrivée à Torcello est agréable. Le vaporetto nous laisse sur une rive presque déserte, assez loin de la cathédrale. Il fait beau, et c’est une belle promenade, le long d’un petit canal. Nous croisons le “Pont du diable”, ce qui nous apparaît comme une fine lamelle arquée de pierre, lancée au-dessus du canal. Nous tenons toujours le campanile bien en vue, droit devant nous. Nous atteignons vite la petite bourgade qui tient lieu du centre de Torcello.

Nous passons d’abord à l’église Santa Fosca, la “moderne”, qui ne date que du onzième ou du douzième siècle. Une église octogonale surmontée d’un dôme, qui tient lieu d’église paroissiale, de culte ordinaire. Nous passons ensuite à la cathédrale Santa Maria Assunta qui, elle, date du septième siècle. Sous des airs un peu rudes, cette si vieille église nous éblouit d’abord par son volume assez restreint, presque intime. Elle nous attire ensuite par son magnifique plancher composé d’un motif réalisé de vieilles pierres très usées. Mais ce sont ses magnifiques mosaïques d’esprit byzantin qui nous font l’aimer. En particulier la haute composition du mur arrière qui dépeint avec beaucoup de détails le jugement dernier. J’ai l’impression de retrouver les mosaïques de Ravenne, que je ne connais pourtant que par des reproductions.

Nous traversons ensuite vers Burano. Notre principal objectif est la visite du Musée de la Dentelle. Mais il est fermé le lundi. Nous prenons un excellent et raffiné repas de pizza. Nous continuons la visite en faisant le tour de l’île voisine de Mazzorbo, reliés à Burano par une passerelle. Une île potagère, avec de belle églises.
Nous prenons le premier vaporetto qui passe à Mazzorbo. Il se rend d’abord à Burano, d’où nous croyons qu’il prendra le chemin de Venise. Mais c’était ignorer qu’une autre ligne aboutit à Burano. Nous le comprenons dès que le bâtiment quitte le débarcadère, puisqu’il effectue un demi-tour et prend plutôt le cap opposé. Nous aboutissons plus au nord, à Treponti. Nous paniquons un peu, mais nous demeurons à bord jusqu’à Punta Sabioni, d’où nous pouvons prendre la ligne 14 qui nous ramène à Venise via le Lido.

Mardi 11 septembre

En cette autre belle matinée, nous nous levons très tôt, vers 06h30. L’objectif est de faire une longue marche dans la Venise non encore envahie par les touristes. Nous prenons d’abord le vaporetto à San Marcuola pour traverser le Grand Canal, vers le débarcadère de San Stae, à moins de 200 mètres. Car nous voulons commencer la journée par une reconnaissance de la place où nous irons danser le tango ce soir là. Cette place est le Campo San Giacomo dell’Orio. Après quelques hésitations nous le trouvons assez facilement. C’est une belle place, avec quelques grands arbres. C’est une chose rare sur les places de Venise, où la verdure est généralement absente. Elle se démarque par un pavement bien lisse de pierres bien polies, une autre rareté ici; on comprend maintenant le choix de cette place pour une activité de danse.

Nous nous amusons à trouver le chemin pour atteindre le marché du Rialto par les surprenantes venelles qui tiennent lieu de grandes artères de la circulation vénitienne. Nous n’utilisons presque pas la carte, car nous suivons les indications “Per Rialto” peintes sur les murs. Même si la signalisation n’est pas vraiment standardisée ou même systématique, nous prenons plaisir à nous perdre dans ce si beau labyrinthe.

Les adresses

Venise se démarque par son système très particulier de repérage des maisons. L’ordonnancement des maison de Venise ne suit aucune logique. L’adresse d’une maison ne fait aucune référence à la rue où elle se trouve. Cela apparaîtrait pourtant bien sensé pour tous les non-vénitiens. Mais le réseau des rues, ruelles, passages (sotoportego), impasses, cours ou canaux est tellement complexe que leurs noms historiques (et souvent très sympathiques) n’offrent qu’un repère bien approximatif. Sans compter qu’on retrouve même beaucoup de doublons dans des zones distinctes de la ville. On a préféré identifier les maisons par le seul nom du quartier auquel on affixe de manière consécutive un numéro de quatre chiffres. Il faut donc nécessairement utiliser un plan ou une carte pour retrouver une adresse. Je parle d’un “quartier”, mais comme Venise est plutôt divisée en six zones, on peut plus correctement parler de “sextiers”.

Il est encore bien tôt dans la journée. Bien rares sont les commerces déjà ouverts. Seulement quelques cafés. Les rues sont ainsi un peu tristes, car les devantures sont le plus souvent fermées de grands volets anonymes. L’activité manque. Nous atteignons le marché du Rialto, où les marchands en sont encore à s’installer. Nous traversons le pont du Rialto, tranquille et dégagé à cette heure, puis nous revenons à la maison par l’enfilade rapide de cette “autoroute vénitienne” qu’est la Strada Nova.

Nous prenons notre déjeuner. Puis nous reprenons le vaporetto vers San Marco. Au programme, la visite du Palais des Doges. Très intéressant. Un magnifique édifice. Des salles publiques immenses, parées d’un grand nombre d’œuvres peintes et sculptées. Nous n’hésitons pas à voir une exposition optionnelle, célébrant le 500ième anniversaire de Tintoretto, Le Tintoret. Une exposition intelligente et riche de nombreuses œuvres, qui nous raconte bien l’histoire de ce peintre de génie. Nous visitons également les prisons du palais et traversons à deux reprises le célèbre Pont des Soupirs. Nous complétons notre visite par le Musée Correr et sa large suite d’expositions. Je suis particulièrement marqué par une présentation qui traite des origines de l’imprimerie à Venise et en Europe.

Nous revenons à la maison. Un saut au supermarché. Une lessive. Puis nous prenons notre repas du soir à la maison, en prévision de la soirée de tango. C’est plus facile de nous organiser ainsi. Au menu, des pâtes sauce puttanesca enrichies de crevettes nordiques.

Nous passons ensuite quelques heures à danser le tango sur le Campo San Giacomo dell’Orio. Il y a une soixantaine de danseurs. La musique est correcte. Mais nous souffrons un peu du manque de sièges autour de la piste.
Pour revenir du Campo San Giacomo dell’Orio et traverser le Grand Canal nous longeons le Palazzo Mocenigo. Juste devant, nous découvrons la charmante vitrine d’une petite boutique étalant toutes sortes d’objets et de tableaux découpés à la scie sauteuse dans des plaques ou des pièces de bois. Des jeux, des jouets, des reproductions, de petites lampes, des casse-têtes. C’est beau et ça semble bien fait. Nous nous promettons de revenir visiter cette échoppe.

Mercredi 12 septembre

Nous prenons le vaporetto jusqu’au débarcadère de l’Accademia, pour nous rapprocher un peu de notre objectif pour cette matinée, la Collection Peggy Guggenheim. Nous passons quelques heures dans ce palais inachevé du 18e siècle qui a été la résidence de cette richissime collectionneuse, et qui est devenu l’écrin de sa collection personnelle d’œuvres d’art moderne. Nous avons vu là beaucoup d’œuvres d’une grande variété de peintres différents. Toutes étaient intéressantes. Mais pour nous la collection paraissait éclectique. Sa valeur didactique m’a paru bien limitée car il était difficile de lui trouver un fil conducteur. Il faut dire que j’aime particulièrement “me faire compter une histoire” lorsque je visite un musée. En plus, les salles sont tellement étroites qu’il est impossible pour les visiteurs de ne pas se nuire les uns les autres. La seule expérience qui m’a vraiment plu a été la salle regroupant plusieurs œuvres de Jackson Pollock, qui a été un protégé de Guggenheim; j’ai pu un peu mieux comprendre cet artiste bizarre et suivre une partie de son évolution.

Nous cassons la croûte dans un petit bar, à la vénitienne, debout dans la rue, une petite assiette en équilibre sur une minuscule tablette imbriquée dans le mur du bar, un verre de vin à la main. Nous continuons, toujours dans le sextier de Dorsoduro, jusqu’au Musée de Ca’Rezzonico, un magnifique édifice, dont les expositions plutôt éclectiques nous laissent un peu sur notre faim.

Pour le souper, nous sommes allé dans un restaurant de notre quartier, situé le long du canal de Cannaregio, la Trattoria Bar Pontini, pour lequel nous avions de bonnes références. Nous avons tenté d’y aller quelques jours plus tôt. Mais nous y avions alors découvert une bonne file d’attente, le long du canal. Nous avons hésité et avons plutôt préféré faire une réservation pour un autre jour. Nous avions eu le temps de constater que le restaurant est particulièrement populaire auprès des asiatiques. Nous y découvrons un bon menu, dans la tradition vénitienne. Et par une serveuse cubaine particulièrement sympathique et efficace. Nous aurons un vrai spaghetti à l’encre de seiche, une morue à la tomate, des spaghettis aux fruits de mer.

Après le repas nous faisons une grande marche dans notre sextier de Cannaregio, en prenant bien notre temps. Au fil de nos déambulations, nous croisons une équipe de pompiers sur leur puissante vedette. Ils sont là pour récupérer une barque coulée au fond du canal. Un spectacle impressionnant avec les feux clignotants, le bruit des grosses pompes, les cris des pompiers. Pendant ce temps, le propriétaire assiste, impassible, au déroulement de l’opération. Et nous aussi, bien assis sur des marches de l’autre côté du canal. Une gentille dame nous prévient du danger de nous déplacer sur les marches inférieures, couvertes de d’algues et de champignons très glissants, comme les marches de tous les débarcadères historiques de Venise.

Jeudi 13 septembre

Nous commençons la journée par une visite du Musée histoire naturelle, une exposition plutôt intéressante quoique un peu éclectique. Je souffre un peu d’y voir une belle grande pirogue Asmat (de Nouvelle-Guinée) abandonnée sur le quai du Grand Canal. Elle n’est ni accessible, ni mise en valeur. Simplement oubliée, sauf pour les passagers des vaporetti.

Nous visitons ensuite l’église San Giacometti dall’Orio. Une des plus anciennes de Venise. Puis nous continuons vers le Musée Mocenigo. L’ancienne résidence d’une puissante famille noble ayant produit sept doges. D’abord une bâtisse magnifique. Ensuite une belle exposition axée sur les vêtements et les parfums. En plus, je suis particulièrement marqué par la beauté des tissus qui tapissent les murs. Une production sans doute moderne, mais copiée sur des tissus d’époque. Ils se déclinent en plusieurs couleurs, mais toujours sur le même motif abstrait, et intemporel.

À la sortie du musée, nous traversons la rue vers la petite boutique de bois découpé aperçue deux jours plus tôt au retour du tango. L’artisan-propriétaire, monsieur Morandin, nous y accueille avec force détails sur son travail et sur ses techniques. Nous faisons le tour de la boutique et nous sommes immédiatement charmés par une fort agréable reproduction de la page-couverture de l’album “L’Île Noire” de Tintin. Nous passons une bonne heure à en envisager l’acquisition. Mais la somme de travail nécessaire à sa production en fait un objet qui est très cher. Nous quittons monsieur Morandin en lui professant notre intérêt, et en l’assurant qui nous y penserions. Mais, en réalité, nous étions convaincus qu’il n’en serait rien.

Nous enchaînons avec la visite de l’église de San Stae, à l’architecture très homogène et très simple. Nous visitons le musée de Ca’Pesaro, puis nous passons par un tout petit magasin de bijoux que j’avais remarqué dans ma recherche. Nous soupons au restaurant “Al Timon”, dans sa succursale vouée aux viandes. Des gnocchis de betterave et gorgonzola. Des cicchetti variés. Une grillade de bœuf grillé. Un Pinot grigio.

Vendredi 14 septembre

Nous prenons le vaporetto vers San Toma. Nous faisons une visite rapide de la Casa de Goldoni. Puis nous visitons l’église Santa Maria Gloriosa.dei Frari et l’église de San Rocco. Nous passons plus de temps à admirer la Scuola Grande di San Rocco, le local grandiose d’une fraternité de bienfaisance qui regroupait l’élite de la ville. Enfin nous traversons à la Giudecca pour voir l’église du Redentore.

Puisque nous sommes sur l’île de la Giudecca, nous décidons de dîner dans un petit restaurant familial, seulement ouvert le midi, “Al Pontil dea Giudecca”. Nous avons une adresse, et nous savons qu’il doit être juste à côté de l’église du Redentore. Nous ne parvenons pas à le trouver vers l’est car les adresses ne correspondent pas. Nous essayons vers l’ouest, sans plus de succès, car il manque des numéros aux portes. Puis, soudain, nous le trouvons: une simple maison, sans vitrine, sans aucune affiche sur le quai. C’est bien là, un petit bar, avec une demi-douzaine de petites tables, quelques habitués qui mangent ou prennent un coup. Le patron est au bar, un ami au service, la patronne à la cuisine. Le menu est simple, et très appétissant. Nous choisissons de nous limiter à des premiers plats, des spaghettis aux tomates et des spaghettis aux fruits de mer. Sans oublier un fraîche fiole de vin.

Nous continuons notre visite de la Giudecca jusqu’à l’île de Sacca Fisola. Nous revenons à Cannaregio par vaporetto, descendons devant la gare, puis faisons un détour pour visiter l’église de San Giobbe. Mais celle-ci est fermée en raison de travaux.

Ce soir, nous sortons. À un opéra donné par le groupe “Musica a Palazzo”. En fait, un opéra-de-poche, sans décors, sans chœurs, avec un simple orchestre de chambre. Le spectacle est donné pour un petit groupe d’une cinquantaine de spectateurs, dans un palais donnant sur le Grand Canal. C’est l’intérêt de la chose.

Pour simplifier les choses nous mangeons à l’appartement. Mais puisque nous sommes un vendredi, nous respectons une longue tradition de bière-chips à 17 heures, la bouteille de mousseux (prosecco) offerte par notre propriétaire comme cadeau de bienvenue remplaçant la bière. Puis nous soupons d’une délicieuse lasagne du supermarché.

Nous nous changeons avec tout le tralala nécessaire pour une soirée à l’opéra. Puis nous prenons le vaporetto, qui nous laisse au débarcadère de Santa Maria del Giglio. Nous sommes à deux pas du Palazzo Barbarigo-Minotto. C’est là que nous assistons à la représentation de “Rigoletto” de Verdi dans une version d’opéra-de-poche. En tout 5 chanteurs, soutenus par une pianiste, un violoniste et un violoncelliste. Aucun décor, autre que les trois magnifiques salles du palais entre lesquelles nous nous déplaçons, d’acte en acte. Un réel opéra-de-chambre.

Samedi 15 septembre

Nous consacrons cette journée à une ballade dans l’une des îles de la lagune, Sant’Erasmo, une île-jardin où Venise s’approvisionne en légumes, en particuliers ses petits artichauts violets. L’île est plutôt grande (la seconde après Venise urbaine) mais très peu peuplée (780 habitants). Nous en faisons le tour, en grande partie sur une digue qui la borde à l’est, entre les cultures, les fermes et les étangs d’une part et les oiseaux de la lagune d’autre part.

Nous prenons le repas du midi au seul restaurant que compte l’île, aux abords d’un ancien fort autrichien. Puis nous revenons au débarcadère pour prendre le vaporetto qui pourra nous faire traverser les 100 mètres qui nous séparent de l’île du Lazzareto Nuevo. Il faut dire que l’accès à cette île inhabitée ne se fait que sur demande. Son intérêt est qu’elle a été pendant longtemps la station de quarantaine pour les commerçants étrangers qui arrivaient à Venise. Elle était alors densément peuplée, et très contrôlée.

Les visites ne se font qu’en fin de semaine, en petits groupes, et seulement sur réservation. Nous avons donc la chance de la visiter, avec un bénévole d’une association d’architecture. Les murs d’enceinte existent toujours, mais la plupart des bâtiments ont été détruits, à l’exception des solides magasins de poudre et d’un des deux immenses entrepôts, qui fait office de musée. Une belle visite fort intéressante.

Les puits

Au cours de la visite du Lazzareto j’ai découvert un des secrets de Venise. On nous fait voir un puits historique, aujourd’hui abandonné, en détaillant son mode de fonctionnement. J’ai toujours supposé qu’un puits pénètre toujours profondément dans le sol pour permettre d’atteindre une nappe d’eau potable alimentée par des montagnes lointaines. À Venise, ce serait difficile car les ouvertures des puits sont à quelques décimètres au-dessus d’une lagune très saumâtre. J’ai appris que le puits du Lazzareto (comme tous les autres puits ?aujourd’hui condamnés? de Venise) est plutôt le fruit d’une savante construction. On aménage un vaste bassin d’argile imperméable (souvent de la grandeur d’un campo, d’une place) tout juste au-dessus du niveau de la lagune, on remblaie de matériaux poreux comme le sable, on recouvre de tuiles trouées ou poreuses, on “plante” un puits en plein milieu et on laisse la pluie qui tombe remplir le bassin d’argile. Voilà un puits vénitien bien fonctionnel ! Une belle ingéniosité !

Nous soupons à l’appartement, du reste de lasagne, d’olives, de sardines aux oignons et d’un vittelo tonnatto commercial presque aussi bon que celui que je cuisine.

Dimanche 16 septembre

Nous consacrons cette journée à deux minuscules îles du sud. La visite de l’une d’elles ne peut se faire qu’en fin de semaine. Nous descendons le Grand Canal en vaporetto jusqu’à San Marco, puis nous prenons la ligne 20 pour San Sèrvolo. Cette île a d’abord été un monastère, puis un hôpital militaire, ensuite un hôpital psychiatrique. Depuis la fermeture de ce dernier, l’île est occupée par un centre de congrès et par la “Venice International University”, un campus géré par un consortium de 17 universités internationales. Nous sommes surtout intéressés par la visite du “Museo del Manicomio”, le musée de la folie, qui relate le fonctionnement largement dépassé d’un “asile de fous” d’une époque bien révolue. L’île a été constamment agrandie au cours de son histoire, de sorte qu’elle a pris beaucoup d’ampleur.

Nous avons beaucoup de peine à trouver ce musée, bien caché dans ce centre de congrès de bon ton, avec terrains de sport et barbecue. Ça nous permet de faire le tour de l’île et de constater combien le lieu est paisible et agréable, à moins de 10 minutes de la folle effervescence de San Marco. Nous prenons le temps de dîner à la cafétéria, où le menu rappelle plus les cafétérias des universités québécoises que les excellents cafés vénitiens. Nous trouvons finalement le petit musée, à l’étage d’un édifice. Le musée est plutôt petit. Une unique gardienne et aucun autre visiteur. Il nous permet de constater comment notre société avait une vision très déficiente des maladies mentales. Nous avons droit à la visite privée de la chapelle de l’hôpital et de son antique pharmacie.

Nous reprenons le vaporetto vers la seconde île, celle de San Lazzaro degli Armeni, à seulement 600 mètres de distance. Cette île est entièrement occupée depuis 1715 par le monastère catholique arménien de l’ordre mékhitariste, dont les membres ont le devoir d’accomplir des œuvres intellectuelles, écriture, lecture et recherche. L’ordre a joué un grand rôle dans le maintien et le renouveau de l’héritage culturel arménien. L’île n’est séparée que de 150 mètres du cordon littoral du Lido. Comme les visites ne s’effectuent qu’une fois par jour, et seulement les samedis et dimanches, il y a foule devant le portes du monastère. Au bout de quelques instants, les moines et quelques bénévoles organisent la foule en groupes selon les langues.

Le monastère a été créé au moment où l’Arménie était sous le joug de l’Empire byzantin, lequel empêchait toute manifestation culturelle arménienne. Les moines ont été accueillis à Venise et ont fait de cette île un centre essentiel de la culture arménienne. Dans une ville où l’imprimerie et l’édition ont toujours été prisés, le monastère a été depuis ses origines un centre de diffusion de la littérature et de la religion de l’Arménie. Nous visitons le monastère, ses musées et une magnifique bibliothèque de livres rares.

Au retour, le traversier nous laisse à San Marco, et nous en reprenons tout de suite un autre le long du Grand Canal pour atteindre le débarcadère de San Toma. Car, nous avons l’intention de souper à la “Cantina Do Spade”, un restaurant à menu traditionnel dont j’ai découvert le magnifique site en faisant mes recherches. Nous trouvons facilement ce tout petit local qui donne sur un ancien passage, étroit de 2 mètres, infiltré sous un grand édifice. Même s’il est encore tôt, toutes les tables sont prises, et il n’y aura pas de place avant 2 ou 3 heures. Nous préférons réserver notre place pour un jour suivant.

Nous cherchons une alternative dans ce quartier entre le Rialto et San Polo, à partir de la sélection de mes recherches. Nous optons pour l’Osteria Dai Zemei, qui m’avait attiré par son menu très vénitien. Nous faisons un très bon repas, avec une grande friture de poissons pour moi, et un poisson grillé pour Louise. Je prends en premier plat une assiette de “bigoli in salsa”, de très gros spaghettis rugueux, qui “accrochent” bien une sauce aux sardines et aux oignons doucement fondus ensemble, une spécialité souvent dégustée les vendredis de Carême ou la veille des grandes fêtes religieuses. Un régal !

Lundi 17 septembre

En préparant ce voyage j’ai été attiré par un lieu très particulier (et très méconnu) de Venise, l’Arsenale. Il s’agit du grand chantier naval créé en 1104 par le gouvernement vénitien pour la construction et l’armement de la marine militaire et marchande de la République. Ce vieux chantier, en grande partie inoccupé, couvre peut-être le huitième de toute la surface de la ville mais il n’est jamais visité. C’est bien malheureux qu’il en soit ainsi, car ce lieu a été le premier grand site industriel du monde, des siècles avant l’industrialisation du 19ième siècle. Ses 16 000 travailleurs y construisaient les navires à la chaîne, à un rythme pouvant atteindre un navire par jour. Les armées et même les croisades y faisaient construire leurs flottes. Le site de 45 hectares (à peu près 10 à 12% de la superficie de Venise) est maintenant occupé par les militaires qui ne permettent pas les visites. Mais en arrivant à Venise, je découvre que “La Biennale”, qui occupe certains des entrepôts pour ses propres expositions, organise une petite visite du site, une fois la semaine. Je nous inscrit à la prochaine visite.

Ce matin, nous nous levons un peu plus tôt, et nous partons bien d’avance pour cette visite, fixée à 11 heures, du moins le croyais-je. Nous arrivons au lieu du rendez-vous, pour constater qu’il n’y a personne. La porte de la grande muraille est bien close. On nous répond que les expositions de La Biennale sont fermées les lundis. Après bien des explications (avec mon italien approximatif), la gardienne parvient à retrouver notre guide, qui nous explique que notre rendez-vous était à 10 heures plutôt qu’à 11 heures. Même si nous sommes les seuls visiteurs enregistrés pour cette semaine, il est trop tard pour débuter la visite, qui dérangerait des activités qui commencent dès midi. Je me sens bien stupide d’avoir fait cette erreur. Nous reprenons rendez-vous pour la semaine suivante.

Nous marchons un peu dans le “sextier” de Castello pour absorber notre déception, puis nous décidons de visiter des églises du sextier de San Marco : Santa Maria del Giglio, Santo Stefano, San Moisè, San Zulian. Nous réalisons que nous sommes tout près de La Fenice. Voilà la belle occasion de la visiter ! D’autant plus que ce sera agréable de connaître ce théâtre, où nous devons voir un opéra le surlendemain.

Nous sommes bien excités de découvrir ce magnifique théâtre bien coincé dans le tissu urbain de Venise. On a peine à imaginer que cet édifice qui paraît si petit de l’extérieur, qui est entouré de toutes parts par d’étroits canaux, abrite en fait une des grandes maisons d’opéra du monde. L’espace qu’il occupe est tellement exigu, que l’entrée et le foyer sont entièrement décalés par rapport à l’axe central de la salle. Le théâtre porte bien son nom (le Phénix) puisqu’il a été reconstruit après trois incendies qui l’avaient détruit, en 1774, en 1836 et en 2001. La visite autoguidée se fait à l’aide d’une agréable et complète présentation audio-visuelle sur un téléphone mobile qui nous est prêté. Nous découvrons que les sièges que nous avons méticuleusement réservés pour le surlendemain sont au même niveau que la Loge Royale, dans la loge juste à côté en fait.

Mardi 18 septembre

Nous sommes déjà allés à Burano la semaine précédente. Mais nous y étions un lundi, jour de fermeture du Musée de la Dentelle. Nous y retournons aujourd’hui, précisément pour visiter ce musée. L’exposition est très agréable et très didactique. Nous pouvons ainsi apprécier toutes les particularités de cet art aujourd’hui un peu délaissé.
Nous revenons à la maison, sans dîner. Nous soupons à la Cantina Aziende Agricole, de petits premiers plats (primi piatti) de pâtes et de vin. Nous nous sentons paresseux et décidons de ne pas aller danser le tango ce soir là.

Les restaurants

 

À Venise les restaurants ne manquent surtout pas. Il y a pléthore de cafés, d’osterias, de restaurantes, reflétant les 20 millions de visiteurs annuels plus que les 55000 résidents.

Les cafés les plus locaux (bacari, bacaro au singulier) ouvrent tôt le matin, mais ils sont tous fermés dès 20 heures. Aucun n’est ouvert le dimanche non plus. Ce sont à la fois des cafés et des bars à vin. On peut y consommer un café ou un verre de vin en l’accompagnant de petites bouchées, plus souvent salées. Ces bouchées peuvent être une pâtisserie (le matin), un cicchetti (ces petites tartines salées, qui peuvent rappeler les tapas espagnoles ou les pintxo basques), un tramezzini (des sandwichs de pain de mie aux crevettes, à la chair de crabe, au thon ou aux oeufs, etc…), un crostini (de petites tranches de pain garnies d’anchois, d’artichauts, de baccala mantecato,…), un oeuf dur, une boulette (polpete) à base de viande ou de poissons, un peu de sardine in saor, des fritures aussi. Les locaux sont toujours petits, sinon minuscules. Le patron officie derrière le bar, seul ou avec un ou deux employés, rarement plus. Peut-être un cuisinier pour les préparations, hors de vue. Les clients sont des locaux qui viennent seuls, avec des voisins, avec des collègues, prendre un café ou une “ombra” de vin. Les bacari ne servent les clients qu’au bar. Pas de tables. Pas de chaises. Rarement des tabourets. Les vénitiens boivent (et mangent) debout, devant le bar, sans paraître se fatiguer.

Les vrais restaurants quant à eux ne sont ouverts que pour les heures de repas. Les cuisines ferment tôt, quelquefois vers 21h, souvent à 22 heures, rarement plus tard.

Mercredi 19 septembre

Cette journée nous la consacrons à l’île de Murano. Nous y sommes allés l’année dernière avec Florence, mais nous avons fait vite, d’autant plus que nous étions aussi allés à Burano le même jour. Par contre, nous avons alors profité d’une admirable démonstration de soufflage de verre, un vrai spectacle de plus de 90 minutes, où nous étions confortablement installés au premier rang.

Nous descendons du vaporetto au débarcadère de l’île annexe de La Serenella, où nous voulons commencer la visite. Pourquoi ? Parce que cette île est l’antithèse de la très touristique île de Murano. Alors que l’île principale est un “cirque” touristique, La Serenella est une île industrielle entièrement couverte de chantiers navals et de fourneaux de verre, qui ont souvent connu de meilleurs jours. Nous constatons en déambulant par les rues et sentiers que l’activité de La Serenella n’est plus ce qu’elle a déjà été. Il faut aussi dire que la “grande porte” de toutes ces industries donne sur le canal où il y a peut-être plus d’activité; nous longeons en fait l’arrière des usines. Nous devons aussi constater que le restaurant traditionnel desservant les ouvriers de l’île est maintenant fermé. Depuis peu, pouvons nous imaginer, puisqu’on peut bien apercevoir l’ameublement, les affiches, les menus affichés à travers les portes et les fenêtres. Je suis déçu car prendre le repas du midi dans ce restaurant (dont l’atmosphère “bon enfant” est si bien rendue lorsque le commissaire Brunetti y passe dans un des romans de Donna Leon) était justement le but principal de notre visite à La Serenella.

Nous effectuons un belle et longue visite au Musée du Verre. Le musée est très riche. C’est un plaisir d’admirer la richesse de toutes les œuvres qu’il recèle. On peut plus facilement faire le lien entre la production touristique de masse, la production historique de pièces exclusives et la production contemporaine de pièces de haute volée artistique.

Nous profitons de notre passage dans cette mecque de la verroterie de masse pour compléter nos achats de souvenirs et de cadeaux. Puis je découvre enfin ce que je cherchais depuis mon premier passage à Venise, des petites perles de commerce, comme celles que j’ai utilisé en Nouvelle-Guinée au début des années 70. Les perles étaient à ce moment (avec le sel) des bons objets de commerce : très en demande, légères, de conservation parfaite. C’était le bon moyen d’acheter la nourriture quotidienne pour mon groupe. Comme dans les temps anciens, je me sentais un peu comme les grands explorateurs, à commercer avec des perles de Murano. La jeune femme qui les vendait n’était pas consciente de cette antique fonction commerciale. Je lui en ai acheté un peu, dans une gamme de couleurs qui me permettra peut-être un jour de m’initier à l’art du tissage de perles ou du wampum. J’étais bien content.

Nous revenons directement à la maison. Pour nous préparer à une grande sortie ce soir. Nous allons à l’opéra. Pas n’importe lequel. La Fenice. Pour une représentation du “Barbier de Séville” de Rossini. Après le plaisir que nous avions éprouvé avec l’opéra-ballet “Platée” de Rameau au Palais Garnier à Paris en 2015, nous voulions absolument voir un spectacle à La Fenice. Il y a presque un an, le jour même où j’ai acheté les billets d’avion et réservé l’appartement, j’ai aussi acheté ces billets. Plutôt cher ! Mais ce sera un plaisir unique.

Nous soupons à la maison. Puis, nous prenons le très lent vaporetto numéro 1, le seul qui puisse nous mener au débarcadère de Santa Maria del Giglio. En quelques minutes, nous sommes au Campo San Fantin, qui déborde de l’affluence des spectateurs de La Fenice, qui devisent tranquillement au soir couchant.

Nous entrons tout de suite. Louise change ses espadrilles pour les escarpins qui conviennent mieux pour l’occasion. Puis nous montons à nos places. Dans une loge (fermée) du second niveau, juste un peu plus haut que le niveau de la scène et presque droit devant. Nous sommes voisins de la loge royale, dont le décor est beaucoup plus élaborée. Il y a quatre places, sur des chaises peu confortables, les deux de derrière disposant de pattes plus hautes, afin de mieux voir la scène. Nous ne serons rejoints par personne et nous en demeurerons les seuls occupants. Inutile de dire que, de notre poste, la vue est parfaite, autant sur la scène que sur la salle.

Cet opéra semble faire partie du répertoire de la maison. Il est présenté sur une assez longue période. Il en résulte que la distribution comporte souvent deux ou trois artistes différents pour chacun des rôles. Le Figaro qu’il nous a été donné de voir est un jeune et énergique chanteur coréen vivant en Italie, Julian Kim. Nous sommes enchantés du spectacle.

Jeudi 20 septembre

Ce matin, nous faisons une visite privée du squero de l’Arzanà, l’atelier et les hangars d’une association fondée en 1992, qui a pour objectif le sauvetage, l’étude et la préservation de l’héritage naval traditionnel vénitien. Le lieu est bel et bien un squero, un des plus anciens chantiers navals de gondoles et autres petites embarcations traditionnelles, datant du 15ième siècle. C’était là que travaillait la famille des Casal dei Servi, parmi les plus importants facteurs de gondoles.

Le nom de “Arzanà” est le terme vénitien que Dante utilisait dans la Divine Comédie pour désigner l’Arsenale de Venise, qu’il utilisait comme une illustration bien réelle de l’Enfer. Il est situé tout au bout d’une longue et étroite ruelle (calle De Le Pignatte), mais au confluent de deux canaux, à trois minutes de notre appartement.
Le lieu n’est aucunement touristique. C’est une impressionnante collection de vieilles embarcations, doublée d’une accumulation de documents, d’objets, de pièces, de décorations, le tout intimement lié à la tradition vénitienne. Le hasard m’a fait trouver le site Internet de l’association, un site qui regorge de références à la Venise navale ancienne. Après avoir contacté l’association, on nous a fixé plusieurs semaines à l’avance, bien avant notre arrivée à Venise, un rendez-vous pour une visite avec un des 250 associés.

Nous arrivons quelques instants avant l’heure du rendez-vous, 11 heures. Nous frappons. C’est Jerry, un Écossais bien implanté à Venise, qui nous répond. “On voit bien que vous n’êtes pas vénitiens. Des visiteurs locaux ne seraient pas arrivés à l’heure, encore moins en avance”, dit-il.

L’association a sauvé de la destruction et restauré des embarcations d’époque de tous genres, utilisés pour la pêche ou le transport, à voiles ou à rames. Elle a également monté une collection d’outils et d’autres objets reliés à ces embarcations traditionnelles, aux chantiers navals et aux artisans. Les locaux du squero sont pleins à craquer, dans un ordre encore très approximatif, mais ça nous renseigne sur cette partie essentielle de la tradition vénitienne.

À la fin de cette visite, nous décidons de demeurer dans le quartier, et de visiter le Musée hébraïque, pour lequel nous avions déjà acheté le billet d’entrée. Nous y sommes en 5 ou 6 minutes. Le Musée est situé au centre du Ghetto vénitien, dans ce qui jadis était l’enclave surpeuplée où le gouvernement avait ordonné (en 1516) à tous les juifs de la ville d’habiter. Ce “Ghetto”, en fait une île dont l’accès était limité par deux ponts barrés de portes monumentales, verrouillées la nuit, a été le premier ghetto à être établi. Il a donné son nom à tous les ghettos d’Europe. Il tire ce nom du fait que l’île comportait à l’origine de nombreuses fonderies (“geti” en vénitien). C’est encore aujourd’hui un quartier populaire et animé où se concentrent encore les activités religieuses et administratives juives. Il déborde même les confins de l’île originale.

Pour entrer au musée, les contrôles de sécurité sont particulièrement sérieux et complets. On craint évidemment d’éventuelles actions ciblées contre une organisation juive. Nous arrivons au moment où une des visites guidées des synagogues s’apprête à commencer. Nous remettons à plus tard la visite du musée proprement dit.

Les cinq synagogues sont l’âme du ghetto. Toutes sont construites au dernier étage de bâtiments préexistants. Elles sont difficiles à repérer de l’extérieur, tandis qu’une fois à l’intérieur, elles se révèlent être de véritables joyaux. Nous visitons d’abord deux synagogues intégrées à des édifices attenants au musée, les synagogues allemande et Canton, toutes deux de rite ashkénaze. Par la suite nous visitons la synagogue levantine, de rite séfarade, située à 200 mètres. Nous ne visitons pas les deux autres, ni l’italienne, ni l’espagnole. Nous aurions pourtant bien aimé visiter cette dernière, dont nous avions pu apercevoir les magnifiques plafonds depuis la rue quelques jours plus tôt.

Ni Louise ni moi n’avions jamais pénétré dans une synagogue. C’était donc pour nous la découverte de ces lieux somme toute assez intimes, chargés d’une longue tradition à la fois vénitienne et juive. Nous avons été particulièrement marqués par la division marquée entre les places réservées respectivement aux hommes et aux femmes. Il est évident qu’il s’agit d’une religion d’hommes qui ne fait que tolérer les femmes. Comme l’Islam. Comme le catholicisme aussi.

Les synagogues du ghetto vénitien, connues sous le nom de ” Scole “ (écoles), ont été construite entre la première moitié du 16e siècle et la deuxième moitié du 17e siècle par les différents groupes ethniques ayant obtenu la garantie de la liberté de culte. Restées intactes malgré le passage du temps et quelques interventions postérieures, ces synagogues témoignent de l’importance du ghetto de Venise, dont les hautes maisons sont divisées en de nombreux étages, au plafond plus bas que les normes habituelles pour permettre d’accueillir une population dont la densité augmentait d’années en années.

La population juive de Venise a déjà été plus importante que maintenant; c’est en partie la conséquence des persécutions fascistes et nazies et de l’émigration vers Israël. C’est ainsi que les deux première synagogues visitées ne sont plus utilisées pour le culte, tout en conservant leur valeur culturelle. La synagogue levantine, elle, est toujours utilisée. C’est pourquoi lors de notre visite, tous les hommes ont dû porter une kippa de papier en signe de respect. Je vous assure que ça me donnait toute une allure !

De retour au musée (sans aucune fouille de sécurité cette fois !), nous en avons effectué la visite. Il comporte une très belle sélections d’instruments de culte, avec de bonnes explications. Il détaille aussi l’impact des persécutions les plus récentes et les plus meurtières, d’abord sous le régime de Mussolini, puis sous les envahisseurs nazis. J’ai aussi apprécié une vaste section documentant les œuvres des imprimeurs juifs de Venise. Car, au début de la Renaissance, Venise était la capitale européenne de l’imprimerie, avec un nombre particulièrement élevé de presses. Des imprimeurs italiens et juifs dominaient la production d’œuvres en langue hébreuse. La plupart des œuvres exposées sont des textes religieux en hébreux. La typographie et le design des pages est remarquable par sa simplicité et sa netteté, les textes sacrés occupant le centre de chacune des pages, les commentaires savants occupant une marge de texte très importante étant artistement disposés tout autour.

Il se fait tard. Nous avons faim. Pas question d’aller plus loin. Nous mangeons sur place dans le ghetto au restaurant “Al Faro”. À notre menu, une magnifique (et extrêmement chaude) soupe de légumes (minestrone), une lasagne, du poulet. Sans oublier le vin.

Après ce copieux repas, nous n’avons pas envie de nous éloigner du “sextier”. Nous en profitons pour faire une petite tournée des deux paroisses de San Alvise et de Madonna dell’Orto. Des rues résidentielles bien tranquilles. Des constructions plus modernes, regroupées autour d’assez grandes places et de larges rues. Nous découvrons le parc “Villa Groggia”, un petit havre de paix fréquenté par des enfants et des retraités. C’est bien différent du vieux cœur traditionnel de la ville. Par contre, il n’y a presque aucun commerce, pas de boutiques, pas de restaurants. Mais il y partout des cordes à linge bien chargées, signes d’une vie bien normale. Après quoi, nous revenons à l’appartement pour une sieste.

Nous allons le soir en direction du campo Santa Margherita, pour y souper dans un restaurant que ma recherche identifiait comme un café étudiant, très bondé, simple et pas cher. C’est bien vrai que cette grande place située près de l’université est très fréquentée par les étudiants, mais ce n’était pas le cas de ce restaurant, qui se nomme “Osteria alla Bífora” et se fait une spécialité des planches de charcuteries vénitiennes de viandes surtout mais aussi de charcuteries de poissons. Nous avons pris des petites planches, de charcuterie et de thon fumé, avec un “soit-disant” carpachio de légumes grillés. Nous mangions juste à côté d’un couple universitaire québéco-européen, qui habite maintenant au Portugal. Ils avaient commandé une seule grande planche, qui était plus variée et intéressante que la nôtre.

Nous revenons “à la maison” à pied, faisant une grande marche remplie de détours. L’expérience est nettement plus calme et intéressante le soir qu’au beau milieu de la cohue touristique du jour.

Vendredi 21 septembre

Nous prenons le vaporetto en direction du marché du Rialto. L’activité y est intense. Mais nous sommes là pour y découvrir l’église de San Giovanni Elemosinario (saint Jean l’aumônier). “Découvrir” est le bon mot. L’église n’est pas du tout visible. Elle se cache depuis toujours derrière les échoppes de ce quartier commerçant extrêmement dense. Seule l’entrée (qu’on ne pourrait pourtant pas qualifier de parvis) est visible, à peine plus grande que n’importe lesquelles des boutiques de la place. À l’intérieur, c’est le grand calme qui remplace le bourdonnement de la place et du marché. Nous continuons notre périple par la visite de l’église de San Polo. C’est ici un contraste, car l’église est très vaste, et elle domine l’une des plus grandes places de la ville.

Nous nous rendons ensuite à la Basilique de San Marco, un des sites obligés de la visite de Venise. Nous avons eu la chance de réserver notre heure d’entrée, ce qui nous évite les longues files d’attente. Quelle belle église ! Quel beau volume ! Pour une raisons que je ne peux comprendre, ça me fait le même effet que Sainte-Sophie à Istamboul. À cela, il faut ajouter la splendeur des mosaïques, si faciles à interpréter et à comprendre et si impressionnantes avec leur fond richement doré.

Nous faisons la visite du Trésor, avec ses centaines d’œuvres remarquables, même si on peut déplorer qu’une bonne proportion d’entre elles ont été pillées en Orient. La visite du retable d’or (Pala d’Oro) est, elle, un peu plus décevante. L’œuvre est très belle. Mais elle est tellement immense, haute, détaillée et d’un accès peu commode qu’il est difficile de l’apprécier à sa juste valeur. La foule dense qui s’y prête ne rend pas la tâche plus agréable. Nous terminons par la visite du musée, qui occupe les hauteurs de l’édifice. Il est bien moins achalandé, ce qui permet d’apprécier les nombreuses pièces qui y sont exposées. En particulier les impressionnants chevaux de Saint Marc. Nous profitons de cette visite au musée pour sortir au portail de la basilique, d’où nous avons une vue imprenable sur la place.

Retour en vaporetto. Puis nous soupons dans un restaurant que nous connaissons déjà, situé juste à côté. Il s’agit de la “Ciccheteria venexiana da Luca e Fred”. C’est une vraie ciccheteria, où les voisins du quartier ne manquent pas de venir prendre un verre, déguster des petites bouchées et surtout jaser, tout en demeurant debout au bar, face au patron. C’est une garantie d’authenticité. Même si le cuisinier qui officie en cuisine est un bengali ! Mais la tradition est maintenue. Nous dépassons les habitués plantés au bar et nous préférons quand même nous attabler. Nous commandons d’abord un grand plateau de ces chicchetis, regorgeant de petits plats de morue, de sardines, de polenta, de fritures diverses, d’aubergines, de crevettes. Nous complétons le repas, Louise avec un plat de poulet, moi avec de ces succulents bigoli à la sardine (de très gros spaghettis, une spécialité vénitienne).

Samedi 22 septembre

Nous commençons notre journée par une bonne marche en direction de Castello à travers le nord de Cannaregio. Notre premier objectif est de vérifier s’il y avait bien des soirées de tango au palazzo Ca’Zanardi, tel que nous pensions l’avoir trouvé sur Internet. Nous découvrons qu’il s’agit d’une maison d’hôte bien tranquille où nos appels demeurent sans réponse. Les deux propriétaires de l’atelier de couture voisin (spécialisé dans les costumes de théâtre et de carnaval) nous incitent à entrer et à monter au second étage. La responsable de la maison nous confirme qu’il y a bien du tango chez elle, mais seulement une fois par mois. Mais pas ce soir là. Nous aurions bien aimé danser sur la terrasse de ce palais.

Nous prenons le vaporetto vers le cimetière de San Michele. Cette île-cimetière, qui n’a cessé d’être agrandie au fil des ans, se révèle un univers bien particulier. En effet, dans une ville où la terre, la verdure et les arbres sont très rares les morts, eux, en bénéficient amplement. Nous apprécions toujours la visite des cimetières. Mais celle-ci a une saveur particulière, avec plusieurs tombes de grandes vedettes de l’histoire, comme Serge Diaghilev et Igor Stravinsky. C’est aussi une belle fenêtre sur l’organisation sociale de Venise et de l’Italie.
Nous revenons à l’appartement, pour un dîner-maison de poulet, de patates et d’une salade de la veille, complété de pâtisseries de La Donatella. Nous passons le reste de l’après-midi à la maison, à lire. Puis nous cuisinons un petit souper de truites, de pâtes avec une sauce tomates aux coques et une truffe glacée. Nous complétons la journée avec une longue marche de découverte dans le sextier de Cannaregio. Le vent est plus frais. La météo annonce de la pluie.

Dimanche 23 septembre

Nous décidons de prendre un peu congé en ce magnifique dimanche. Nous ne mettons au programme qu’une visite à une exposition temporaire gratuite qui occupe une grande partie de la charmante île de San Giorgio Maggiore, juste en face de la place St-Marc. Cette exposition organisée par la fondation Michelangelo, et qui porte le nom de “Homo Faber”, met en valeur les métiers d’art de toute l’Europe. Nous pensions aller voir une très simple exposition. Mais nous avons plutôt découvert un éventail de 15 expositions distinctes de métiers d’art. Toutes celles que nous avons pu visiter étaient absolument extraordinaires. Nous avions un accès très direct autant aux œuvres qu’aux artisans.

Best of Europe Il s’agissait là d’une grande exposition de 300 œuvres produites par la crème des artisans d’Europe, dans une variété de media (porcelaine, verre, cuir, papier, céramique, bois). Une douzaine de petits kiosques permettaient d’entrer en contact rapproché avec autant d’artisans, bien disposés à parler de leur art. Parmi eux, Martin Frost un peintre anglais sur la tranche de livres anciens, Bastien Chevalier un artisan français de minuscules marqueteries, Carina Sohl une artisane suédoise qui imprime des fleurs naturelles à la surface de cuirs fins.

Creativity and Craftsmanship Huit œuvres monumentales en bois ou en céramique, avec une documentation des influences, des techniques, des artisans eux-mêmes.

Singular Talents Une exposition par vidéo de l’expérience de 12 artisans aux talents très particuliers, même uniques dans certains cas. Un fabricant anglais de globe terrestres. Deux artisanes norvégiennes spécialisées dans la création de cordages pour bateaux traditionnels. Un menuisier grec concepteur de bâts pour des ânes. Un artisan de Cordoue qui ravive l’art du cuir de sa ville. Des mosaïstes. Une émailleuse suisse de cadrans de montres. Un graveur de couteaux. Un concepteur et restaurateur d’automates. Un créateur d’accessoires de mode en plumes. De très belles images des artisans, de leur environnement et de leurs œuvres.

Worshop exclusives Une petite exposition de mécaniques uniques (autos, motos, vélos) de qualité fabriquées à la demande et sur mesure.

Discovery and Rediscovery Une série de studios fascinants où des entreprises artisanales de luxe ont recréé un de leurs ateliers, complets avec les matières premières, les outils, les produits en élaboration, les œuvres terminées et leurs artisans qui n’hésitent pas à parler de leur travail. L’horlogère Jaeger-LeCoultre et sa microscopique montre pesant 1 gramme avec 98 pièces. Les stylos Montblanc, qui démontrent les étapes de la fabrication de leurs plumes. Des brodeuses traditionnelles de Madère. Le joailler Cartier avec un magnifique atelier de glyptique, qui est l’art de la gravure des pierres fines. La Maison Lesage, avec des centaines d’exemples de broderies d’art. Smythson Books qui démontre ses compétences de reliure. Le joailler Van Cleef & Arpels, qui démontre sa méthode d’assemblage de pierres précieuses appelée le “Serti Mystérieux”, une technique étonnante sans aucune monture visible. La maison coutelière Lorenzi de Milan, avec ses manches de corne, de bois de cerf et de bambou. La Fondation Bettencourt-Schueller avec ses œuvres exceptionnelles, et de magnifiques films en réalité virtuelle qui documentaient chacun un artisan dans son atelier.

Nous avons dû interrompre notre visite à la fermeture de l’exposition. Nous serions bien restés plus longtemps. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls à apprécier, si on en juge par la foule qui se pressait au débarcadère à la fermeture. Heureusement, l’ACTV a évité le bouchon en envoyant des vaporetti plus nombreux et plus gros.
Nous avons vraiment aimé cette grandiose exposition. Nous pouvions vraiment nous approcher des œuvres. Et le contact avec les artisans était facile et très riche. Nous avons encore une fois pensé que Monique aurait bien aimé.

Il était déjà assez tard. Nous sommes donc allés souper directement à l’Osteria alla Bífora, sur le Campo Santa Margherita. Comme nous avions été déçus de n’avoir pu, lors de notre passage précédent, profiter des grandes planches de charcuteries qui sont la spécialité de la maison, nous avons donc commandé deux grandes planches, l’une de charcuteries, l’autre de légumes grillés.

Lundi 24 septembre

Au cours de la fin de semaine, Venise a vu le passage d’un front froid venant du nord. Depuis le début de notre séjour, la température frôlait chaque jour les 30 degrés, les vents demeuraient négligeables et l’humidité se maintenait élevée. Ce front amène une baisse de plusieurs degrés, des vents conséquents et un net assèchement de l’air. Nous passions de l’été torride à un très beau début d’automne pour cette dernière semaine du voyage. Le soleil, présent depuis le premier jour, allait continuer de luire tout autant, jusqu’à la fin du voyage. En prime, nous allions avoir des vues magnifiques et limpides sur les contreforts des Alpes, qui paraissent toutes proches.
Nous reprenons aujourd’hui le rendez-vous raté de la semaine dernière, celui de la visite de l’Arsenale. Cette fois, nous ne sommes pas seuls. Nous rejoignons un groupe d’une douzaine de visiteurs, la plupart des Italiens. La visite se fera d’ailleurs en italien.

Notre visite se limite aux espaces utilisés par “La Biennale”. Le reste appartient aux militaires, qui le gardent hors de portée. C’est un peu décevant, mais nous sommes malgré tout bien chanceux de pouvoir jeter un œil sur ce grand espace historique en dehors des circuits touristiques. Nous commençons par la “Corderie”, une remarquable édifice de plus de 310 mètres. Nous longeons d’autres bâtiments, comme l’Artillerie et les Salles d’armes. Nous débouchons ensuite sur le bassin de Darsena Nuova et de Darsena Nuovissima aujourd’hui réunis, qui sont au cœur même de l’Arsenale. Tout autour de ce grand bassin, on peut voir diverses installations militaires. Des ateliers de la Garde côtière. Un vieux sous-marin en cale sèche. De petits navires militaires. Aussi la grande grue hydraulique de 160 tonnes Armstrong Mitchell.

Nous longeons ensuite le “Gaggiandre”, un ensemble de deux cales couvertes construites entre 1568 et 1573, et toujours en état. C’est remarquable de voir ces vastes volumes, capables d’abriter des navires entiers, qui datent de presque cinq cents ans. La visite se termine par les Jardins des Vierges, vestige d’une île aujourd’hui intégrée, et par le Pont des Penseurs, qui nous fait passer la formidable muraille crénelée qui entoure l’Arsenal et nous ramène au cœur de San Pietro.

Une fois la visite terminée, nous poursuivons notre journée vers le Lido, tout proche. Le vent est aujourd’hui particulièrement fort, de sorte que la lagune est très agitée. Nous débarquons au Lido. Nous nous sentons tout drôle d’y retrouver la circulation automobile après plus de deux semaines que nous nous déplaçons à pied ou en bateau. C’est comme un changement de pays.

Nous sommes sur le cordon maritime. La lagune paraît déjà loin. Même si nous ne sommes pas encore en vue de la plage et de la mer, l’air est chargé du sel marin que les vents balaient avec vigueur. L’atmosphère en est tellement remplie que tout le décor est filtré du gris du sel dans l’air. Le Lido est très tranquille. On ne sent aucune trace de l’activité fébrile qui devait l’agiter au cours du Festival du Cinéma (la Mostra) qui vient à peine de se terminer. Nous nous rendons jusqu’à la plage, avec ses bâtiments aménagés, ses capannas (de grandes cabines avec un auvent et une tente jointe à la structure fermée). La mer est très agitée, les vents sont très forts, de sorte que la plage proprement dite est désertée, à l’exception de quelques kite-surfers.

Nous passons devant le Grand Hotel des Bains, fermé depuis 2010, qui croupit derrière ses grilles, misérable souvenir d’un passé glorieux. Nous revenons bien vite en direction de l’avenue Santa Maria Elisabetta. Nous nous arrêtons pour dîner au restaurant Al Cavaliere; au menu, une soupe minestrone, des spaghettis à la busara (à la tomate et aux écrevisses) et des tartines de tomates.

Nous revenons à l’appartement directement par la ligne 5 des vaporetti. La première partie de la traversée se fait par une lagune démontée, même si le soleil est radieux. Tous les passagers demeurent bien assis au fond du bâtiment. J’essaie tant bien que mal de me tenir sur la passerelle ouverte, mais le vent et les bordées d’eau m’obligent à me cacher derrière le poste de pilotage. On peut imaginer que la lagune doit être inquiétante les jours de tempête. Nous soupons de nouveau à la Trattoria Pontini de spaghettis aux fruits de mer et de morue à la tomate (baccalà al pomodoro).

Mardi 25 septembre

Maintenant que la température est moins torride, nous pouvons envisager une excursion à vélo. Même si ce sera techniquement sur la terre ferme, nous serons sur la pointe de Jesolo, mais en marge de la lagune. Nous demeurons en terrain connu.

La température est vraiment remarquable. Il fait un petit peu frais, mais le soleil est bien au rendez-vous et l’air a pris des allures automnales, avec des vues sèches et brillantes. Les sommets du piémont sont remarquablement visibles.

Nous prenons un gros bateau en direction de Punta Sabbioni (via le Lido). Nous sommes à deux pas d’un loueur de vélos. La chose est vite arrangée. Après les nombreux ajustements d’usage, nous voilà sur un petit chemin bien plat qui longe la lagune vers le nord. Comme nous sommes sur la terre ferme, il y a des voitures. Mais il nous paraît que tout le monde a aussi un bateau, tellement nous en voyons tout le long de la côte. La terre émerge à peine de la lagune. Les champs sont partout séparés par de petits canaux. Nous bifurquons dans un étroit chemin qui mène aux villages de Mesole et de Lio Piccolo, notre destination.

La route serpente d’abord dans la cour d’une ferme. Puis nous nous engageons tout de suite dans la lagune, où la route occupe une petite digue. Les autos sont rares. C’est parfait pour nous. D’ailleurs, il y a beaucoup de vacanciers à vélo sur ce parcours.

La lagune est très aménagée. Diverses digues délimitent des étangs et des îles, souvent en culture, mais la différence entre les deux est souvent difficile à établir. Le milieu est parfait pour les oiseaux. Il y en a partout.

Lio Piccolo est la seule (très) petite agglomération du coin :une vieille église, un campanile rénové, un ancien manoir et quelques maisons. Le village a déjà connu des jours meilleurs du temps de la gloire de Torcello. Mais cette gracieuse alternance de terres et d’eau demeure très charmant. Nous espérions dîner au village, mais c’est mardi et les petits restaurants agro-touristiques ne sont pas ouverts aujourd’hui. Nous verrons à notre retour “sur la terre ferme”.

Nous atteignons ce qui paraît être le terminus de la route, un groupe bien serré de grandes maisons, où il y plusieurs voitures. Nous croyons qu’il s’agit d’un chantier de restauration, où nous ne serions pas les bienvenus. Mais il se peut bien cela ait été un restaurant, entouré des véhicules de sa clientèle.

Nous bifurquons sur un pont, doublé de vannes de contrôle des eaux, et nous nous engageons sur une digue, large et haute. Bientôt, le chemin se réduit à un sentier étroit. Nous dépassons quelques visiteurs. Comme nous nous approchons de la lagune ouverte, nous constatons que la digue (et son sentier) continuent au loin. Une belle tentation. Nous voyons un flamant à l’intérieur de la digue. Nous décidons de continuer le long de la digue, qui délimite une vaste série d’étangs. Les vues sont magnifiques sur la lagune, avec les sommets du piémont au fond, les îles voisines de Burano et Torcello. Comme nous nous rapprochons de la terre ferme, la digue s’amincit et le sentier se dégrade. Je n’hésite pas à démonter pour les dernières centaines de mètres, avant que nous n’atteignions le village de Lio Piccolo.

Nous revenons sur nos pas, ayant soin de vérifier en vain si une autre hôtellerie agro-touristique ne serait pas ouverte. Nous revenons au chemin principal. Il y a là une auberge appelée Osteria dal Pupi. De nombreux vélos y sont stationnés et nous ajoutons les nôtres. Nous mangeons avec appétit un excellent repas. Puis nous revenons au port de Punta Sabbioni, en route pour Venise.

Mercredi 26 septembre

Fort de notre courte expérience de l’affluence touristique l’année précédente, je m’étais dit en préparant ce voyage que nous nous lèverions très tôt chaque jour pour profiter de la quiétude du matin, puis que nous ferions une longue sieste, avant de continuer nos visites en fin de journée. Mais une combinaison de paresse et des horaires des sites, musées et églises ont relégué cette intention aux oubliettes. Pris de remords, je me lève très tôt aujourd’hui, avant le lever du soleil, pour faire une tournée matinale de San Polo et de Santa Croce. C’est très intéressant de voir la ville s’éveiller, de rencontrer les balayeurs, les éboueurs, les employés qui ouvrent les commerces et les ouvriers qui lavent les rues à la grande eau et les brossent méticuleusement. On découvre une intimité de la ville. On découvre un peu plus tard le flux impressionnant de tous les passagers de trains, des bus et des voitures, logeant à Mestre ou ailleurs sur la terre ferme, qui investissent Venise depuis la Piazzale Roma pour venir y travailler ou étudier. J’ai été particulièrement impressionné de cette foule d’étudiants qui emplissent le “Rio Terà Lista di Spagna” depuis la gare jusqu’à l’université Ca’Foscari. Ils sont six ou sept de front, une authentique marée humaine.

Avant de retrouver Louise à l’appartement, j’achète de superbes croissants à la pâtisserie “La Donatella”, située juste à côté. Un vrai temple de la pâtisserie, avec des prix en conséquence.

Après le déjeuner, Louise et moi partons pour une grande promenade dans Venise, sans destination précise et sans aucun autre objectif que de cumuler de nouvelles découvertes. Nous partons sur la Strada Nova, en direction du pont du Rialto. Rendus près de la Ca’Dolfin, nous sommes abordés par un gondolier qui stationne dans un étroit canal. Même si Louise s’était promise de nous offrir une promenade en gondole, l’occasion ne s’était pas encore présentée. Les bonnes conditions n’étaient jamais réunies. Il était trop tard ou trop tôt dans la journée. Il y avait trop de circulation de barques ou de vaporetti. Il y avait trop de gondoles qui se suivaient à la queue-leu-leu. Mais maintenant, c’est correct. D’autant plus que le voyage achève.

La gondole stationne dans un étroit canal, ce qui nous promet la tranquillité que nous désirons. Nous embarquons. Puis c’est un beau petit circuit qui fait le tour d’une des 118 îles qui composent la Venise historique. Nous débutons le tour sur le Rio San Giovanni Crisostomo, nous naviguons ensuite pour 50 mètres sur le Grand Canal, ensuite le Rio dei Santi Apostoli, le Rio di Ca’Widmann, le Rio dei Miracoli (où nous longeons cette si belle église de Santa Maria dei Miracoli) avant de retrouver le Rio San Giovanni Crisostomo. Une tournée bien tranquille et sympathique, si l’on veut oublier ce qu’il en coûte et le manque d’intérêt du gondolier qui poursuivait ses conversations téléphoniques tout en ramant.

Après cette expérience bien vénitienne, nous continuons vers le pont du Rialto puis vers le Campo San Cassiano où se trouve un magasin de bijoux que Louise voulait visiter à nouveau. De là, nous effectuons le retour vers Cannaregio avec un détour par l’église de San Giobbe que nous n’avions pu visiter auparavant en raison de travaux, qui viennent maintenant de se terminer.

Au moment de retourner à la maison, nous arrêtons à un petit comptoir qui se spécialise dans des préparations frites. Nous achetons plusieurs “Mozzarella in carrozza”, des sandwiches à la mozzarella panés et frits. Un très bel apport de calories et de cholestérol  ! Nous en avons une petite variété : au jambon, aux anchois, au saumon. Nous complétons le repas d’une riche pâtisserie de La Donatella.

Nous repartons en direction de l’Accademia pour visiter l’église de Santa Maria del Rosario. Dès le débarquement je remarque une boutique dont les vitrines m’avaient déjà attiré en passant devant le soir. La galerie porte le nom de “Totem” et se spécialise en partie dans l’art primitif africain. Elle est maintenant ouverte. J’y entraîne Louise. Nous y observons beaucoup de jolies choses. Mais toutes sont soit trop chères, soit trop fragiles, soit trop volumineuses. Sauf que, à la sortie, Louise porte son attention sur un beau collier assez massif aux allures tribales. Ce collier utilise d’antiques perles de pâte de verre de Murano, autrefois échangées sur la côte d’Afrique occidentale, peut-être contre de l’ivoire ou des esclaves. Le collier est de fabrication récente ici même à Venise, à partir de perles rachetées à leurs propriétaires en Afrique. Devant l’intérêt manifesté par Louise, voilà une belle occasion de le lui acheter.

Nous continuons notre chemin vers l’église de Santa Maria del Rosario, l’église dite des Jésuati, la dernière sur notre liste. Une grande église nette et bien claire. Puis nous retournons à Cannaregio par le vaporetto numéro 2. Nous prenons cet apéritif si particulier à Venise, le Spritz, à la “Ciccheteria venexiana da Luca e Fred” au milieu de deux grands groupes de voyageurs qui s’initient aux chicchetis.

Pour souper, nous allons chez “Al Timon”, dans la succursale spécialisée en poissons et fruits de mer. Nous dégustons de magnifiques plats, très imaginatifs : une entrée de trois sortes de coquilles St-Jacques tièdes, des pâtes aux mini-tomates fraîches, des gnocchi à la pieuvre et aux courgettes, des pâtes aux crevettes et à l’aubergine à la busara (sauce piments). Un délice.

Jeudi 27 septembre

En cette dernière journée nous avons l’impression d’avoir un peu “épuisé” notre programme de visites vénitiennes. Nous décidons d’aller voir la ville la plus proche, Padoue, à 40 minutes de distance. Nous y passons la journée. L’immense abbaye de Saint Justine, avec ses tombeaux de saints. Le magnifique Jardin Botanique, le plus ancien au monde, mais bien moderne dans la présentation de ses serres. La basilique de Saint Antoine, où se manifeste toute la ferveur d’un peuple. La cathédrale.

Au retour à Venise. Je découvre qu’un investissement fructueux nous permet d’envisager l’achat du panneau de bois découpé de Tintin qui nous intéresse. Il est déjà tard. Nous traversons le Grand Canal, et nous arrivons tout excités chez monsieur Morandin. Mais il y a un problème: comme celui-ci n’accepte pas les cartes de crédit, nous n’avons pas assez d’argent pour payer la chose. Pas de problème, nous dit-il ! Passez aux guichets bancaires ! Nous voilà partis, avec lui comme guide, pour retirer de l’argent, tout en essayant de déjouer les limites quotidiennes de nos comptes. Nous y parviendrons presque. Il faudra lui envoyer une traite bancaire à notre retour pour solder la facture. Lui, est absolument enchanté. Il nous invite dans un minuscule bar-café-pâtisserie traditionnel où il a ses habitudes, pour prendre un verre et une pâtisserie. Cette visite à la “Premiata Pasticceria F.lli Rizzardini” sera un moment de grand plaisir pour nous. Nous nous sentions vénitiens. Pourtant, nous allions partir le lendemain matin. Nous revenons à l’appartement l’Île Noire de Tintin sous le bras.

Vendredi 28 septembre

Nous voilà sur le chemin du retour. Après un beau voyage, qui pourrait même être la préparation du suivant.