Mon "scrapbook", tout simplement

2010 Argentine (Patagonie)

Je reviens d’Argentine, plus précisément en Patagonie, entre le 26 janvier et le 23 février 2010. J’ai voyagé seul, sans programme précis, mais avec un vaste “menu” d’excursions possibles.

À intervalle régulier, j’ai envoyé un courriel “public”, un journal de bord de mes activités.

  • 00 — Québec le 24 janvier
  • 01 — Buenos Aires le 29 janvier
  • 02 — Puerto Madryn le 31 janvier
  • 03 — Puerto Madryn le 2 février
  • 04 — Ushuaia le 4 février
  • 05 — Ushuaia le 7 février
  • 06 — El Calafate le 10 février
  • 07 — El Chaltén le 16 février
  • 08 — La Plata le 20 février

Buenos Aires, le 29 janvier

C’est bien difficile, pour le Québécois que je suis, de combiner une date en janvier avec les 36 degrés qu’il fait présentement à Buenos Aires ! C’est bien pourtant la réalité. Il faut suffisamment chaud pour que les porteños se plaignent et espèrent une vague de froid. Avec mes vêtements de randonnée, adaptés aux températures plus fraîches de la Patagonie, je jure tout à fait au travers des vêtements ultra-légers que les porteñas portent fièrement sur leur peau bien hâlée. Mais ça changera bientôt, puisque je suis à un peu plus d’une heure de monter à bord d’un bus vers Puerto Madryn, la porte d’entrée de la Peninsula de Valdez, haut-lieu de rassemblement de la faune marine, à 20 heures de route. La température sera certainement plus modérée là-bas.

Après un voyage aérien, long comme toujours, mais sans histoire, je suis arrivé en fin d’après-midi mercredi, et j’ai tout de suite retrouvé la vigueur de la vie de Buenos Aires, malgré que ce soit les grandes vacances. J’ai beaucoup marché, à la fois pour découvrir de nouveaux quartiers (non-touristiques) et pour rencontrer des amis. En particulier Mary, la veuve de ce milonguero extraordinaire qu’était Juan Carlos; elle habite aux confins de Belgrano, et je me suis permis la longue marche dans cette direction, pour découvrir de nouveaux quartiers. Cette promenade a été interrompue par une longue pause au club de barrio Eros, un bel exemple de ces centres de loisirs des quartiers ouvriers, pour y prendre une (grosse) bière et observer la vie des lieux, où se rassemblent des voisins de tous âges, des ados aux pépés. “Eros” est le nom, mais il n’y a rien d’érotique. Merci à Natalia de m’avoir fait connaître cet îlot de vie simple dans un quartier qui se “gentrifie” sans cesse.

À l’aéroport, j’ai fait la connaissance d’un couple de Québecois qui commençaient leur premier voyage en Argentine, pour 3 mois. Nous avons partagé le taxi vers le centre et tout de suite découvert qu’elle avait déjà travaillé dans la même direction que moi au ministère, et qu’elle connaissait certain ex-collègues. Que le monde est petit.

Voilà donc. Le voyage vers la Patagonie commence.

Puerto Madryn, le 31 janvier

J’arrive comme prévu samedi matin dans cette ville effervescente, qui donne accès à Peninsula Valdes, reconnu par l’Unesco comme centre exceptionnel de la vie marine dans l’Atlantique Sud.  Cette arrivée est une surprise. D’abord, la température est un peu fraîche, comme il sied au bord de la mer. Pas plus de 20 degrés. Et un bon vent de mer. Quelle joie après la chaleur étouffante de Buenos Aires. Ensuite il y a l’omniprésence de la mer, en fait un large golfe battu par les vents. Et une longue plage tout à fait bondée, autant de locaux que de touristes argentins. Ça je ne m’y attendais pas. Ça augure bien pour les destinations à venir, où la fraîcheur sera désirable, avec les bagages de randonnée sur les épaules. La présence de la mer est d’autant incongrue que la région est un désert, avec une maigre végétation épineuse, sur un fond de sable et de gravier.Justement, ces bagages. Je fais en ce moment le test de vivre entièrement à partir de mon sac à dos pour ces 6 semaines. Évidemment, ça veut dire que je porte les bottes dans le sac lorsque je porte les chaussures légères aux pieds, et vice-versa. De la même manière, la tente suit, même lorsque je ne l’utilise pas. Tout le reste aussi. J’ai réussi à ne pas dépasser les 15 kilos, et j’en suis plutôt fier.

Janvier et février sont des mois de grandes vacances en Argentine. Et les Argentins prennent cela au sérieux. Ils voyagent. En plus des habituels camions et autocars, les routes sont très chargées par les voitures toutes bien remplies de passagers et chargées de bagages sur le toit.

Samedi est une journée de “plage”, non pas pour me baigner, mais bien plutôt pour atteindre la Punta de la Cuevas où les colonisateurs gallois de la région (Madryn est le nom d’un port du Pays de Galles) ont atterri en 1865, et ont creusé des abris sommaires dans la pierre friable de la côte. Belle journée.

Aujourd’hui dimanche est consacré aux colonies de loups marins, d’éléphants de mer, lundi aux pingouins.

Puerto Madryn, le 2 février

La région est reconnue comme un haut lieu mondial de repos et de reproduction de la faune marine. Baleines franches, orques, loups de mer, éléphants marins, manchots de Magellan, pétrels, cormorans passent de longues périodes ici.

Tous ces animaux se regroupent année après année, en communautés de milliers d’individus (ou de centaines de milliers dans le cas des manchots, les soit-disant pingouins). Dans tous les cas, leur séjour est plutôt paisible et les colonies peuvent être approchées très facilement. L’observation animale est donc une activité importante de la région. C’est la raison d’être du tourisme local.

Dimanche, je me joins à un groupe qui fait la grande tournée de la Peninsula Valdes, une tournée de plus de 300 kilomètres dans cette vaste étendue quasi-désertique qui s’avance dans l’océan Argentin (l’Atlantique, pour le reste du monde), tout en étant bordée de deux très vastes golfes. Ces conditions géographiques permettent l’approvisionnement de poissons et crustacés qui attirent les animaux qui s’y reproduisent.

Des familles complètes de loups marins et d’éléphants de mer en bordure de la plage, des gigantesques mâles qui assurent la garde, des harems de femelles qui se font chauffer au soleil, et une multitude de bébés qui fourmillent autour des mâles. Tout ça à quelques dizaines de mètres de nous.

Des étendues de plages et de douces falaises complètement couvertes des paires de manchots (et de leurs bébés), tous presque immobiles autour des nids grossiers creusés à même le sol.

Le soleil est haut, et le vent très fort, comme il se doit en Patagonie. La mer est d’un magnifique bleu turquoise, et les animaux paressent sans souci apparent, sans crainte visible, entre les vagues qui battent la côte et le passage des touristes qui les observent. Mais, c’est ici que les orques, ces prédateurs efficaces de la mer, on appris à quitter brièvement la mer et attaquer les animaux qui s’aventurent trop près de la rive. Un phénomène rare, que tous auraient bien voulu observer.

L’excursion se complète, à partir du petit village presque méditerranéen de Puerto Piramide, par une croisière le long des terrasses côtières utilisées par les loups marins, et une courte baignade en apnée. Le vent est encore plus fort, mais chaud, en mer que sur terre. Ce vent est bien la signature de la Patagonie!

Dans ce groupe de dimanche, il y a un couple espagnol. Lui, il ressemble à Jean-Marc de toutes les manières, visage, stature, élocution. Comme c’est bizarre.

Lundi, je suis rejoint par Gustavo, sa femme Maria Celia et leur fils Nicolas, qui arrivent tout juste de Buenos Aires. Gustavo, je l’ai rencontré il y a bientôt deux ans lors de cette fatidique expédition ratée dans la Puna de Tucuman. A propos, la poursuite contre le guide de cette affaire demeure toujours non réglée. Et le demeurera sans doute.

Je n’ai pas réussi à rencontrer Gustavo à Buenos Aires, mais le hasard fait qu’il se dirigeait vers Puerto Madryn pour commencer som circuit de vacances. Quelques courriels nous permettent de coordonner les horaires.

Mous partons un peu tard vers Punta Tombo, qui se situe à 200 kilomètres au sud. C’est la plus grande colonie reproductive de manchots de Magellan, les pingouins. Il y en a 800,000 cette année, en contant les bébés, les pinchones.

La visite est absolument passionnante. Les visiteurs suivent un chemin bordé de pierres blanches qu’il ne faut pas déborder. Tout le long, des masses de couples pingouins, qui se tiennent à proximité de leurs nids, qu’ils retrouvent chaque année. Une portion des pingouins circule vers la mer, qu’ils fréquentent pour se nourrir. En certains endroits, ce sont des masses qui se d´placent lentement, de leurs pas patauds, suivant de réelles “avenues” de circulation, que les visiteurs traversent sur des “ponts” destinés à minimiser les conflits entre humains et pingouins. Car ces petites bêtes ne sont pas sauvages du tout, occupant le corridor des visiteurs sans aucune crainte. Nulle difficult´de se trouver à 20 cms d’un oiseau. L’immensité de la colonie est tout à fait sidérante. Je n’aurais jamais cru voir autant de pingouins en un seul endroit.

Charles et moi avons une sorte de fixation comique sur les pingouins, avec lesquels nous sentons un esprit de famille. Au milieu de ces 800,000 manchots, j’ai tenté de trouver mon frère de sang et celui de Charles, pour découvrir qu’ils se ressemblent tous vraiment. Comme résultat, il faut croire que Charles et moi avons au moins 800,000 frères de sang en Patagonie. Encore, faudrait-il ajouter les nombreuses autres colonies ailleurs qu’à Punta Tumbo.

Nous revenons tard à Punto Tumbo, et je déménage chez Gustavo (qui a l’espace) pour souper avec eux. Nuit paisible, après l’activité nocturne irrespectueuse de l’auberge de jeunesse.

Je monte bientôt à bord d’un omnibus vers Comodoro Rivadavia, au sud de la province de Chubut, qui continue vers Rio Gallegos, capitale de la province de Santa Cruz. Encore seize heures de voyage. Puisque Rio Gallegos n’offre pas d’activités intéressantes, et qu’il s’agit du terminus des services de grandes lignes (presque sur les rives du détroit de Magellan), j’espère faire la correspondance immédiate vers le bus secondaire de Ushuaia, le bout du monde, sur le canal du Beagle, à quelques encablures de Puerto Williams visité avec Mario en février 2008. Départ de Puerto Madryn mardi 13h. Arrivée à Rio Gallegos mercredi 08h. Arrivée à Ushuaia en soirée mercredi.

Ushuaia, le 4 février

Me voici au “bout du monde”, comme disent les Argentins. Alors que Mario et moi savons que ce bout du monde est à Puerto Williams, juste de l’autre côté du Canal du Beagle. Mais voilà. Je suis enfin ici, après avoir approché cette ville mythique une première fois en y faisant escale à l’aéroport avec Lucie en 2005, en la frôlant en bateau à l’aller puis en avion au retour entre Punta Arenas et Puerto Williams avec Mario en 2008.

Quel contraste dans la température avec le reste du pays. Car malgré que ce soit le plein été, il a neigé cette nuir¡t sur les hauteurs derrière la ville.

L’histoire du voyage pour parvenir jusqu’ici mérite d’être contée. D’abord un premier parcours confortable et sans histoire depuis Puerto Madryn jusqu’à Rio Gallegos. Autobus confortable, service sympathique, repas t´rès corrects. Dix-huit heures sans histoire. Parmi les passagers, il y avait plusieurs enfants de l’âge de Florence et Maude; tous charmants et paisibles; tous commençant à parler et dont le discours (qu’il soit en espagnol, en anglais ou en allemand) est étonnamment semblable au discours en français de Florence. Les tons et les mots ressemblent à s’y méprendre á ceux de Florence. Une belle universalité!

Le problème est le trajet depuis Rio Gallegos. Ce service de bus doit à la fois traverser le détroit de Magellan (facile) et traverser du côté chilien pour presque 200 kilomètre et faire l’expérience de la “fraternité” intense qui existe entre Chiliens et Argentins. Un thème classique, que j’évoque dans le guide. Or cette expérience bat tout ce que je connaissais des relations frontalières à ce jour. Une mauvaise expérience qui m’a incité plus tôt aujourd’hui à trouver un billet de retour en avion à peine plus cher que le billet de bus. Louis-Gabriel, dans le terminus, un homme porte une veste bien marquée aux couleurs de la ENAP; Punta Arenas n’est pas loin!

Déjà, en arrivant mercredi matin, il fait très mauvais à Rio Gallegos. Le terminus des bus n’a pas le toit de protection qui est essentiel à tous les termini argentins. Tout le monde est mouillé, de mauvaise humeur. Le terminus est désorganisé, mouillé  et crotté. J’obtiens un billet sur le bus d’Ushuaia, mais je tombe sur le derrière en payant: 220 pesos ($60), soit 2 fois le prix habituel pour cette distance. Je comprendrai plus tard que le voyage se mesure en heures, pas en kilomètres. En fait, de 8 heures du matin à minuit.

Le bus est plein. Mais on trouve le moyen de partir quand même 1 heure en retard. Cinquante minutes de bon chemin jusqu’au poste frontière argentino-chilien où nous restons plus de 4 heures. Quatre fois, il faut “parader” à très petite vitesse: émigration argentine, douane argentine, immigration chilienne, douane chilienne. L’espace et le fonctionnement sont complètement désorganisés. On est au paradis des tampons, sur les cartes, sur les feuilles, sur les passeports. Tout ça pour un service “en transit” entre deux villes argentines, sur un bus argentin. Heureusement tout le monde est très agréable, même joyeux. Et il pleut toujours. Et la brume enveloppe tout.

Nouveau départ. Un bout de chemin jusqu’au traversier, qui est presque le jumeau du bateau que Mario avons pris pendant 34 heures sur le canal du Beagle entre Punta Arenas et Puerto Williams en 2008. Même forme, même grosseur, même compagnie. Juste un peu plus moderne. Chargement très rapide. Traversée en 15 minutes du détroit de Magellan. Avec une vue du poste et les bateaux des pilotes maritimes qui guident les nombreux navires qui utilisent le passage. De l’autre côté, sur la Terre de Feu proprement dite, on voit des champs de mines (provenant de la guerre antérieure des deux pays à propos des îlots du canal du Beagle) subsistent toujours. Belle preuve de la mauvaise volonté entre ces deux “pays frères”!

Ensuite, quelques dizaines de kilomètres de bonne route asphaltée jusqu’au village de Cerro Sombrero (la “Montagne Chapeau”). Puis, commence le raccourci emprunté par les véhicules argentins, un mauvais chemin tout cabossé, à peine assez large pour doubler ou rencontrer, une mauvaise surface, des roches partout. Beaucoup pire qu’une route forestière au Québec ou un vulgaire chemin rural en Argentine. Ce que la circulation lourde (camions, bus) n’arrange pas, évidemment. Nous poussons des pointes jusqu’à 40 kilomètres-heure ! On a franchement l’impression que les Chiliens font tout ce qu’ils peuvent pour rendre la vie difficile aux Argentins. En fin de journée, re-belotte. Arrêt pour la sortie du Chili; heureusement pas de fouille de bagages. Cinq kilomètres plus loin, c’est l’entrée en Argentine. Bilan de la journée: quatre nouveaux tampons bien inutiles dans le passeport.

Ces attentes et ralentissements ont quand même un effet bénéfique sur l’atmosphère entre les passagers. On finit pas tous se considérer des compagnons d’infortune, presque des amis. Une fois du côté argentin, il ne s’agit plus que d’avaler à vitesse encore assez basse les kilomètres qui restent jusqu’à Ushuaia. L’arrivée se fait juste avant minuit. Sans réservation, je me retrouve dans un hôtel trop chic et trop cher, mais je profite bien de ces quelques heures de luxe.

Au matin, la pluie est arrêté et il a neigé sur les hauteurs. Tout le monde déplore ce temps pour la saison, car nous somme l’équivalent du début du mois d’août. La journée d’aujourd’hui est consacrée au repos et à l’organisation. Un billet d’avion pour Rio Gallegos lundi prochain. Une chambre pas trop chère chez l’habitant en plein centre-ville. Des projets de petite randonnée pour les prochaines trois journées. Et trois nuits réservées en auberge de jeunesse à la prochaine étape, El Calafate. Un test pour la balise-satellite qui, en dépit de l’absence de couverture satellitaire qu’annonce la compagnie, fonctionne très bien.

Une constante de ce voyage est le désarroi que j’éprouve face à la hausse vertigineuse des prix partout. Les empanadas, qui coûtaient 1 peso il y a 2 ans, en coûtent maintenant 3. Les autobus urbains: 85 centavos il y a 15 mois, 1,25 peso maintenant. Les auberges de jeunesse passent de 18 ou 25 pesos il y a 2 ans à 50 maintenant. L’Internet de 2 ou 3 pesos l’heure à 12. Le gouvernement maintient que l’inflation est de 8%. Je comptais jusqu’à maintenant 25% annuellement. Maintenant, c’est difficile à dire. Il faut dire que l’Argentine est terre fertile pour l’inflation. Pour 1 peso d’aujourd’hui, il aurait fallu compter 1,000,000,000,000,000,000 pesos dévalués en 1920, c’est-à-dire plus de pesos qu’il y en a en circulation. Que réserve l’avenir ?

Je termine ce courriel des problèmes du voyageur, en vous promettant un prochain courriel sur les beautés de la Terre de Feu et du Canal du Beagle, que j’explore les prochains jours. Une visite au port permet de voir l’île de Navarino, avec son Cerro Bandera et ses Dientes de Navarino connue il y a 2 ans, tout en constatant l’activité intense qui règne sur les quais, particulièrement autour des navires et voiliers qui arrivent et partent vers l’Antarctique situé à seulement 1000 kilomètres.

Ushuaia, le 7 février

Je commence à m’habituer à la vie de cette ville du bout du monde. En effet, c’est bien le terminus. Aucune route plus au sud, nulle part, si l’on excepte le petit chemin de Navarino. La route nationale numéro 3 se termine au kilomètre 3079 de Buenos Aires dans le Parc National de Terre de Feu. Mais ça demeure quand même un centre de transit important, la base d’accès vers l’Antarctique. Le port est toujours plein de bateaux de toutes grosseurs (depuis les monstres de 2000 passagers, jusqu’aux voiliers de 6 passagers), qui arrivent et partent chaque jour. Rares sont les bateaux qui passent même la nuit à quai. Sitôt arrivés, sitôt repartis avec de nouveaux passagers. Ça fait beaucoup de vie commerciale et touristique en ville; évidemment nous sommes en pleine saison; ça doit être “mort” en hiver.

Ushuaia ressemble beaucoup à sa soeur chilienne Punta Arenas; mêmes vieilles maison en tôle, même atmosphère, même température changeante aux 10 minutes, même fraîcheur fondamentale du temps. Du vent, des nuages, et du soleil, en proportions sans cesse mouvantes. Une bonne proportion des habitants sont même chiliens, ou chiliens d’origine. Il faut dire que pendant longtemps, jusqu’il y a 40 ou 50 ans, les gouvernements nationaux du Chili et de l’Argentine n’avaient pas vraiment établi leur administration sur cette Patagonie qui était alors presque un pays en soi, avec une population avant tout immigrante et bien plus chilienne qu’argentine.

Comme il se doit dans une terre tellement australe, la lumière du soleil (sa lumière, pas nécessairement sa chaleur) est présente de longues heures, de 4h30 à 22h30 environ.

Vendredi est joliment passé dans la chaîne contre laquelle Ushuaia est adossée. C’est l’été, mais les sommets de cette chaîne sont encore bien encombrés de neige. L’objectif est un petit glacier, le Martial, qui domine une des vallées. L’accès est facile car à ses pieds existe un minuscule centre de ski, avec chaises monte-pente. Une route existe donc. Et la majorité des visiteurs profitent du remonte-pente. J’arrive tôt, sous un bon soleil. Un seul randonneur, vite retourné sur ses pas, me précède. Je retrouve mon confort de randonneur, car c’est la première fois que je chausse les bottes de montagne et que j’utilise les bâtons. La douleur dans la jambe gauche (sciatique?) éprouvée depuis plusieurs mois déjà est presque résorbée; tout va plutôt bien de ce côté. J’apprécie cette solitude, qui me permet de jouir sans partage d’une grosse heure au pied du glacier, autour des 900 mètres, à admirer la vue exceptionnelle sur la ville, le port, la baie, le canal du Beagle. À cette latitude, les conditions de haute montagne existent déjà vers les 500 mètres d’altitude. Tout à coup, j’aperçois de nombreux groupes de randonneurs qui s’approchent, en rangs plutôt serrés: le remonte-pente est ouvert. C’est la fin du calme. J’en profite pour descendre un peu et me diriger vers un promontoire latéral, moins haut mais plus proche de la ville, pour profiter d’un autre observatoire exceptionnel. C’est maintenant toute la chaîne de Navarino, les “Dents”, que je contemple, avec ses grandes plaques de neige.

Samedi est consacré au Parc National de Terre de Feu, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest, près de la frontière chilienne, une destination plus “maritime”, car les sommets de ce parc sont entièrement fermés aux visiteurs. Dans la petite région qui est accessible, il y a une quantité de sentiers, tranquilles et bien tracés, qui permettent de jouir de la mer, de la côte, de l’abondante forêt humide. Les animaux abondent: des lièvres et des canards à la tonne, une grande variété de petits (et très petits) oiseaux forestiers, plusieurs renards (de l’espèce rouge de Terre de Feu), des chevaux sauvages, des éperviers et des vautours. La région compte aussi de magnifiques lacs, de vastes rivières, sans compter la plus magnifique tourbière qui puisse s’imaginer. Même si le Québec est un pays de tourbière, ce “lac” de la Laguna Negra les bat toutes. Car ici, on voit très bien le très lent processus de transformation d’un lac en tourbière, avec une magnifique et large “jupe” de tourbière qui encercle totalement le petit lac. Une vraie beauté. Le parc possède aussi un agréable musée, consacré aux Yamanas, la population originale de la région, aujourd’hui éteinte, qui vivaient entièrement nus dans ce froid, parcouraient la région dans leurs larges canots (leur plus précieuse propriété) et s’abritaient dans des huttes temporaires. Un peuple de chasseurs, de pêcheurs et de cueilleurs, qui n’ont pu résister aux maladies nouvelles apportées par les nouveaux occupants.

Dimanche “sera un autre jour”. Peut-être une navigation du canal du Beagle, jusqu’au-delà de Puerto Williams, si la température s’améliore, car la pluie est maintenant bien commencée.

El Calafate, le 10 février

Dimanche, il ne fait pas si mauvais que ça, car il ne pleut plus, après une nuit de tempête. Mais il ne fait pas si beau que ça non plus car les nuages demeurent assez bas, et le est vent à décoiffer un pingouin, ce qui n’est pas facile étant donné que leurs plumes sont très courtes.

À l’instigation de mon logeur, le placide monsieur Orlando Velasquez, je m’inscris quand même à une croisière dans le canal du Beagle, un “must” dit-il ? Et encore, c’est pour la plus longue des nombreuses croisières offertes, six heures. Il faut oser, me dit-il.

Le bateau, un catamaran, est très confortable et les voyageurs assez nombreux. La mer est assez forte, mais ce n’est qu’après une dizaine de minutes, le temps de contourner l’aéroport qui trône dans le canal, que la mer devient vraiment agitée et que je comprends que nous avions commencé le voyage dans le calme relatif de la baie protégée d’Ushuaia.

Le capitaine travaille fort pour nous faire approcher des îles où les oiseaux (des canards et des cormorans surtout) sont calmement alignés selon le vent. Le catamaran peut venir très proche. Les oiseaux se lancent à intervalles réguliers dans le vent et s’amusent à voler sur place ou à glisser de côté sur l’aile. Un beau spectacle ! Plusieurs des îles comportent des populations significatives de phoques.

Nous longeons la côte argentine, mais le canal du Beagle n’est pas très large. Aussi, est-il facile de voir la côte chilienne, l’île de Navarino. Je peux distinguer très clairement les lieux que Mario et moi avons arpentés en 2008: le fond de la vallée des Guanacos avec son énorme corniche de neige, l’anse de la fin de notre randonnée, Puerto Williams, la Cerro Bandera et son drapeau. Il suffirait de 5 ou 10 minutes de navigation pour atterrir sur Navarino.

Le vent continue d’être très fort, mais nous l’avons de dos. Pas de problème pour l’instant. Mais nous croisons quelques catamarans qui retournent au port, vent de face, en étant bousculés dans tous les sens. Ça promet pour le retour.

Le but ultime de l’excursion est une petite colonie de pingouins, 2600 manchots de Magellan, et une centaine de manchots “papous” (“papua” en espagnol, “Gentoo”? en anglais); les derniers se distinguent par un bec et des pattes d’un bel orangé très riche. Le catamaran peut échouer ses proues; la vue est donc imprenable. On voit en particulier les pingouins “jouer” dans l’eau, à des vitesses folles, comme des fusées sous-marines; cette vitesse tranche avec les pas malhabiles qu’ils font à terre. Les deux espèces cohabitent sans distinction, et sans inimitié.

Après avoir compris, à Punta Tombo, que j’ai un “ascendant pingouin”, je peux maintenant qu’il d’agit d’un “ascendant pingouin papou”, à cause du lien néo-guinéen, mais surtout à cause de la couleur sublime des pattes et du bec, l’orange qui est sans conteste ma couleur préférée.

Juste après la visite de la colonie, on nous annonce que nous reviendrons par terre, avec deux bus qui nous attendent dans l’ancienne estancia Harberton, le plus vieil établissement européen en Terre de Feu, à 10 minutes d’ici. Ça nous donne l’occasion de connaître cette vieille ferme toute couverte de mousses et de lichens, de traverser des forêts épaisses et humides, de longer une rivière gonflée sur le point de déborder, et de rentrer à Ushuaia sans le moindre mal de mer. Comme dans toutes les forêts de la cordillère du sud de la Patagonie, c’est l’humidité et les mousses qui font l’atmosphère; s’il y a autant de troncs d’arbres au sol que d’arbres vivants, c’est que la température froide ralentit à l’extrême la décomposition du bois mort.

L’estancia Harberton est devenue un petit centre touristique, mais son charme très désuet est loin d’être perdu. Le décor ne semble pas avoir changé depuis 1830, au moment de son établissement. Les bâtiments sont tous d’une époque ancienne et le chemins qui les unissent conservent une saveur d’antan. Ce ne serait pas difficile d’y tourner un film d’époque! Cette allure humble en dit long sur la difficulté de la vie en Terre de Feu.

À propos, j’ai annulé les projets de longue randonnée dans les monts d’Ushuaia, lorsqu’on m’a dit que le niveau élevé même des ruisseaux rendait impossible ou dangereux leur passage à gué.

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Lundi, je prends l’avion pour Rio Gallegos. Cinquante minute de vol avec l’excellent accueil d’Aerolineas Argentinas plutôt que seize heures de route et d’attente en bus. À peine plus cher. Un taxi pour le terminus de bus, tout proche. Et un bus presque immédiat pour El Calafate, la prochaine étape.

Ce voyage de 300 kilomètres en bus, dans la mollesse d’un bus confortable, à la basse vitesse qu’on leur connaît, me permet de renouer avec ce grand désert de la steppe patagone. Cette vaste plaine un peu ondulée ressemble quelquefois à une vaste mer plutôt calme. J’ai d’ailleurs déjà eu la chance, lors du voyage précédent dans cette région, de voir “voguer” au loin sur la steppe un gros traversier que l’on transportait par route depuis un chantier côtier vers le Lago Argentino, toute une vision !!!!

Pour l’instant, il y a des brebis partout. Des guanacos traversent plusieurs fois la route. Et je vois plusieurs bandes de nandous (ces oiseaux coureurs gris beaucoup plus gros que des poules, mais plus petits que des autruches), qui se tiennent souvent tout près des guanacos. La région est riche en gaz, et on aperçoit de nombreux gazoducs, ainsi que des centres de pompage. Après une longue et insensible montée de plus de 3 heures, le voyage se par l’éblouissante côte de El Calafate, avec une vue extraordinaire du grand Lago Argentino (le plus grand du pays), turquoise comme c’est pas possible.

Nichée au fond de sa minuscule vallée verte, dans une baie du Lago Argentino, je retrouve El Calafate, le petit centre rural qui ne cesse de grossir, pour devenir une ville archi-touristique: souvenirs, restaurants, agences d’excursions. En effet, on vient ici pour aller au Parc National des Glaciers, y voir la vedette mondiale qu’est le glacier du Perito Moreno, et naviguer sur les bras du Lago Argentino à travers les icebergs au pied des autres glaciers.

Au souper, je passe dans une parilla (le Bar-B-Que typique argentin), surtout pour y déguster le renommé cordero (l’agneau) de Patagonie. J’y retrouve le bonheur de manger ce que Lucie et moi appelions des “chips d’agneau”, soit les minces et basses parties de l’animal, qui avaient un peu trop connu le feu; délicieux, comme je m’en souvenais.

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Mardi, pour faire changement, il pleut. Mais cette fois ci, c’est de la vraie pluie, forte et portée par un vent violent. J’ai réservé un transport vers le Lago Roca, à une cinquantaine de kilomètres du Perito Moreno, pour y gravir le Cerro Cristal. La chauffeuse du minibus nous rend à Lago Roca, pour y laisser des voyageurs qui vont y camper, mais elle me suggère de continuer avec le groupe vers le Perito Moreno, car les perspectives de meilleur temps sont absolument nulles pour la journée. J’hésite, pensant que la chance pourrait me sourire, mais je finis par suivre son conseil. Je ne m’en repentirai pas puisque ni la pluie, ni le vent, ni le froid ne feront relâche de toute la journée. En fait, on voit que la neige continue de tomber sur les hauteurs; après tout nous sommes en été!!! Je me retrouve donc en route pour le Perito Moreno que je réservais pourtant “pour mes vieux jours”.

Même si j’ai vu des centaines de photos de ce site, la visite allait me combler, en dépit du temps exécrable. D’abord, l’accès (qui est plutôt long) est très agréable. La route sinueuse longe le massif montagneux contre lequel le glacier bute; elle permet un très belle vue sur le bras sud du Lago Argentino, celui-là même qui est retenu par la présence épisodique du glacier. On distingue clairement la zone d’inondation qui existe le long des rives, ce qui permet d’estimer la masse importante d’eaux qui est retenue.

L’arrivée au glacier culbute toutes les idées préconçues, en raison des proportions gigantesque de la “bête”. Les photos nous montrent la face d’un glacier. Mais c’est presque une montagne qu’on admire. Une montagne de glace, de toutes teintes du blanc au bleu-noir-translucide le plus profond. Une montagne dynamique puisque toute la face est fissurée, en instance de s’écrouler. Des blocs, petits et grands tombent sans cesse à l’eau. Des pans s’écroulent, moins souvent. Cette imminence d’un écroulement fascine tous les visiteurs, ce qui fait du lieu en endroit bien dynamique.

On distingue clairement du côté où nous sommes une masse de vieille glace, qui est le résidu de la dernière rupture, celle de 2008. Quelle preuve de la résistance de cette glace.

Si on délaisse la face la plus rapprochée, on constate l’immensité du glacier, avec plus de 5 kilomètres de largeur, et une hauteur qui fait ressembler les gros bateaux de croisières qui le longent à des pucerons. Vu du haut des airs, comme je l’ai fait sur un vol arrivant à El Calafate et sur un vol chilien entre Punta Arenas et Santiago, les dimensions sont encore plus énormes, car cet “immense” glacier n’est qu’un des centaines d’effluents du glacier continental, la plus grande masse de glace après l’Antarctique et le Groënland.

Haut-lieu du tourisme argentin, le Perito Moreno accueille toujours de plus en plus de touristes. Pour satisfaire cette grande demande et minimiser l’impact des visiteurs, l’administration du parc remplace (c’est déjà presque complété) les vieilles passerelles de bois par de magnifiques passerelles en grilles métalliques et mains courantes de bois, qui mènent les visiteurs tout en bas du massif, droit devant la face principale. Quelques kilomètres d’une belle et solide construction, qui résisteront à l’affluence.

Pour l’instant, la mauvaise température n’empêche pas l’affluence, supposément parce que la majorité des visiteurs ont un programme de visite serré. Mais tout le monde a recours à tous les moyens imaginables pour se protéger du vent, de la pluie et du froid: de petits ponchos de plastique jaunes et transparents, de grosses bottes, des chandails, des manteaux, de tout. Nous ressemblons tous à des “explorateurs

Il se peut bien que le prochain message ne vous parvienne que dans plusieurs jours, car je pars demain matin pour El Chalten, la “capitale argentine de la randonnée”, où j’ai de nombreux projets de longue randonnée. Peut-être 10 jours. Et il n’est pas certain que ce petit village possède une salle Internet; c’était le cas il y a quelques années à ma première visite.

El Chaltén, le 16 février

La journée de mercredi (10) s’est passé toute tranquille à El Calafate, surtout à arpenter les rives de ce magnifique lac turquoise qu’est le Lago Argentino, et d’observer les petites bandes de flamants roses disséminés d’anse en anse. Le soleil est au rendez-vous, ainsi que le (très) grand vent patagon. La semaine prochaine, de grandes fêtes célébreront le centième anniversaire de l’occupation de ses rives. La présidente sera de la fête.

Puis, c’est le départ vers El Chaltén, capitale argentine de la randonnée. Où ailleurs verrait-on des affiches dans les autobus incitant les voyageurs à ne pas se déchausser ? Je sais que c’est un paradis de randonnée pour y être déjà venu, mais j’en vois maintenant toute l’ampleur. Lucie et moi avions visité les lieux à la fin de mars, presque à la fin de la saison; maintenant en février, les étudiants (et travailleurs) sont encore en vacances et ça paraît sur l’affluence ! Littéralement des centaines de marcheurs de jour sur les courtes randonnées. Et encore, les marcheurs argentins sont capables d’extraordinaires distances, jusqu’au coucher du soleil, vers les 22 heures. Les sentiers sont donc bien remplis.

Le développement rapide de la petite ville est très palpable et cela contribue aussi à la popularité des lieux. La route depuis El Calafate a été sérieusement améliorée et complètement asphaltée, ce qui permet maintenant aux visiteurs de venir depuis El Calafate pour la journée, ce qui était une aventure impensable naguère. Les deux bus quotidiens d’il y a 5 ans se sont multipliés et la ville possède même maintenant son propre terminus de bus. Les rues de la ville, autrefois toutes empoussiérées, sont elles aussi asphaltées. Les hôtels et auberges ont poussé, l’Internet et le guichet bancaire sont apparus. El Chaltén est devenu un centre touristique.

La vraie raison d’être de cette capitale de la randonnée, c’est la présence magique des montagnes exceptionnelles que sont le Cerro Torre, le Cerro FitzRoy et le massif qu’elles dominent. Des montagnes pas particulièrement hautes (3000m), mais nées d’une géologie particulière qui leur permet des faces extrêmement pentues et particulièrement lisses, en même temps frappées de conditions climatiques où les vents forts et humides du Pacifique et la présence immédiate de la masse du glacier continental patagonien. Des montagnes énigmatiques, qui ont longtemps résisté aux efforts d’escalade des “andinistes”, et qui ne sont toujours pas escaladées chaque année. C’est leur présence, leurs pics, leurs glaciers, qui attirent les randonneurs. Leur attrait doit être particulièrement fort puisque les conditions climatiques ne font rien pour aider; vents très forts, températures basses, pluies fréquentes, conditions instables.

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Parti tôt le jeudi (11) de El Calafate, je m’élance sitôt arrivé à El Chaltén vers le FitzRoy, en fait sur le sentier le plus populaire, celui qui permet l’accès le plus direct à la montagne mythique. Le choix de partir tout de suite est d’autant plus évident qu’il fait très beau (pas chaud pour autant, à moins d’être au plus profond d’un bois bien abrité). Les conditions ne peuvent être meilleures. En fait, il était possible d’apercevoir le sommet du FitzRoy dès le début du parcours routier du matin, à 100 ou 150 kilomètres. La montée est facile. Trois ou quatre condors glissent doucement au-dessus de nos têtes.

Je m’installe au camping Poincenot (nommé en mémoire d’un grimpeur français de la première expédition réussie, qui s’est noyé en traversant le rio de Las Vueltas, qui n’avait pas de pont alors), juste en face du FitzRoy. Je ne continue pas jusqu’à la Laguna de Los Tres, à la limite de la neige de la montagne, parce que j’y suis déjà allé et que je me sens plutôt paresseux ! Mais c’est l’objectif de la plupart des randonneurs, qui ne craignent pas de faire une longue journée. Je suis surpris de voir des randonneurs revenir de la montagne passé 20h, alors qu’ils ont encore 2h30 à faire. La lumière a beau “tenir” tard, c’est ce qu’on appelle pousser les limites !

Je passe un bout de temps avec un Néo-Zélandais de 75 ans, qui voyage avec sa fille. Ils ont marché 8 heures ce jour par le chemin indirect et viennent de monter le camp. Ce monsieur s’est donné comme objectif il y a quelques années de faire un voyage d’un mois avec chacun de ses 7 enfants; les enfants choisissent la destination, et lui s’ajuste aux goûts de chacun.

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Dans les grandes randonnées, j’aime bien emporter mes propres plats déshydratés: ils sont bons, légers á porter, faciles à reconstituer. C’est techniquement illégal d’entrer en Argentine (ou au Chili) avec de tels plats, puisque l’importation de viande ou de légumes est interdite par les services sanitaires. Je me trouve donc obligé de composer avec les ressources limitées du petit supermarché de El Calafate. Au moins, s’il y avait des ramen !!!! La difficulté est amplifié par le fait que je sois seul: emballages trop gros, difficulté à gérer les restes. Même pas de sacs ZipLoc ! Et pas de sacs d’épicerie, puisqu’ils sont devenus illégaux dans la province de Santa Cruz. Je me retrouve donc avec des provisions trop lourdes, et des emballages “risqués”. Le sac, qui faisait moins de 15 kilos au départ de Québec, dépasse certainement les 20 kilos maintenant.

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Vendredi (12), levé plus tôt que la majorité des campeurs, je m’engage sur le sentier de Piedra del Fraile, qui contourne le massif par le nord. Ce lieu, situé sur le Rio Electrico (une rivière électrique, allons donc!) est la porte d’accès la plus commune pour les expéditions vers le glacier continental. Juste au bout de cette vallée, le glacier Marconi, malgré sa surface pentue et extrêmement crevassée, représente une rampe commode pour “grimper” sur le grand glacier continental. Je suis déjà venu à Piedra del Fraile. Et Mario et moi y serions venus pour ce “tour du FitzRoy” prévu pour février 2006 mais annulé par les problèmes cardiaques qui m’ont empêché de voyager pour plus de 6 mois.

Le sentier quitte le parc (Toujours le Parc des Glaciers, à sa limite nord) et il n’est pas très utilisé. Le marquage et les aménagements sont presque inexistants. Nous nous sommes d’ailleurs perdus (une grosse heure peut-être, rien d’inquiétant) la fois précédente. Cette fois ci, ça va beaucoup mieux, en raison de la présence de nombreux petits cairns laissés par les marcheurs. Il est tôt (selon les normes argentines) et je ne rencontre personne avant d’être presque au refuge tenu par l’estancia propriétaires de ces terres. Au cours du passage le plus difficile, la traversée d’une petite rivière issue du glacier de Piedras Blancas qui n’est possible qu’en escaladant d’énormes blocs (de pierre blanche évidemment) qui recouvrent toute la rivière, le bouchon du bidon d’alcool (qui s’était dévissé par friction) disparaît. Plutôt déplaisant, car je perds un peu d’alcool à chaque pas. Un bout de “duct tape” modère les pertes, mais le problème ne se règle qu’avec deux bouteilles vides de coca ne remplacent le bidon au refuge en fin de journée.

À Piedra del Fraile, le refuge privé a été agrandi d’un nouveau bâtiment, qui sert de restaurant, simple et très cher. La douche primitive (et chaude) fonctionne toujours. La dame et ses deux enfants ont été remplacés par un jeune couple plus proche des marcheurs et des grimpeurs. Le refuge est un lieu de passage pour toutes sortes d’amateurs de plein-air, des simples marcheurs venus admirer le paysage jusqu’aux “bêtes” d’escalade en route vers un nouveau sommet. Un beau milieu, vivifiant.

Je discute un peu avec les gens, pour faire des plans. J’apprends que la montée au Paso del Cuadrado, que je voulais faire, prend 7 à 8 heures, et comporte une montée de 1600m. Et la seule vue du FitzRoy vient au terme de la montée. Il faut donc une température parfaite, … et la volonté de faire cette rude montée. Ma paresse est plus forte. Je n’irai pas.

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Samedi (13), le temps est mauvais en hauteur; en fait il y a de la neige neuve de la nuit. Mais il est seulement maussade dans la vallée ! Je pars, avec deux Français (dont un porte une tuque des Canadiens de Montréal, qui lui a été donnée), vers l’amont du Rio Electrico, avec l’espoir de m’approcher du glacier Marconi et du glacier Polone. Au départ, il vente mais sans pluie. Bientôt, nous nous retrouvons avec ce que j’appelle du “vent mouillé”, qui ne pose pas de problème. Mais, au bout de 90 minutes, c’est la vraie pluie qui est installée. Le parcours n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît puisque, après avoir traversé de larges “plages” de moraine, il faut grimper sur des promontoires abrupts, couverts de roches glissantes et de tourbières fort humides, pour contourner le Lago Electrico. La seule lectures de la carte m’aurait plutôt fait attendre une marche facile sur la rive. La pluie ne cesse d’augmenter. Je laisse les Français et rebrousse chemin.

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Dimanche (14), la température est parfaite: ciel sans nuages, pointes de température à 15 degrés (quand le vent relâche un peu). Les ascensionnistes, qui attendaient depuis quelques jours une “fenêtre” météo, arrivent très tôt, dès 08h30. Compte tenu des 2 heures de marche et des habitudes argentines, c’est vraiment très tôt.

Je quitte Piedra del Fraile pour revenir vers le Campamiento Poincenot, mais en empruntant un itinéraire différent. Il s’agit de descendre la rive droite du Rio Electrico, jusqu’à la route, de suivre cette route sur 800m, puis de remonter54 la rive droite du Rio BLanco, où le sentier est beaucoup plus facile, et mieux marqué. Ça me permet de traverser les grandes étendues de gravier laissées par les anciens cours du Rio Blanco, alors qu’il drainait des glaciers beaucoup plus gros qu’aujourd’hui, de voir le massif du FitzRoy d’un autre angle. Le premier sentier se termine au pont sur le Rio Electrico, installé après la petite guerre contre le Chiliens à propos  de la région du Lago del Desierto, un peu plus haut, avant tout pour affirmer la souveraineté argentine. Une belle grande affiche nous apprend que le pont a d’abord été construit en 1900 pour desservir un chemin de fer de la province de Buenos Aires, aujourd’hui fermé, et que son acier “centenaire sert aujourd’hui la souveraineté argentine”. Juste à côté du pont un magnifique (et énorme) camion allemand est stationné; il appartient à une agence de ce pays et sert de base mobile à un petit groupe de touristes fortunés qui y disposent de bien des services. Du tourisme d’aventure, version confortable.

Le second sentier débute juste derrière une maison “ancienne” (peut-être 50 ans, et recouverte de tôle ondulée) transformée en hosteria. Le sentier offre une belle montée régulière, le plus souvent sous le couvert des arbres, mais avec de grandes vues sure la vallée du Rio Blanco qu’il domine, et sur la massif du FitzRoy. Sur le fond de ciel bleu, on détaille bien les nombreuses (des centaines ???) aiguilles toutes aussi verticales les unes que les autres; c’est à se demander si tous les grimpeurs de la terre réussiront un jour à gravir chacun de ces sommets fantasques ! Quand on songe à la difficulté du sommet principal, qui a pourtant été si peu escaladé. Seul le Cerro Torre, juste au sud, lui fait concurrence à cet égard. Pas même les grands sommets himalayens.

J’arrive assez tôt au campement Poincenot, La tente est vite montée. ET je m’installe en plein soleil, entre deux gros ruisseaux qui jouxtent le camping, pour écrire, faire un mot croisé et m’allonger (en fainéant que je suis) sur le gravier, la casquette sur les yeux et le FitzRoy qui occupe toute ma vue. Malgré le ciel tout bleu, la montagne produit son petit panache de nuages à lui tout seul, qui s’effiloche immédiatement. Les indigènes appelaient la montagne “Chaltén”, ce qui veut dire “qui fume”.

La belle température a encouragé les randonneurs à venir à la montagne depuis le village, Ils retournent tranquillement, après une belle journée.

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Lundi (15) est une journée brillante de soleil, pour le retour tranquille vers El Chaltén, où je m’établirai à l’auberge de jeunesse pour des randonnées d’un jour, tant qu’il fera un peu beau.

Je pars tôt, peut-être le premier. Le sentier est à moi, jusqu’à ce que je rencontre les premiers randonneurs qui montent à la montagne. Mais, surprise, ma première rencontre est un puma, qui déambule tout calmement sur le sentier même, en longeant une tourbière tranquille, à 100 mètres devant. C’est la première fois que j’en croise un. Quelle belle bête ! Mais, après tout ce qu’on m’a dit sur les talents remarquables de chasseur de cet animal, je ne suis pas vraiment à l’aise. Les bâtons de marche prennent à ce moment un rôle défensif dans mon esprit, mais sans me convaincre complètement. Ce sont quelques groupes de marcheurs, une vingtaine de personnes au total, arrivant dans l’autre sens qui dérangent le puma, qui s’enfuit. Le retour se complète sans incident.

Je serai à El Chaltén tant qu’il fera beau. Je vous parlerai des belles randonnées qu’on y fait.

La Plata, le 20 février

Lundi (15). Une fois arrivé à l’auberge de jeunesse, c’est la grande toilette. Un bonheur après ces 5 jours dans la nature. Il faut dire que, en portant “ma maison” sur le dos pour tout le voyage, les ressources sont limitées: une minuscule serviette synthétique, un seul pantalon, un short (qui n’a pas encore servi), trois chemises, etc. Le petit bonheur d’une arrivée “en ville” est donc précieux. Passage à l’Internet. Visites aux agences et transporteurs pour clarifier les plans. Puis souper au café Patagonicus, un lieu préféré, pour son atmosphère et la qualité de sa cuisine. Je suis tenté par le bife de chorizo, ce classique de la viande argentine, mais j’opte pour une pizza à l’agneau de Patagonie. Un régal. Je mange assez tôt (20h) pour profiter des rayons du soleil et me promener dans le centre du village. J’aboutis devant la petite chocolaterie, logée dans un bâtiment en “bois rond” qui ressemble à une maison de gnomes. Visite ratée précédemment car au moment d’y aller la propriétaire fermait pour la saison. J’entre dans cet antre du chocolat ouvert depuis déjà 15 ans (quel acte de foi d’ouvrir ce commerce particulier dans un village qui n’était qu’en train de naître à ce moment) et je suis charmé par l’odeur des chocolats chauds et des sandwichs grillés. Encore plus par les chocolats amers au piment.

Le matin du mardi (16), le village est couvert de frimas, car il a gelé cette nuit. Heureusement que c’est l’été! Le Cero Torre, cette “tour” impossible à gravir, avec ses parois verticales (ou même “renversées d’un côté), est entièrement couvert de glace. On ne voit que sa pointe, qui dépasse des grosses collines derrière le village. Une sorte de “gros crayon” vertical et irréel! Un petit déjeuner exquis à la boulangerie, de café et de medialunas, ces petits croissants sucrés. Je me lance dans la randonnée de la Loma del Pliegue Tumbado (le “mont du plissement renversé”). Une longue montée (7h aller-retour) très régulière, sur 1500m, qui mène juste en face du Cerro Torre, et même un peu en arrière du FitzRoy, offrant ainsi une vue très différente du massif. La puissance incroyable de ces montagnes m’accompagne durant toute la montée. En fait, les pentes sont tellement folles que l’esprit se heurte à ce qui paraît être une impossibilité physique. Quelle combinaison de géologie et de conditions climatiques! En un lieu si précis et si restreint! Car, autant au nord qu’au sud, la chaîne reprend des allures plus “normales”.

Mercredi (17) est le jour d’une décision. La nuit de mardi à mercredi a été tout bonnement un enfer, avec de l’activité et du bruit autour de moi, jusqu’au matin: une conférence d’escalade jusqu’à 2h dans la salle à côté et une fête dans le bar de l’auberge à 20 mètres, avec de la musique (non, les basses seulement!) archi-forte . Cette mauvaise nuit est la goutte de trop. Depuis le début du voyage, je constate qu’il est devenu nettement plus difficile de voyager en Argentine, de bien des manières. Les contacts avec les étrangers ont pris une allure différente, et souvent remplacé par une attitude essentiellement commerciale. Ce qui n’empêche pas d’avoir pris goût à ce que j’ai fait. Mais, tout est plus difficile. Peut-être les particularités de la Patagonie (avec son esprit de Far-West) sont-elles à considérer. En plus, j’ai trouvé particuluièrement difficile de voyager seul. Les finances ont leur part de responsabilité, quand on songe que tous les prix ont gagné 50% depuis mon dernier passage en ce pays, il y seulement 15 mois; certains ont doublé en ce court laps de temps. Ça crée une limitation générale à laquelle je n’étais pas nécessairement prêt, comme utiliser les seules auberges de jeunesse, qui sont souvent pas reposantes …. et malgré tout chères. Aussi je trouve plus facile de réaliser un projet de randonnée précis (comme le Nevado de Cachi en novembre 2008) que de faire un voyage plus “touristique”.

Donc, dès le matin, je décide d’écourter le voyage. Le billet de retour en avion vers Buenos Aires est vite trouvé, pour le soir même. Il reste à régler la question du vol vers Québec. Peut-être je devrais pas réagir si fort. Mais vaut mieux aimer ce qu’on fait ! Je suis content de ce voyage comme il est.

Le vol sur Aerolineas Argentinas (via Bariloche) s’enchaîne bien, et je retrouve Natalia et Carlos après minuit (un peu en retard sur l’horaire), en plein centre, sur l’avenue Corrientes. Une heure plus tard, je suis endormi après une journée bien remplie. Maintenant ça va mieux.

Jeudi (18)  Dès le lever, je contacte Air Canada et je trouve un billet vers Québec pour lundi prochain. Natalia et moi passons une bonne partie de la matinée à échanger nos nouvelles (comme des figuritas -les autocollants, dirions nous- que s’échangent les enfants, dit-elle).

Je passe le reste de la journée à visiter des musées, ce que je n’ai jamais fait encore, malgré le grand nombre de mes visites à Buenos Aires.

Le premier, le Musée d’Art Décoratif, n’est pas particulièrement passionnant car il s’agit en fait de la collection d’art européen d’une famille richissime du début XXe, dans leur résidence-château d’alors. La collection est très éclectique, sans “direction” particulière, mais j’apprécie particulièrement cette vision sur la vie de la “noblesse” argentine de l’époque dorée de son histoire.

Le second, le Musée National des Beaux-Arts, qui comporte (1) une riche collection d’oeuvres d’art européen (plein de grands noms) acquises au fil des années par des Argentins à l’aise et cédées à l’État et (2) une très belle collection d’art argentin (excluant l’art précolombien, qui se trouve ailleurs) qui montre bien l’évolution et la transformation de l’expression artistique à travers l’histoire du pays.

Le troisième, le “Palais de Glace”, est un lieu d’exposition d’art contemporain argentin, installé dans une ancienne patinoire/salle de bal chic, lieu de rencontre historique de la bonne société de Buenos Aires. J’y visite avec plaisir une magnifique exposition d’art textile et une exposition de céramique.

Vendredi (19) est lui aussi occupé par des musées. D’abord le Musée d’Art Populaire, qui donne à la fois une perspective historique sur les arts anciens argentins les plus nobles (comme l’argenterie –couteaux, attelages d’apparat et matés– et le tissage –ponchos surtout–) et une vision de l’artisanat argentin contemporain de qualité dans les mêmes spécialités. On est bien loin de ce que les boutiques touristiques d’artisanat, même les meilleures, offrent. Ensuite le renommé MALBA, une collection privée d’art latino-américain (surtout argentin) qui est pour le moins remarquable. Je reviens avec un paquet de noms d’artistes sur lesquels je veux me documenter. Il est évident que les latino-américains ont un sens très prononcé de la couleur. En prime, le musée présente une rétrospective très vaste d’Andy Warhol; je connaissais son évolution et ses oeuvres par l’Internet et des livres, mais la confrontation directe avec les oeuvres est irremplaçable. Le musée est tout bonnement bondé, avec des centaines de jeunes. Pendant toute ma visite, il pleut des cordes, 80 mm de pluie en 4 heures; un vrai déluge, qui affecte toute la ville (métro, électricité,…). Ces orages très forts sont, paraît-il devenus fréquents et ils bousculent tout. Buenos Aires en train de devenir une cité tropicale ?

Samedi (20) je suis à La Plata, la capitale toute proche (70 kms) de la province de Buenos Aires, une ville “nouvelle” créée début XXe spécialement comme capitale provinciale, distincte de la capitale fédérale. Donc très provinciale et un peu artificielle. Canberra ou Brasilia, sans l’argent!

Je passerai la journée de dimanche avec Natalia et Carlos. Et lundi sera le retour vers Québec.

Ce courriel est donc le dernier épisode de ce voyage.