Mon "scrapbook", tout simplement

Népal 2014

La traversée du col de Saribung, au-delà du massif de l’Annapurna en avril-mai 2014, avec Mario

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Les photos de Mario      (Album Google Photos)

Les photos de Jean-François    (Album Google Photos)

 

 

Népal 2014

par Jean-François Bouchard

Je suis allé au Népal en mai-juin 2014 avec mon ami Mario. Une belle excursion. Un peu difficile. Longue: 23 jours de marche. Haute: 6060 mètres.

Cette excursion traversait le sud et l’est du “royaume” du Mustang, une région de culture tibétaine du Népal longtemps fermée au tourisme. Elle se continuait vers la vallée de Naar-Phu, par le col de Saribung.

L’inspiration d’une randonnée au Mustang m’était venue au cours du voyage précédent au Népal, avec Mario en 2011.

Au cours de ce voyage près de l’Everest, j’avais apprécié la beauté du monde himalayen en même temps que l’intérêt de la culture tibétaine.

Je m’étais rappelé du fort désir de Louise de connaître le monde tibétain. Mais il fallait qu’un éventuel projet demeure dans les limites de ses capacités physique et de son expérience de randonnée.

Je savais qu’il est difficile de randonner au Tibet proprement dit, qui est très contrôlé et très cher.

Mais j’avais entendu un des compagnons du voyage de 2011 parler de sa riche expérience du Mustang. Cette région offre un univers de culture tibétaine, de bonnes conditions météo, un climat sec au delà des hauts massifs népalais que la mousson n’atteint pas, des altitudes moyennes. C’est en outre un “royaume” avec une considérable vigueur culturelle et avec une grande affluence commerciale traditionnelle qui s’explique par sa position sur le passage le plus facile entre le Tibet et le Népal.

La région réunissait de bonnes conditions pour un second voyage au Népal, avec Louise cette fois.

L’idée d’une randonnée au Mustang était lancée. Mais, il s’est avéré que Louise n’était pas encore prête à envisager un tel projet. Cela serait remis à plus tard. En fait au printemps 2015.

Entre temps, Mario me soumettait son désir de retourner au Népal, mais avec un défi plus grand cette fois. Le voyage dans la région de l’Everest que nous avions fait en 2011 étant coté “7” dans les voyages de World Expeditions, il nous faudrait viser pour le prochain voyage au moins une cote “8”, et une altitude supérieure aux 5600m atteints précédemment, peut-être 6000m si possible.

L’idée du voyage

Peu de voyages regroupaient ces caractéristiques. Mais il y en avait un qui se démarquait: la traversée du Damodar – Saribung.

Cette proposition de l’agence World Expeditions, qui nous a attiré, consiste en une randonnée d’une vingtaine de jours, en un vaste arc (en fait, presque un demi-cercle) centré sur les sommets du massif de l’Annapurna. Mais, à la différence du réputé circuit autour de l’Annapurna, ce périple est plus excentré, plus long, et plus éloigné de ce mythique massif.

L’itinéraire comporte plusieurs sections distinctes. D’abord une traversée sur 5 jours d’une bonne partie de la haute vallée centrale du royaume du Mustang. Ensuite une montée graduelle en 5 jours vers les confins inhabités de l’est de la même région, en direction du lieu de pèlerinage des lacs de Damodar. Puis le passage en 3 jours du haut col de Saribung (plus de 6000 mètres) qui se trouve juste à proximité de la frontière tibétaine. Le voyage se continue en une longue descente à travers la région de Naar-Phu et se termine en empruntant ce qui correspond aux étapes initiales du circuit de l’Annapurna.

Le défi est de taille, à cause de l’altitude, de l’isolement, du caractère exigeant de l’environnement.

Il importe donc, pour les étrangers que nous sommes, de pouvoir compter sur l’excellente organisation de l’agence World Expeditions.

L’organisation du groupe

Comme en 2011 lors de notre voyage dans les hauts cols qui entourent l’Everest, nous sommes 7 voyageurs, entourés d’une intendance de 23 personnes.

Outre Mario et moi, le groupe comporte deux Américains (Leslie de Boston, Greg d’Arizona) et trois Australiens (George de Melbourne, Anthony de Sydney et Tania qui vit depuis longtemps dans divers états du Golfe Persique).

Le leader de l’expédition est Harka, originaire des plaines de l’est du Népal et sociologue, âgé d’une quarantaine d’années, il travaille pour World Expeditions depuis plus de 15 ans. D’abord sherpa, il est rapidement devenu leader.

Il est secondé par trois sherpas : Mimgma (leader à l’occasion), Kagi (un guide de montagne recruté pour nous faciliter le passage du col de Saribung) et Dawa (encore à l’entraînement). Nous découvrirons au cours du voyage que chacun d’eux a déjà travaillé quelques années dans l’un ou l’autre des états du golfe Persique. C’est maintenant un passage obligé pour les jeunes Népalais qui veulent se lancer dans la vie.

Le sirdar Kalsang gère les 12 porteurs qui nous sont assignés. Et le cuisinier Chandra dirige une brigade de 5 assistants.

Et encore, s’ajouteront pour les 9 journées entre Jomsom et Ghuma Tanti un cheval, une mule et leur propriétaire, pour aider au portage des choses les plus lourdes.

Pour contrôler la salubrité, notre agence nous loge dans des tentes et fait sa propre cuisine, plutôt que d’utiliser les nombreux lodges et teahouses qu’on retrouve dans toutes les régions habitées du Népal. Mais ça ne nous empêche pas d’être traités comme des rois.

À preuve, nos tentes sont bien assez grandes pour deux randonneurs et leur sacs. C’est encore plus vrai pour les trois parmi nous qui ont choisi de payer le supplément single.

Notre groupe transporte une grande tente réfectoire, avec deux petites tables de fer et huit strapontins bien commodes, malgré leur inconfort relatif.

Toute l’eau que nous consommons est bouillie. La vaisselle et les ustensiles sont lavés à répétition.

Comme l’agence se fait un point d’honneur de ne pas imposer de poids écologique aux trop rares forêts népalaise (il n’y en a pas vraiment dans le désert du Mustang), cela nécessite que nous transportions une centaine de litres de kérosène.

Et la liste des petites douceurs continue: des matelas pour tous les randonneurs, des œufs frais chaque jour, du colorant pour le glaçage des gâteaux, des légumes frais, etc

Les équipements de sécurité ne sont pas oubliés non plus: un téléphone-satellite, des balises GPS, une chambre bathymétrique d’altitude.

De Québec au Népal,
un long voyage

Malgré que je fasse ce voyage avec Mario, ses exigences d’horaire font que nous nous rendons à Katmandou par des chemins distincts. Il voyage vers l’est et passe par le Qatar, je voyage vers l’ouest et passe par Hong Kong.

Le Népal n’est pas à la porte. Katmandou est à 11432 kilomètres de Québec en ligne droite.

Mais, mon vrai chemin est encore plus long. Dans mon cas, c’est un premier vol Air Canada vers Toronto, un second vol Cathay Pacific vers Hong Kong, une escale très significative de 12 heures à Hong Kong et un troisième vol Dragonair vers Katmandou (avec un bref arrêt à Dhaka). Presque une épopée !

Le vol principal avec Cathay Pacific, un transporteur réputé pour l’excellence de son service dure à lui seul 15 heures. Et c’est sans compter sur un itinéraire défiant le sens commun: un départ vers l’est (plutôt que vers l’ouest comme on pourrait s’y attendre), un vol éminemment polaire qui coupe la mer Arctique en plein milieu, le survol successif de Kuujuuaq, Iqaluit, Thule, le cap nord du Groënland, la péninsule sibérienne de Taïmyr, le lac Baïkal, la Mongolie et Pékin.

Heureusement, le service est impeccable et très attentionné. Jamais je n’ai croisé un équipage qui soit aussi efficace, avec le sourire. Ça change un peu des transporteurs nord-américains.

Une pause à Hong Kong

J’arrive à Hong Kong au lever de jour, un peu après 5 heures du matin. Et le vol de correspondance ne part que 12 heures plus tard. Voilà une belle occasion d’explorer le centre de Hong Kong.

Malgré l’heure hâtive, l’aéroport est en pleine effervescence, avec une foule compacte de passagers venant surtout de Chine. La file pour l’immigration est vraiment longue. Mais, tout va très rapidement. L’efficacité légendaire de ce territoire à l’œuvre.

J’obtiens rapidement un visa, je fais un téléphone à Louise, et me voilà dans la navette ferroviaire, qui me conduit en 20 minutes à son terminus dans le quartier des affaires sur l’île de Hong Kong.

Le centre-ville m’apparaît bien calme pour un jour de semaine. Les bus et les typiques petits tramways sont presque vides. Je découvre un peu tard que ce vendredi est un jour férié, le Vendredi Saint.

Je profite de ces quelques heures pour fureter un peu partout, et traverser aller-retour la rade de Hong Kong par l’historique Star Ferry.

Je suis revenu assez tôt à l’aéroport pour respecter les délais prescrits. Mais comme tout (police, immigration, inscription) se passe très vite, j’ai tout le temps d’explorer ce magnifique (et immense) aéroport. On a l’impression que tous les services, pourtant répartis sur 6 ou 7 niveaux, se passent sous une seule gigantesque tente de verre soutenu par d’aériennes colonnes de béton, avec des vues constantes sur le trafic aérien et la nature environnante. L’aéroport demeure calme, malgré l’activité intense.

Je prends un vol de Dragonair, filiale de Cathay Pacific, vers Katmandou, avec une escale à Dakha au Bangladesh.

J01 – vendredi 18 avril 2014
Arrivée à Katmandou

Le vol de Dragonair arrive à l’heure, en fin de soirée. Le passage à l’immigration et aux douanes est rapide. Je fais tout de suite contact immédiat avec le représentant de l’agence et le chauffeur. On me conduit directement à l’hôtel où je suis attendu. L’inscription est presque instantanée.

Le résultat: à peine plus d’une heure après l’atterrissage, j’arrive à la chambre où Mario vient de se mettre au lit. Comme si, pour nous rencontrer entre Deschaillons et Québec, nous nous étions donné rendez-vous presque aux antipodes.

Le voyage a été long. Le sommeil vient vite.

J02 – samedi 19 avril 2014

Une ville déjà connue
Katmandou

Après ce long voyage aérien, la nuit est bonne et nous nous laissons réveiller. Nous sommes heureux de retrouver cet excellent hôtel où tous les voyages népalais sont basés. C’est le confort cinq étoiles, après tout.

Nous prenons le temps de savourer l’excellent buffet du petit déjeuner de l’hôtel. Dans mon cas, je me gave des superbes plats indiens. Mario en reste à la tradition occidentale.

Nous laissons passer la visite touristique d’orientation qui est organisée par l’agence, puisque nous l’avons déjà faite en 2011.

Nous prenons plutôt la journée pour relaxer, mettre une dernière main aux bagages de randonnée, et profiter de l’excellent buffet népalo-européo-indien de l’hôtel le midi.

Je parviens à établir le contact téléphonique avec Louise, par le biais du petit ordinateur.

En fin d’après-midi, notre leader organise une réunion des sept voyageurs, autour d’une bière dans un sympathique (et ancien) bar de l’hôtel que je n’avais pas encore découvert. Nous nous présentons, nous recevons les consignes, et mettons la dernière touches aux formalités administratives.

Il faut dire que ces formalités sont importantes, car notre excursion traverse trois des régions restreintes du Népal. Les permis sont stricts et les droits très élevés, surtout pour le Mustang.

Au cours de cette réunion, une imprécision apparaît quant à la longueur de notre voyage, sans que nous la comprenions pour autant. Nous découvrirons au fil de la semaine à venir que, même si le programme présenté aux voyageurs a été allongé d’une journée 6 à 8 mois plus tôt, cette information n’a pas été donnée au leader.

Nous allons souper dans un restaurant népalais présentant une cuisine, des danses et de la musique soit-disant typiques, le Nepali Chulo. Un restaurant pleinement consacré aux touristes, aux groupes en particulier, offrant une “capsule” du Népal traditionnel de la vallée de Katmandou.

Nous rentrons directement à l’hôtel, qui n’est pas loin, car nous partons assez tôt le lendemain.

Un départ

J03 – dimanche 20 avril 2014
De Katmandou à Pokhara

Nous sommes sur pied assez tôt. Mais le vol n’est qu’à 8 heures.

Nous prenons un appareil Jetstream 41 (29 passagers) de Yeti Air, pour un vol (trop) court au-dessus des contreforts de l’Himalaya sous le brillant soleil du matin. L’atterrissage est subit et direct, sans effectuer de circuit, sur le très petit aéroport de Pokhara. D’ailleurs, c’est surprenant que la seconde ville du Népal (avec ses 300,000 habitants) soit desservie par un si petit aéroport. Mais, la Chine a déjà commencé (très lentement) à construire un nouvel aéroport capable de recevoir de plus gros appareils.

On nous conduit directement au camp permanent que World Expeditions possède dans cette ville. C’est un vaste terrain boisé, avec une vingtaine de grandes tentes déjà montées, chacune dotée de deux confortables couchettes.

Il fait très chaud et humide, à cette relativement basse altitude. La végétation est abondante, avec une quantité d’oiseaux très bruyants. Nous sommes au cœur de cette ville à basse densité, et nous sentons déjà en pleine nature. Une mangouste traversera même le camp, en toute tranquillité.

En même temps, nous nous sentons bien loin de la montagne avec cette chaleur. Pourtant, Pokhara est à la lisière de cette grande chaîne de l’Himalaya, et le panorama montagneux vers le nord est absolument remarquable, spécialement tôt en journée, avant que l’humidité et les nuages ne bloquent la vue.

Em matinée, nous effectuons une petit excursion en direction du lac Phewa, vers le quartier très touristique de Lakeside, là où les routards du monde entier se donnent rendez-vous. Puis nous retournons au campement pour le repas du midi.

Au programme de l’après-midi, ce sera une petite excursion vers la pagode que nous apercevons haut sur une colline de l’autre rive du lac, vers le sud. Cette “World Peace Pagoda” est en faite une énorme st?pa, une de plus de 80 dans le monde, qui a été construite sous l’égide d’un regroupement de bouddhistes japonais, dans un geste symbolique d’encouragement à la paix.

Nous retournons à Lakeside, où nous louons deux barques parmi la myriade de celles que nous proposent leurs patrons. Nos capitaines sont des rameurs remarquablement inefficaces. Mais, à tout prendre, tous les autres, que nous croisons et côtoyons, le sont tout autant. Nous longeons les rives, rencontrons des familles, des amoureux, des pèlerins, tous au rythme des pagaies. Sous nos encouragements, une course informelle s’engage bientôt entre nos deux barques.

Rendus sur l’autre rive, nous nous engageons dans une rude montée d’une heure vers la st?pa. C’est le premier moment de marche partagé avec les nouveaux compagnons. Les muscles sont un peu “rouillés”. Et il fait aussi beaucoup trop chaud pour les vêtements que nous portons, prévus pour le froid et l’altitude.

Depuis la st?pa, la vue est absolument magnifique: le lac, le quartier de Lakeside, la ville aux allures presque champêtres, mais surtout la chaîne de montagnes qui barre l’horizon au nord.

La randonnée commence

J04 – lundi 21 avril 2014

de Pokhara (900m)
à Kagbeni (2840m)
via Jomsom (2710m)

3h00 de marche

En ce premier jour de randonnée, nous nous réveillons très tôt, bien avant le lever du soleil. Car le décollage est prévu très tôt, tout juste à l’aurore (06h15), pour permettre le vol à vue dans le ciel dégagé du petit matin, avant que les nuages et les vents ne bloquent le passage. Les risques sont très réels pour ce court vol de moins de 30 minutes puisqu’il s’engage dans la plus profonde des gorges, dans la plus massive des chaînes de montagne.

Notre avion, un Twin Otter (19 passagers) de Tara Air, une filiale de Yeti Air, fera une montée graduelle au fil des crêtes, depuis Pokhara (827m) jusqu’à Jomsom (2710m). L’ascension est très douce, très graduelle, d’abord au-dessus des collines environnantes du piémont, puis au creux d’une vallée exceptionnelle, celle de la Kali Gandaki, dans la plus profonde gorge du monde.

Nous sommes heureux que l’avion puisse effectuer le trajet en 20 minutes de vol. Autrement il faudrait compter sur 8 heures de mauvaise route

Kali Gandaki

Nous allons, au cours de la plus grosse moitié de cette longue excursion, remonter le cours de la rivière Kali Gandaki, et d’un de ses affluents principaux. Cette rivière est le produit d’un des cinq bassins versants principaux du Népal, avec une superficie de 46,300 kilomètres carrés.

Son bassin contient trois des sommets de plus de 8000 mètres, le Dhaulagiri, le Manaslu et l’Annapurna I.

Sa source se trouve au Népal sur la frontière tibétaine à une altitude de 6268 mètres, à la tête du glacier Nhubine Himal. Il est remarquable que sa source soit à peu de distance du cours supérieur du Brahmapoutre (Tsangpo), qui s’écoule vers l’est en direction du delta du Bangladesh.

Elle coule vers l’Inde (où elle porte le nom de Gandak) pour se combiner avec d’autres cours d’eau et finalement se jeter dans le Gange près de Patna.

Au sud de Jomsom, lorsque le lit de la rivière se trouve à 2300 mètres d’altitude, celui-ci est directement entre les sommets du Dhaulagiri (8167 mètres) 6 kilomètres à l’ouest et de l’Annapurna I (8091 mètres) 10 kilomètres à l’est. Cette énorme différence de relief constitue la “gorge” la plus marquée de notre planète.

Le rivière prédate des plissements de l’Himalaya, mais son énorme pouvoir érosif lui permet d’entamer les montagnes qui ne cessent de se soulever.

Elle est d’une très grande importance religieuse, autant pour les bouddhistes que pour les hindouistes. De nombreux lieux sacrés se trouvent dans son bassin.

La vallée de la Kali Gandaki a été pendant longtemps une des principales routes commerciales entre le Tibet et l’Inde. Les commerçants échangeaient le sel du Tibet contre de l’orge, des épices et des tissus. Depuis l’invasion chinoise du Tibet, ce commerce a été interrompu.

Au cours de notre vol, nous survolons même de très peu (quelques dizaines de mètres seulement) les nombreux marcheurs qui se rendent au lever du jour à la renommée colline de Poon Hill pour y admirer le panorama des sommets himalayens (dont les Annapurnas) qui barrent le paysage une vingtaine de kilomètres au nord.

Un peu plus loin, l’avion s’engage au fond de la vallée de la Kali Gandaki, à peu de distance de ses parois et de son fond. Nous nous “infiltrons” pratiquement dans cette étroite vallée. Les versants de montagne et les villages nous apparaissent dans tous leurs détails.

La montée se relâche, et nous arrivons dans la haute vallée, qui s’élargit soudain. L’aéroport de Jomsom est juste devant. L’appareil perd seulement quelques dizaines de mètres et se pose rapidement. Nous avons l’impression d’avoir emprunté un train à crémaillère au fond de la vallée, plutôt qu’un avion.

Nous sommes à pied d’œuvre. Nous sommes enchantés d’y être, et que la bonne température nous ait permis d’effectuer ce vol.

Jomsom, est avant tout une petite ville de garnison. Nous le constaterons pendant notre court séjour, en voyant les hommes de troupe défiler au petit pas de course le long de la rue du village (et revenir une demi-heure plus tard)

Jomsom est aussi une ville de services, bien commode aux randonneurs du circuit de l’Annapurna, aux pèlerins de Muktinath et aux touristes du Mustang. Tous comptent sur son aéroport, ses boutiques, ses lodges, ses tea houses et sa banque.

Lodges et Tea Houses

Le Népal se distingue de toutes les destinations du monde où les touristes s’adonnent à la randonnée pédestre, par la densité et la qualité de son réseau d’accueil.

Dans toutes les régions de randonnée du pays, les habitants ont créé de petits hôtels (lodges) et de simples restaurants (tea houses). Ces entreprises proposent les services indispensables aux marcheurs. Il est donc possible de prévoir effectuer de longues randonnées avec un bagage minimal, et pouvoir compter sur ce réseau.

À l’aéroport, nous sommes accueillis par toute l’équipe de l’expédition (porteurs, cuisiniers, sherpas) qui sont arrivés la veille de Pokhara et de Katmandou par le mauvais chemin qui a progressivement remplacé le sentier au cours des dernières années.

Sitôt arrivés, nous nous déplaçons vers un petit hôtel, dont les lieux ont été requis pour finaliser l’organisation pratique du groupe.

Les bagages, autant ceux qui nous accompagnaient que ceux qui arrivent par un second appareil, sont transportés depuis l’aéroport. Ils sont alignés dans la cour intérieure du lodge.

Les porteurs qui sont assignés aux bagages personnels des randonneurs viennent soupeser ces grosses “poches de hockey” identiques, en nylon rouge, toutes supposément limitées à un poids de 15 kilos. Les sacs sont partagés entre les porteurs, chacun en prenant deux, qu’il conservera tout le long de la randonnée. Les bagages collectifs (tentes, nourriture, cuisine, tables…) ont déjà été répartis.

Un peu plus d’une heure après l’atterrissage, le groupe s’ébranle doucement. La marche commence. Il est encore très tôt.

Nous traversons d’abord le village, étiré le long de sa seule rue. Des lodges, des boutiques, une boulangerie, des restaurants. Nous croisons un grand nombre de pèlerins qui s’apprêtent à faire le dernier bout de chemin en direction du sanctuaire de Muktinath. Ce sont presque tous des Indiens, trop légèrement vêtus pour la température fraîche d’altitude. Des femmes en légers saris, des hommes en simples dhotis (ces pagnes légers formant pantalons), souvent avec de légères sandales aux pieds, une veste trop mince sur les épaules. Ils monteront bientôt à bord de vieux autobus qui les mèneront plus haut, au temple.

Nous passons devant le misérable camp de la garnison de Jomsom. Il n’y a là rien de très stratégique, que des mauvaises tentes et des bâtisses décrépites. Pourtant, le périmètre du camp est sous une forte garde et une série d’écriteaux menace les passants qui songeraient à prendre des photos de peines très lourdes.

Aux limites de Jomsom, nous traversons pour la première fois la Kali Gandaki, qui est ici qu’un large torrent, enserré entre des rives hautes. Mais juste un peu plus haut la vallée est beaucoup plus large, de presque un kilomètre; la rivière s’étale alors en tresses sur le fond de sédiments et de cailloux transportés depuis les hauts sommets.

Cette vallée représente historiquement le passage le plus facile entre le Tibet, le Népal et l’Inde. Il s’y est d’ailleurs développé un important commerce traditionnel, essentiellement un échange de sel tibétain contre du riz et de l’orge. S’ajoutait un échange moins important de laine, de bétail et de beurre contre du sucre, du thé, des épices et des produits manufacturés. Ce commerce n’existe plus depuis l’annexion du Tibet par la Chine en 1949.

En préparant cette excursion, j’ai passé beaucoup de temps à tracer sur les photos aériennes de Google Earth ce qui me paraissait être le sentier que nous allions suivre. Alors qu’il est difficile de suivre les sentiers québécois dissimulés sous la végétation, il est très facile de suivre les sentiers dans des milieux aussi minéraux et aussi secs que le nord-ouest argentin ou le Mustang.

J’avais donc un peu l’impression de connaître les lieux d’avance. Je me trompais. J’avais imaginé le relief de la vallée beaucoup moins marqué qu’il ne l’était. Il s’agit bien d’une large vallée, mais les pentes qui bordent la rivière sont bien réelles. Notre route n’hésite jamais à gravir des collines latérales pour les dévaler aussitôt, en général pour éviter des falaises ou des sections de rivière trop tourmentés.

Le décor est très sec et plutôt sévère. La large vallée , avec ses petits villages, perd ses dimensions réelles par rapport aux chaînes qui l’entourent. C’est particulièrement vrai au sud, derrière nous, où les sommets enneigés des Annapurnas barrent la vue. Nous conserverons cette vision au moins pour la semaine qui suivra.

Nous croisons des marcheurs du circuit de l’Annapurna, qui ont franchi le col de Thorong La (5416m) il y a quelques jours et descendent d’un bon pas vers Jomsom. Pour eux, le voyage s’achève et ils sont sur le point d’effectuer un “retour à la civilisation”.

Nous suivons pour l’essentiel un chemin très modeste, qui est en train de s’établir petit à petit comme une route. Des véhicules nous dépassent de temps en temps, souvent de vieux bus chargés de pèlerins, en route pour Muktinath.

Muktinath

Ce sanctuaire est un des lieux les plus sacrés autant pour le Hindous que pour les Bouddhistes. Situé à une altitude de 3710 mètres, au pied du col de Thorong La, il est renommé pour la juxtaposition de sources d’eau et de gaz naturel enflammé jaillissant d’une terre d’altitude. La combinaison des symboles les plus fondamentaux: l’air, l’eau, le feu et la terre.

Pour les Hindous, Muktinath est un des 108 temples exceptionnels de Vishnou, le seul qui soit situé en dehors de l’Inde. C’est aussi un des 24 temples tantriques. Nombre de pèlerins le visitent, certains venant même d’Inde à pied, d’autres en autobus, quelques uns en hélicoptère.

Le temple possède 108 sources d’eau, coulant chacune de la gueule d’une sculpture de tête de bétail. Le nombre 108 est d’une très grande importance symbolique dans les deux traditions religieuses.

Le sanctuaire est tenu par des moines bouddhistes, malgré que la majorité des pèlerins soient hindouistes. Ceux-ci n’hésitent pas à se purifier en se baignant à l’eau glacée des sources.

Le chemin effectue la traversée à gué de quelques uns des bras de la Kali Gandaki, pour écourter un peu le trajet. En cette saison sèche, la rivière n’occupe en fait qu’une très petite partie de son lit, peut-être 10 ou 20 mètres dans un lit rocailleux de 200, 500 ou 800 mètres.

Les Shaligrama (ou Shilas)

La Kali Gandaki est renommée dans le monde hindouiste comme étant la principale (sinon la seule) source des Shaligrama, une représentation du seigneur Vishnou, sans laquelle aucun temple dédié à ce dieu ne peut être créé.

En fait, les Shaligrama sont des fossiles d’ammonites pétrifiés, habituellement de forme presque sphérique, doucement polis et d’une jolie couleur noire. Une fois cassée en deux, la pierre révèle la trace de la coquille du mollusque dans tous ses détails.

Ces fossiles se trouvent facilement à travers les galets et cailloux du lit de la Kali Gandaki. Même si leur commerce est interdit pour des raisons religieuses, il est facile d’en obtenir moyennant un petit don.

La route et le sentier de Muktinath laissent bien­tôt la rive de la Kali Gandaki. Notre chemin continue vers Lo Manthang.

Nous arrivons en 3 heures au village de Kagbeni, qui est notre étape pour cette première journée.

Ce village de 1200 personnes marque la frontière du Haut-Mustang. C’est à partir de ce point que les visiteurs doivent être pourvus d’un permis et débourser les importants droits de passage (US$500 pour 10 jours) requis pour pénétrer dans ce qui était il y a encore quelques dizaines d’années un royaume fermé, totalement interdit d’accès aux étrangers.

Kagbeni a connu des hauts et des bas dans son histoire récente. Village presque abandonné il y a une cinquantaine d’années après avoir été autrefois la capitale du Mustang, c’est maintenant une humble agglomération dont le cœur abrite l’immense citadelle ancienne, aujourd’hui presque en ruines, qui marquait son statut de capitale.

Le vieux village est construit de manière très compacte, avec un objectif clair de défense. Les bâtiments ont peu de fenêtres et les rues sont étroites et contournées, très souvent en tunnel sous les édifices.

Nous logeons dans la cour d’un lodge, une de ces auberges simples installées même dans les plus petits villages. C’est ce que nous ferons à chaque fois que l’étape aura lieu dans un village. Nos tentes sont plantées sur un petit terrain muré adjacent au lodge. Nos cuisiniers s’installent (avec tous leurs effets et équipements) soit dans la cuisine même du lodge, soit dans un quelconque réduit ou appentis. Nos repas se prennent dans la salle à manger tibétaine de l’établissement. Les porteurs sont souvent logés dans un appentis, quand ce n’est pas sous la tente. Quant à nous, ce sont toujours les tentes qui nous abritent.

Les lodges, ces auberges simples mais con­for­tables, sont très communs partout au Népal, encore plus dans les régions les plus touristiques. Il en est de même pour les tea houses, ces petits restaurants.

C’est ainsi qu’avec une telle infrastructure d’accueil, il est très facile pour un randonneur de se lancer sur n’importe lequel circuit pédestre en sachant qu’il y aura (presque) toujours des abris et des approvisionnements. Aucun autre pays n’offre une telle abondance de services aux randonneurs.

Notre agence, World Expeditions, ne favorise pas la fréquentation de ces établissements pour ses clients. Elle préfère plutôt contrôler entièrement la salubrité du logement et de la cuisine. Mais, elle ne dédaigne pas établir le camp près d’un lodge lorsqu’il y en a un, et utiliser la cuisine, la salle à manger, les toilettes.

Les salles à manger tibétaines

Partout dans la région, les salles à manger sont construites sur un modèle bien particulier. La pièce est généralement grande et assez basse de plafond, avec un plancher de terre battue bien dure. Les fenêtres sont petites, à petits carreaux, mais aussi nombreuses que possible; mais la lumière du jour est filtrée par de lourds volages et rideaux.

Les murs sont couverts eux aussi de tentures et de bannières, couvertes d’images religieuses, des compositions bouddhistes. On y trouve aussi des photos familiales, des photos liées au Tibet proprement dit, comme une vue générale de Lhassa ou du Potala ou un portrait du Dalaï-lama.

Le long des murs, sont disposés des bas-côtés larges et assez bas, couverts de tapis à motifs religieux et meublés de coussins, sur lesquels les convives s’assoient. Devant, s’alignent de petites tables basses et fermées sur le devant, pour conserver la chaleur aux pieds.

C’est dans les salles à manger qu’on installe des armoires vitrées où est exposée la belle porcelaine, ainsi que les provisions à être vendus.

La surface du plafond est généralement tendue de tissus colorés aux motifs symboliques complexes. Enfin on trouve souvent dans un coin un autel ou un oratoire, décoré de fleurs artificielles ou de branches artificielles d’arbres fruitiers.

Kagbeni est un beau village fortifié. Dans la partie traditionnelle, toutes les constructions sont regroupées en un seul gros bloc autour de la citadelle. Comme tous les autres villages de la région, il est entouré de ses terres cultivées, la seule oasis de verdure à la ronde. À notre passage, comme il était encore tôt dans la saison, nous ne pouvions voir que les pousses à peine établies. Mais on peut imaginer l’abondance de verdure à la fin de l’été !

Les drapeaux

Dans tout le domaine bouddhiste, on trouve partout des drapeaux et des banderoles, dits “de prière”. Les cols en sont chargés, mais on en drape également les maisons et le temples.

Ces drapeaux sont fabriqués en imprimant, à partir de blocs de bois sculptés, des mantras, des prières et des symboles de bon augure sur de petits carrés de tissu ou sur de longues bandes de toile de coton aux couleurs des cinq bouddhas, (bleu, blanc, rouge, jaune et vert) afin qu’une fois les drapeaux hissés, ces bons vœux soient emportés aux quatre vents. Les drapeaux sont appelés “les chevaux de vent” en tibétain.

Dans le village, nous apercevons de nombreuses marques de la vigueur religieuse locale, des st?pas ou des chörten (ces structures commémoratives contenant des reliques), des murs mani (des alignements de pierres gravées de prières), des moulins à prière.

Les chörten

La région est parsemée de très nombreux chörten. Ce sont des structures, généralement construites de briques empilées, qui con­tiennent des reliques vénérées. C’est la forme tibétaine de la stupa, commune à toutes les formes de bouddhisme.

Au Mustang, elles sont souvent petites, ne dépassant pas 2 à 3 mètres de hauteur et 1 mètre de côté. On les retrouve en des alignements de 3 ou 4 chörten. Elles sont toujours chaulées, et teintes l’une en noir, la suivante en blanc, l’autre en brun-rouge, plus rarement en jaune. Il en existe pourtant de plus grandes et plus élaborées, allant jusqu’à 5 ou 6 mètres de hauteur, à l’intérieur des villages ou à leurs abords immédiats. Elles sont alors protégées par une sorte d’avant-toit.

La remontée de la Kali Gandaki

J05 – mardi 22 avril 2014

de Kagbeni (2840m)
à Chele (3100m)

6h00 de marche

Le village de Kagbeni est situé sur la rive gauche de la Kali Gandaki, avec son lit de gros cailloux toujours aussi large. En saison sèche, il offre même aux camions et autres gros véhicules un passage facile vers l’amont.

Nous traversons d’abord le village et observons les détails de la vie quotidienne. En particulier, ce matin là, un petit groupe de femmes qui sont en train de griller de l’orge. La céréale, qui croît bien en altitude, est à la base de l’alimentation tibétaine. Elle sert en particulier pour la préparation de la tsampa traditionnelle où elle est combinée à du beurre de yack, du thé et du sel, quelquefois agrémentée de légumes, de fromage ou de viande pour constituer un repas complet, mais souvent consommée seule.

À la limite du village, de grands panneaux signalent la limite du Haut-Mustang et la nécessité pour les voyageurs (étrangers) d’être muni du permis nécessaire. Mais il n’y a aucun contrôle.

Le chemin continue de longer la rivière, mais il n’est pas toujours possible de demeurer au même niveau. Il y a donc une série de montées et de descentes entre la rive et les premiers plateaux. Le décor demeure très sec. Les petites exploitations agricoles se limitent aux abords des villages et de rares hameaux.

Nous croisons ou dépassons beaucoup moins d’autres voyageurs que la journée précédente.

Nous faisons une pause sur un vaste plateau où on est en train de planter un grand verger de pommiers. C’est un peu surprenant, étant donné la grande sécheresse des lieux. Mais les pommes du Mustang ont une excellente réputation, d’abord comme fruit de table, mais aussi pour la distillation d’un “vin” de pomme, en fait une sorte d’eau de vie, exporté partout au Népal et très prisé.

Nous dépassons un gros groupe de Coréens d’un âge très affirmé, qui avancent régulièrement, mais à très petite vitesse. Comme c’est la coutume chez eux, ces randonneurs craignent le soleil comme la peste, ce qui fait qu’ils sont tous hyper protégés du soleil par de multiples couches de vestes, de gigantesques chapeaux et d’épaisses lunettes de soleil. Il ont beau avancer lentement mais ils parviennent quand même à couvrir la même distance que nous ce jour là et le jour suivant. Nous ne les reverrons plus par la suite.

Nous faisons un arrêt assez prolongé dans le village de Chhusang pour le repas de midi. Nous y découvrons un autre village très ancien, beaucoup plus petit que Kagbeni, mais autant compact et secret.

Le village borde la rivière, et l’on y divertit l’eau par de petits canaux d’irrigation. C’est pourquoi on y trouve de grands peupliers et des saules, ce qui lui donne une allure d’oasis.

Comme il est fréquent, notre équipe de cuisiniers s’installe dans un lodge. Nous y dégustons un repas chaud, avec un menu complet de 5 ou 6 plats, dégustés dans une petite salle à manger typique.

Nous découvrons, déposés sur un antique coffre, et accrochés au mur, un étalage de bijoux et d’objets anciens, proposés à la vente. Tous paraissent authentiques, et de belle fabrication. Ceci indique la relative nouveauté de l’ouverture de la région au tourisme. La population en est encore à épuiser les trésors traditionnels familiaux, en échange de roupies maintenant vues comme un outil de la vie moderne.

Peu après la sortie du village nous croisons un vieil autobus qui porte l’indication naïvement peinte d’un service de transport jusqu’à la capitale de Lo Manthang. Le sentier est en train de devenir une route !

La route

Au départ, nous avions l’impression que le transport routier n’avait pas encore atteint le Mustang, ce “royaume oublié”. Mais, avec les années, le sentier s’est tranquillement métamorphosé. La route sera bientôt rendu à Lo Manthang.

En après-midi, nous continuons de longer la rivière jusqu’à ce que nous atteignions un rétrécissement important. À l’amont, la rivière coule dans un canyon, plus pentu et beaucoup plus étroit, où il ne serait plus possible de tenir un sentier, encore moins un chemin.

À partir de cet endroit, nous quittons les abords du lit de la rivière pour des passages plus faciles au haut des pentes, souvent 800 ou 1000 mètres plus haut.

Ce rétrécissement est un haut-lieu de ce chemin, une étape importante, toujours mentionné dans les récits des voyageurs, reconnaissable sur de vieilles photographies ou de plus anciennes gravures.

Cet endroit marque la transition entre la large vallée que nous remontons depuis deux jours et où il est facile de circuler, et les étroites gorges de l’amont où l’avancée est précaire ou même impossible, obligeant le voyageur à remonter plus haut sur les rives et à franchir même d’imposants cols latéraux.

La transition est brusque. En outre, juste à cet endroit, un immense bloc s’est un peu détaché de la berge, créant un petit tunnel par lequel une certaine portion de la rivière s’engouffre. L’effet est saisissant, donnant l’impression d’une résurgence.

C’est à cet endroit que le chemin change de rive. Le courant est assez fort même en cette saison des basses eaux pour que deux ponts métalliques assez hauts pour résister aux crues saisonnières aient été construits.

L’endroit est une étape importante pour les voyageurs. Un tea house sous tente y a même été installé.

Sitôt traversés, il ne reste plus qu’une montée très abrupte et très poussiéreuse pour atteindre le village de Chele (3070m), notre étape du jour.

Nous sommes aussitôt charmés par ce tout petit village aux allures très médiévales, regroupé autour de sa fontaine et ses st?pas. Nous nous installons dans un petit enclos faisant office de terrain de camping, avec deux petits bâtiments d’adobe qui servent de cuisine et de réfectoire.

Les villages du Mustang ont tous une assez forte population de chiens. Ils paraissent sociaux et dociles, jamais agressifs, ni même dérangeants. Toutefois, au cours de la nuit, nous les entendons d’abord s’activer, voire même s’énerver. Puis c’est un formidable désordre, puisque des chacals sont en train de rôder dans les parages.

Une dure journée

J06 – mercredi 23 avril

de Chele (3100m)
à Ghiling (3570m)

8h00 de marche

Ce matin, les conditions de température sont magnifiques, avec un grand ciel d’un bleu intense, une lumière brillante et dorée et une absence totale de nuages. L’air est un peu frais au lever du jour, mais le soleil voit à remonter la température au cours de la matinée. La température atteint facilement le 18 ou 20 degrés au haut du jour. En même temps que se réchauffe le plateau, ce sont de forts vents qui apparaissent et qui ne se calmeront qu’au coucher du soleil.

Ces excellentes conditions du temps sont courantes. Nous les connaîtront à peu près chaque jour de notre périple.

Depuis Chele, notre groupe suit d’abord la route carrossable, pour atteindre des plateaux qui dominent toute la région, avec les sommets des Annapurnas et du Dhaulagiri en fond de scène. Nous apercevons un peu plus bas l’étroite gorge qu’emprunte la Kali Gandaki; il est aisé de comprendre qu’il ne serait pas commode de suivre son cours.

Nous quittons bientôt la route, pour nous engager dans une vallée encaissée qu’emprunte le sentier traditionnel. Nous passons à proximité d’un pont suspendu piétonnier extrêmement long qui enjambe cette vallée en direction du village de Ghyakar (3560m), mais nous ne l’empruntons pas. Nous continuons sur le même versant de la vallée,où le sentier s’accroche à la falaise et grimpe régulièrement.

La vue sur le fond de la vallée, sur le village et sur ses terres cultivées est remarquable. Nous souffrons un petit peu du froid parce que le sentier demeure à l’ombre de la falaise. Mais, une fois rendus à un plateau supérieur, la chaleur revient.

Nous continuons notre avancée le long de vallons herbeux, avant d’atteindre le col de Dajori La (3740m), où nous retrouvons la route.

Les marcheurs vs les véhicules

Lorsque la route et le sentier prennent le même alignement, les conducteurs de véhicules (invariablement des 4-roues-motrices de Tata) se sentent une supériorité évidente face aux humbles marcheurs. La route est à eux, de toute évidence. C’est pourquoi ils annoncent leur approche à grand renfort de coups de klaxon, ils foncent à toutes vitesse sur les piétons, sans esquisser aucun ralentissement.

Après une pause aux alentours d’un de ces énormes amoncellements de pierres (une forme de cairn) drapés de centaines de fanions de prière qui marquent tous les cols dans la région, nous continuons notre marche le long de l’humble route.

Nous effectuons l’arrêt du midi à Samar (3660m), un hameau abandonné qui est en train de revivre en tant qu’étape sur la route, avec un lodge et un tea house en construction.

Nos cuisiniers, qui sont arrivés (comme toujours) avant nous préparent un autre de ces repas chauds magiques qu’ils savent si bien improviser. Nous mangeons au grand soleil.

Nous continuons notre chemin sur des sentiers anciens, qui contournent les nombreuses pentes qui se précipitent vers la Kali Gandaki, tout en bas, et qui traversent de multiples torrents. Nous avons laissé la nouvelle route qu’on est en train d’accrocher plus haut sur les pentes.

Nous amorçons ensuite une rude remontée, depuis le fond d’un ravin. Nous continuons sur la nouvelle route et atteignons le col de Yamdo La (3860m).

Depuis ce col, nous avons une magnifique vue vers le nord, vers le Haut-Mustang et vers le Tibet, avec les hameaux et les cultures de la vallée de Ghiling (3530m) juste devant nous.

La descente vers ce village nous décourage un peu, car la journée a été longue, les cols nombreux. En outre la fin du parcours était imprécise.

Nous apercevons les deux petits monastères qui surplombent le village. Leur couleur tranche nettement sur la pente où ils sont situés, et par rapport aux maisons blanches du village.

Nous constatons aussi que la surface présentement cultivée ne représente qu’une très petite portion des champs et des larges terrasses visibles dans l’arrière-pays. C’est l’un des fréquents signes de dépopulation.

Nous nous installons dans la cour d’une ferme, qui fait un peu office de lodge. Le groupe est fatigué. Il n’y aura pas d’excursions dans les environs ce soir là.

Même si, pendant la journée qui s’achève, nous avons généralement remonté le cours de la Kali Gandaki, nous ne pouvions suivre ses rives et nous devions grimper beaucoup plus haut et traverser les formidables crêtes qui séparent ses affluents. En pratique, nous avons gravi presque 1000 mètres pour en redescendre autant. La journée suivante allait être du même genre. Pas étonnant que nous soyons fatigués au campement.

L’apparition de l’électricité

Tout au long de la journée, nous observons des lignes de simples poteaux de métal qui supportent des fils électriques.

Le lendemain, en quittant Ghiling, nous apercevrons des hommes en train d’installer de nouveaux poteaux et une nouvelle ligne, de la manière la plus simple.

C’est évidemment la marque d’un mouvement de modernisation. Mais l’électricité a fait une bien humble apparition: de rares ampoules, et surtout une source d’énergie pour les appareils électroniques et téléphones.

J07 – jeudi 24 avril 2014

Une autre longue journée

de Ghiling (3570m)
à Tsarang (3590m)

7h00 de marche

Au départ de cette journée, nous effectuons une agréable remontée de l’ample vallée de Ghiling. Nous allons d’un bon rythme, puisque la pente est douce et régulière. Droit devant nous, se dresse une pente plus forte, barrée par les deux traces (la plus ancienne plus abrupte; l’actuelle plus douce) de la route qui la grimpe en zigzaguant.

Nous arrivons assez rapidement au col de Nyi La (4010m) avec une fois encore une large vue englobant l’Annapurna, le Nilgiri et une grande partie du Mustang.

Nous faisons la pause habituelle au col, puis entreprenons une descente facile vers le village de Ghemi (3520m).

Nous sommes un peu surpris de l’affluence relative de marcheurs sur la piste.

On nous a depuis longtemps habitués à accepter l’idée que le nombre de permis d’accès au Mustang soit limité à seulement 500 chaque année. Il était facile de croire que nous ne rencontrerions à peu près personne sur les pistes. Or, ce n’est pas le cas. La relative fréquence de nos rencontres et croisements de randonneurs étrangers sur la piste nous laisse croire que le nombre de permis dépasse maintenant largement ce nombre.

Une rencontre à noter. Nous croisons en fin de matinée un couple d’Allemands accompagné de leurs deux enfants, une fille de 10 ans, un garçon de 8 ans. Un effort surprenant pour des enfants.

Nous prenons le repas du midi à Ghemi (3520m), petit village sympathique installé sur la rive d’un petit (bien petit) torrent.

Après le repas, en amorçant la montée vers les prochains sommets, nous traversons un premier petit plateau dominant le village, où est établi un “hôpital japonais”, en fait une humble clinique financée par des œuvres japonaises qui assure le service médical de base dans toute la région.

Juste devant, nous longeons le plus long “mur mani” au Mustang, qui s’étend sur plus de 310 mètres.

Les murs mani

Dans le bouddhisme tibétain, il est courant de graver sur des plaques de pierre le mantra classique (Om mani padme hum) ou d’autres expressions dévotes, qui sont disposées le long du chemin, comme signes de bonne augure, et qu’on nomme “pierres mani”.

Il arrive souvent qu’on en réunisse un grand nombre sous la forme d’un mur localisé au milieu du chemin, et qu’il faut toujours contourner par la gauche.

Après cet imposant site, nous entreprenons la montée vers le col de Tsarang La (3870m). Une montée assez rude avec, derrière nous, de magnifiques panoramas sur les chaînes de montagnes à l’ouest. On aperçoit également le village de Dhakmar, sur l’autre sentier de Lo Manthang.

Après la pause au col et quelques moments de descente, nous apercevons le magnifique village de Tsarang (3600m), qui nous frappe par son ampleur. En fait, on conçoit qu’il puisse s’agir de la petite ville qui fut longtemps la capitale d’été du roi du Mustang. En témoignent les deux masses de l’ancien palais et du monastère, que nous distinguons clairement.

Repos à Tsarang

J08 – vendredi 25 avril 2014

Nous nous réveillons un peu plus tard en cette magnifique journée de pause. Ce n’est pas tellement que nous sommes fatigués, après seulement 4 journées de marche. Mais nos guides jugent bon de reprendre des forces avant de nous engager dans les 9 ou 10 journées de la partie plus exigeante de notre randonnée, qui se feront d’une traite.

Comme toujours, le soleil est au rendez-vous, le ciel est bleu. Mais, ici comme ailleurs au Mustang, le climat sec génère quantité de poussière. Il faut toujours compter avec cet inconvénient.

Ici à Tsarang, nous sommes très près de la capitale du Mustang, la ville fortifiée de Lo Manthang, à peine plus de 4 heures de marche vers l’ouest, semble-t-il. Mais il n’est pas prévu de la visiter car notre but se trouve vers l’est.

Les “jeunes” (Greg, Anthony, Leslie et Tania) ne peuvent pas résister à ce détour. Ils louent un jeep pour la matinée. Une heure aller. Une heure retour. Deux heures sur place. Ils reviendront enchantés de leur visite.

Mario, George et moi choisissons plutôt de nous reposer. En plus, pour ma part, je désire conserver la découverte de cette ville ancienne pour le voyage que Louise et moi comptons y faire l’an prochain à l’occasion du festival traditionnel du Tiji.

Les arbres domestiques

Le Mustang (tout comme le reste de l’arrière-pays himalayen) est un désert d’altitude, où l’eau est rare. Les précipitations pourtant abondantes de la mousson indienne sont bloquées par les premières chaînes de l’Himalaya, par les Annapurnas dans le cas du Mustang.

La végétation est donc partout très maigre dans la région: des herbes rares, des buissons épineux, des arbrisseaux au mieux. Il existe de très rares spécimens d’arbres isolés (des cyprès et des genévriers), dissimulés dans des recoins secrets.

Mais, comme le bois d’œuvre est un élément essentiel (la charpente, les portes et fenêtres, les escaliers, les toits) des maisons locales, pourtant construites en pisé, les villages du Mustang comportent tous des “plantations” d’arbres, des saules et des peupliers surtout.

En fait, ces arbres à croissance relativement rapides, plantés à proximité des maisons, fournissent une partie du bois d’œuvre, en particulier les travers qui unissent les poutres principales des charpentes et des toits.

À tous les trois ans environ, les propriétaires élaguent leurs arbres en sectionnant les branches secondaires bien droites qui poussent depuis le tronc, et quelquefois depuis quelques branches maîtresses horizontales. Ces branches sont séchées puis stockées pour le prochain chantier.

Le tronc demeure tel quel, prêt à continuer sa production ligneuse, et l’opération peut être reprise quelques années plus tard.

En après-midi, une fois les quatre “jeunes” revenus de Lo Manthang, nous visitons tous ensemble les deux grands édifices marquants du lieu, le palais d’été et le monastère.

Le palais d’été a été pendant plusieurs siècles la résidence secondaire du roi du Mustang. C’est un bloc monolithique de 4 ou 5 étages, construit de pisé avec une structure de bois.

Sur le bord d’une falaise dominant le confluent de deux rivières, le palais domine son environnement.

La bâtisse ne comporte aucune décoration. Que des murs percés d’un petit nombre de fenêtres. Elle est en assez mauvais état, n’étant plus habitée

Anciennement, l’accès au palais était aussi difficile et indirect que s’il s’agissait d’une citadelle. Ce n’est que récemment qu’une porte d’accès à l’étage inférieur a été percée.

Un moine-gardien nous attend pour la visite des lieux. Il nous mène à travers plusieurs pièces, souvent pratiquement en ruines, avec des planchers partiellement effondrés.

Malgré son rôle et son titre de palais, la vie dans cet édifice devait être bien simple. Une enfilade de pièces sans aucun confort, des passages étroits, des escaliers aux allures de mauvaises échelles.

Le clou de la visite est une assez grande salle dont le centre est visible depuis l’étage supérieur, qui servait de salle d’études religieuses. Le pourtour de la salle est encore meublé de massives bibliothèques chargées de livres.

Les livres tibétains

Dans l’univers tibétain, le concept de livre est un peu différent de ce que nous connaissons en Occident. D’une certaine manière, c’est proche de l’idée que s’en faisaient les Anciens.

Le livre tibétain porte le nom de pecha. Il s’agit physiquement de feuillets beaucoup plus larges (de 40 à 70 cm) que hauts (de 10 à 20 cm).

Ces feuillets ne sont pas reliés entre eux. Ils sont simplement empilés les uns sur les autres, dans l’ordre de lecture. Pour assurer leur protection, les feuillets sont insérés entre deux planches de la même forme, lesquelles planches peuvent être décorées. Puis l’ensemble du livre est recouvert d’un tissu, souvent de soie richement décorée, qui est replié. Les livres ont une grande valeur.

Dans la civilisation théocratique qu’est le Tibet traditionnel, les livres se limitent presque aux seuls textes sacrés, religieux, mythiques ou historiques, véhiculés par les moines.

Le texte des livres est presque toujours “imprimé” par xylographie, sur un seul côté, plutôt que dessiné à la main.

Le texte de chacune des pages du livre est sculpté à la main sur une planche qui servira de matrice pour l’impression de multiples exemplaires.

Le palais regroupe dans une petite pièce très délabrée un assortiment un peu incohérent d’artefacts. Le clou de ce qui pourrait passer pour un musée, c’est une main humaine momifiée, celle d’un voleur qu’un roi ancien aurait puni de cette manière. Aussi baroque que soit cet objet, les visiteurs népalais en con­naissaient l’existence et s’y ruaient tout bonnement.

Le monastère situé juste à côté est un vaste édifice construit à l’intérieur d’une fière muraille. Il a hébergé (très simplement) quel­ques centaines de moines dans le passé, mais il n’est plus maintenant que l’ombre de ce qu’il a été.

Le cœur du monastère, la salle des prières, est entourée à l’extérieur de dizaines de moulins à prière, et ses armoires conservent de nombreux objets de culte et de vénération.

Nous avons pu visiter la salle des prières originale, construite en souterrain au point culminant de la colline, abandonnée, mais toujours noble dans sa déchéance.

Vers le Haut-Mustang

J09 – samedi 26 avril 2014

de Tsarang (3590m)
à Yara (3650m)

5h00 de marche

Le village de Tsarang est traversé par une rivière, la Tsarang Khola, qui la borde au nord. Celle-ci se jette dans une autre rivière, la Thulung Khola, très profonde et aux versants escarpés,qui délimite le village à l’est. C’est d’ailleurs sur l’éperon enserré au confluent de ces deux rivières que le palais-citadelle et le monastère ont été établis.

Au départ de cette journée, nous cherchons d’abord à rejoindre la jonction de ces rivières avec la Kali Gandaki, à peu près deux kilomètres plus loin. Pour atteindre ce premier but nous engageons une descente raide dans une tranchée naturelle qui s’enfonce dans la moraine compressée du plateau. C’est une descente pas commode, dans les pierres arrondies qui déboulent sous nos pas.

Nous atteignons rapidement une large jonction de plusieurs rivières: la Thulung Khola et la Kali Gandaki évidemment, mais aussi la Dhechyang Khola que nous remonterons au cours des 5 ou 6 prochaines journées, la longeant d’abord à distance là où ses rives sont trop hautes et trop escarpées, puis la remontant dans son cours supérieur.

À cette convergence, la Dhechyang Khola occupe une très large plaine caillouteuse, un peu inclinée, que les eaux n’occupent qu’à la saison humide. C’est ici que sont établies sous tente des guinguettes temporaires au service des passants et des voyageurs.

Nous remontons la vallée de la Kali Gandaki, qui est ici large et paisible. Nous la longeons pendant deux heures en empruntant le même parcours que les 4×4 qui s’y aventurent en saison sèche. De distance en distance, de solides sentiers et escaliers empierrés permettent de contourner les endroits où les hautes eaux peuvent empêcher le passage.

Nous arrivons ainsi au petit village de Dhi à l’heure du repas du midi. L’équipe de cuisine a investi une magnifique maison qui fait occasionnellement office de lodge.

En après-midi, nous traversons d’abord un petit affluent qui jouxte le village, puis remontons un autre affluent, la Puyung Khola. Nous suivons toujours une piste élémentaire qui suit le lit de la rivière et donne accès au deux autres villages où nous nous dirigeons.

La vallée se rétrécit rapidement et nous nous retrouvons au pied d’une monumentale falaise de sédiments compressés, qui nous paraît truffée de petites ouvertures. Ces dernières s’avèrent être des fenêtres et de petites cavernes, des pièces et des cellules cellules en fait, qui ont été occupées il y a déjà des centaines d’années, à titre de locaux défensifs lors des longues périodes de guerres et de troubles qui ont affligé la région.

Ces ouvertures ont aussi révélé un bon nombre de tombes très anciennes. L’accès se faisait par des échelles rudimentaires et des cordes.

Le temps et l’érosion éolienne faisant tranquillement leur œuvre, quelques une de ces pièces ont perdu leur façade, ce qui les laisse béer.

La vallée devient bientôt un ravin, et le chemin grimpe alors le versant nord, accédant éventuellement au village de Yara.

Tout indique que cette bourgade survit péniblement. L’érosion et les petits éboulements marquent la géographie des lieux. L’eau paraît d’une grande rareté. L’altitude semble aussi imposer des limites au succès de l’agriculture.

Nous campons sur le triste terre-plein d’un lodge, où n’existe aucune végétation. Que de l’argile bien pauvre et de la poussière.

Par contre, l’accueil des propriétaires, de leurs familles et des enfants du voisinage compense amplement.

Nous avons clairement quitté le cœur du Mustang. Les villages sont petits, ils paraissent plus pauvres. Les cultures occupent déjà moins d’espace. Les semis sont aussi plus tardifs.

On sent également que le pastoralisme prend plus d’importance. Il est même essentiel, dans la mesure où il remplace l’agriculture.

Au cours des quelques jours qui suivent, à mesure où nous remontons les vallées latérales au Kali Gandaki, nous verrons des traces de présence pastorale. Jusque très haut.

Une petite journée d’acclimatation

J10 – dimanche 27 avril 2014

de Yara (3650m)
à Luri Gumpa(3860m)

3h00 de marche

Cette journée est plutôt courte puisque nous remontons seulement quelques kilomètres de la piste qui donne accès au monastère de Luri Gumpa, où se termine d’ailleurs la piste.

Au moment de quitter notre campement, nous pouvons voir la sympathique aubergiste effectuer une des étapes de la préparation du tchang.

Le tchang

Le tchang  est une boisson fermentée couramment consommée dans l’univers tibétain.

Cette bière traditionnelle, au goût de cidre fermier, est brassée à partir de céréales, le plus souvent d’orge.

La version la plus simple consiste à verser de l’eau bouillante sur des grains semi-fermentés, puis à laisser fermenter de 10 à 15 jours. On ajoute de l’eau chaude au moment de consommer, afin de relancer la fermentation.

Nous conservons toujours une vue imprenable sur les crêtes qui bordent à l’ouest la vallée principale du Haut-Mustang.

Nous atteignons rapidement le petit village de Ghara qui est le dernier établissement permanent que nous traverserons, avant Phu que nous n’atteindrons que dans 8 jours. On sent toutefois que les gens Ghara, les bergers surtout, ne se privent pas de mettre en valeur les hautes terres inhabitées qui les entourent, aussi maigres soient-elles.

Puis nous poursuivons sur la piste jusqu’au lieu-dit de Luri Gumpa, que nous atteignons vite, en fin de matinée. Il y a là une jolie rivière sur les bords de laquelle nous établissons le camp.

Cet endroit est certainement attirant pour les paysans locaux, car nous sommes entourés de grands enclos murés, probablement pour garder les troupeaux, et de refuges où les bergers peuvent eux aussi passer la nuit.

La journée s’arrête ici pour aujourd’hui, même si nous ne couvrons pas beaucoup de distance. En effet, la suite du trajet comporte une longue étape marquée de grosses montées, où il ne serait pas aisé de camper. Nous devons donc profiter de ce dernier site favorable plutôt que de poursuivre. La dure traversée se fera plus facilement d’une traite, le lendemain.

Après le repas du midi, le groupe se déplace vers le très ancien monastère bouddhiste (aujourd’hui inoccupé) de Luri Gumpa, situé quelques minutes plus haut sur le même versant que notre camp. Ce monastère, qui date d’environ 1000 ans a la particularité d’avoir été creusé à même la falaise.

Il faut beau aujourd’hui, comme tous les jours depuis le début du voyage. Et nous disposons de notre temps. Voilà une belle occasion pour se laver à la rivière, et même de faire une petite lessive.

Les vêtements et la poussière

Pour réduire les bagages, Mario et moi n’emportons que très peu de rechanges: un seul pantalon, 2 ou 3 chemises, 3 petites culottes aussi et de chaussettes de marche. Il faut donc accepter que la sueur nous colle à la peau. Par contre, nous ne lésinons pas sur les vêtements de chaleur.

Le climat froid et sec de la région permet que les vêtements demeurent relativement propres: peu de sueur corporelle, mais beaucoup de fine poussière poussée par les vents.

Juste avant le coucher du soleil, les environs de notre camp deviennent soudainement très animés. Ce sont les bergers qui reviennent passer la nuit à leurs refuges et à leurs enclos avec leurs nombreuses chèvres.

Une dure montée

J11 – lundi 28 avril 2014

de Luri Gumpa (3860m)
à Ghuma Tanti (4780m)

6h00 de marche

Nous amorçons ce matin la portion plus isolée du voyage. À partir de maintenant, et pour 7 jours, nous ne traverserons aucun village.

La piste carrossable s’arrêtait le jour précédent aux abords du monastère de Luri Gumpa. La suite du parcours empruntera des sentiers, bien marqués jusqu’au lac de Damodar, de moins en moins clairs au-delà.

Ce sera aussi la règle pour les jours à venir de limiter notre repas du midi à un simple pique-nique. Dans cette zone de plus haute altitude, le sentier étant très exposé à l’incessant vent tibétain et l’eau étant rare, il serait trop difficile d’établir la cuisine et de préparer un repas chaud.

Dès le départ, nous entamons une ardue et longue montée, qui nous mène en plusieurs paliers jusqu’à plus de 5000 mètres.

Une fois arrivés au sommet de cette montée, la randonnée se continue à la même altitude en passant d’un vallon à un autre. Nous effectuons un arrêt pour le pique-nique. Puis, nous continuons notre avancée sur de vastes sommets plutôt arrondis, prenant quelquefois des allures de plateaux.

Puis soudain, nous revenons plus près de la grande rivière que nous remontons, la Dhechyang Khola. Nous apercevons tout au fond de la vallée profonde d’un affluent appelé Kyumupani Khola deux grandes taches bleues, qui sont des abris de métal couverts de tôle émaillée. C’est là que nous monterons notre camp.

Les abris ont beau être très visibles depuis notre point de vue, ils sont néanmoins encore bien loin. Au-delà de quelques larges crêtes qu’il faudra contourner. Au bas d’une longue descente abrupte, où le sentier s’esquisse à peine dans des éboulis. Mais la voie est nette.

Juste avant d’atteindre ce site du camp de Ghuma Tanti, nous longeons plusieurs abris sommaires de pierres sèches, certains partiellement effondrés, et des enclos de bétail témoignant de l’utilisation des terres environnantes par des bergers des villages de la vallée principale, à deux ou trois jours de distance. Mais comme la vie doit être difficile pour ces paysans.

À l’arrivée au camp, nous constatons que ces abris de tôle (construits par une œuvre religieuse) sont bien élémentaires, qu’ils sont mal construits, très inadéquats pour protéger du froid et du vent, et remplis d’immondices. Ils doivent être absolument bondés durant les quelques semaines du pèlerinage annuel, mais abandonnés le reste du temps.

Une plaque commémore le décès de nombreux pèlerins sur ce sentier de pèlerinage. Des fidèles hindous probablement issus des terres basses de l’Inde, mal équipés contre le froid et l’altitude.

À ce camp, j’ai eu l’occasion rare de voir le cuisinier et ses aides travailler. En effet, l’équipe de cuisine n’aime pas qu’on l’observe. Toute la cuisine se fait sur de gros brûleurs au kérosène, dignes des grandes expéditions polaires du passé, ou des armées britanniques de l’Inde. En somme, des outils fiables mais d’une technologie très simple et très ancienne. Munis de ces réchauds et d’une batterie de cuisine très simple, les cuisiniers réussissent à cuisiner tous nos repas, y compris des frites délicieuses, des pizzas et des gâteaux à l’occasion.

Une bonne journée de marche

J12 – mardi 29 avril

de Ghuma Tanti (4780m)
à Parse Khola (4900m)

5h00 de marche

La journée débute par la remontée d’un ruisseau très solidement gelé. C’est un peu surprenant. Il n’y a pas de neige sur les versants mais le ruisseau lui-même est gelé, d’un mélange de glace solide couverte d’une neige bien ferme. C’est donc facile d’avancer sur cette très bonne surface de marche.

Durant cette journée, nous effectuons le passage d’une vallée secondaire à une autre. Un parcours simple sur la carte, mais l’altitude y apporte son degré de difficulté.

Sitôt arrivés au camp, le cheval et la mule (qui nous accompagnent depuis Jomsom) sont déchargés, et ils entament avec leur maître un retour rapide vers Yara pour la nuit, puis par la suite vers leur village. Ils ne peuvent continuer plus loin, car les sentiers deviennent moins faciles, et leur charge peut maintenant être partagée entre les porteurs. Ils laissent leurs charges, en particulier le kérosène.

Comme il est encore suffisamment tôt dans la journée à notre arrivée au camp, quatre des porteurs sont chargés de grimper au prochain col, haut sur la rive opposée, et y positionner les lourdes charges laissées par les animaux. La montée de la matinée du lendemain en sera d’autant allégée.

Le camp est établi au creux d’une gorge très profonde (au moins 300 mètres) sur un autre affluent de la Dhechyang Khola.

Les tentes sont montées sur une sorte de “plage” un peu caillouteuse, juste à la limite des bancs de neige durcie, presque glacée, qui persiste toujours aux abords de la rivière. Les rives sont à toutes fins pratiques des falaises verticales des murailles.

La découverte d’un lieu sacré

J13 – mercredi 30 avril 2014

de Parse Khola (4900m)
à Damodar Kunda (5000m)

6h00 de marche

Cette treizième journée s’avère un bon défi. Notre camp est lové tellement profond au creux d’une gorge que la lumière du matin n’y pénètre à peu près pas. C’est donc à l’ombre bien froide de cette vallée que nous préparons notre journée. Il faut aussi dire que, avec notre montée en altitude, les températures ne cessent de baisser. Il fait donc chaque jour de plus en plus froid. Il est maintenant normal que la température soit le matin sous le zéro.

Le départ est, encore une fois, plutôt malaisé, car nous nous engageons tout de suite dans une rude montée en zigzag sur la rive opposée du canyon. La difficulté est d’autant plus grande que la lumière du soleil ne baigne pas encore ce versant; nous sommes donc soumis au grand froid sec.

Je me gèle rapidement les doigts, au point d’en perdre totalement la sensibilité. Cela m’affecte le moral. Le rythme du groupe m’apparaît alors excessif, intraitable. Je grogne et je maugrée.

Dès que nous franchissons la limite ombre-soleil, je m’arrête, enlève gants et mitaines, et je me mets à faire de grands moulinets de bras pour retrouver la circulation sanguine dans mes mains. En quelques minutes, tout s’améliore.

À partir de ce moment, la progression devient beaucoup plus agréable. La montée abrupte est terminée; elle se termine par de vastes boucles vallonnées, qui nous mènent quand même à une altitude de plus de 5000 mètres.

De là, nous dominons toute la région, avec ses sommets entre 6000 et 8000 mètres au sud comme à l’ouest.

Nous sentons pour la première fois la présence de la vallée principale de la Dhechyang Khola., dont nous remontons le cours sur son versant nord, à quelques kilomètres de distance. Remarquablement, il nous semble que le versant sud est passablement glacé, alors que les pentes supérieures du versant que nous longeons ne le sont pas. Le spectacle de ces glaciers et des nombreuses lames de neige accrochées est tout à fait magnifique.

Au-delà de ce versant sud, se déploie la région du Damodar Himal, une agglomération de dizaines de sommets dépassant les 6000 mètres, que nous allons bientôt traverser et contourner.

La marche est plutôt facile même si nous sommes à plus de 5000 mètres d’altitude. Et nous longeons de vastes versants.

En début d’après-midi, nous amorçons une longue et douce descente au cours de laquelle nous croisons un troupeau d’une vingtaine de moutons sauvages, les renommés blue sheep. Tant que nous demeurons immobiles, ils font de même, ce qui nous permet de les observer à satiété.

Le grand bharal

Le grand bharal (Pseudois nayaur) ou mouton bleu est un ruminant de l’Himalaya. Il possède un pelage gris-bleuâtre avec des taches noires et blanches, qui lui permettent de se camoufler facilement dans les pierriers en se maintenant immobile.

Ces animaux paisibles possèdent des cornes en forme de lyre. Ils sont protégées par les paysans et les moines, et servent de pâture aux léopards des neiges.

Nous poursuivons la descente, ce qui nous mène à un autre affluent important. Ce lieu semble bien convenir aux bergers puisqu’on y retrouve quelques enclos et des esquisses de refuges temporaires.

Une fois cet affluent dépassé, nous traversons d’abord de douces prairies puis un tout petit col qui nous amène aux environs des lacs de Damodar.

Ces tout petits lacs (d’une surface de seulement quelques hectares au total) ont une importance symbolique qui dépasse beaucoup leur taille.

En effet, un des livres saints de l’hindouisme (le Barah Puran) décrit la région et les lacs en particulier et mentionne qu’ils sont une forme de personnalisation du seigneur Krishna lui-même. Il est précisé que quiconque se baignera dans leurs eaux (évidemment glaciales, puisque ils sont à environ 5000 mètres d’altitude) se trouvera immédiatement libéré de tous ses péchés, commis autant dans sa vie actuelle qu’au cours de ses vies antérieures.

En conséquence, bien des Hindous rêvent de s’immerger une fois dans leur vie dans les lacs sacrés de Damodar.

Le site est donc un lieu de pèlerinage, essentiellement fréquenté seulement en été, par un petit nombre de croyants, des hindous mais aussi des bouddhistes, en particulier autour de la pleine lune du mois d’août. Les conditions climatiques sont à ce point extrêmes que les visiteurs ne s’attardent pas longtemps sur les lieux. Il ne restent que le temps de compléter les dévotions et, on peut l’imaginer, de prendre le bain de la rédemption.

Sur le site, il n’y pas d’autre construction qu’un mauvais refuge de tôle et un minuscule temple, pas plus gros qu’un petit calvaire. Nulle autre commodité pour les pèlerins. Une majorité de ceux-ci emprunte le même sentier que nous, depuis Tsarang; cela représente un effort et un risque marqué pour des gens sans expérience de la montagne. Mais certains se facilitent l’accès en louant un hélicop­tère qui les transporte directement et les ramène aussitôt les dévotions terminées.

Le lieu est désolé, mais il demeure agréable. C’est ici que notre chemin retrouve la Dhechyang Khola que nous suivions à distance depuis quelques jours déjà, mais dont nous remonterons directement le cours jusqu’au col de Saribung.

Tout autour de nous, de hautes collines pelées, que les troupeaux visitent en plein été. D’ici, il serait très facile d’obliquer vers la frontière tibétaine puisque de nombreux sentiers s’y rendent.

L’univers de la roche

J14 – jeudi 1er mai 2014

de Damodar Kunda (5000m)
à Japanese Camp (5280m)

4h00 de marche

Le lac de Damodar est situé sur une terrasse dominant la rivière Dhechyang Khola, celle-là même qui provient du col de Saribung et que nous avons laissée en quittant Tsarang cinq jours plus tôt. Nous n’avons plus qu’à remonter la vallée en suivant les terrasses de rive droite.

La matinée est une marche facile, tout juste au bord de la rivière. L’altitude augmente vite mais la pente est suffisamment douce pour que nous n’éprouvions pas de difficulté particulière. Il faut dire que l’acclimatation est bien engagée.

Nous avançons sur des terrasses découpées dans les moraines, souvent précaires, qui surplombent la rivière. Il faut régulièrement contourner soit des ravins qui se joignent à la vallée, soit des portions largement érodées d’une terrasse.

Nous arrivons à un fond de vallée “tout en pierre”, en glace et en neige, où la rivière se distingue à peine de ses rives, tant le froid lie maintenant tous les éléments du paysage. La rivière disparaît presque sous la glace.

Nos sherpas choisissent de monter le camp en un lieu moins austère que les autres, sur un banc de sable gorgé d’eau, qui nous laisse au moins la possibilité d’un terrain un peu planche qui est dégagé de la neige. Mais l’endroit n’est pas particulièrement accueillant.

La neige couvre tous les versants de la vallée, et tous les pics environnants. Du désert d’altitude de la vallée de la Kali Gandaki, nous sommes maintenant passés à des très hautes terres où le froid et les nuages occupent tout l’espace.

Nous avons clairement quitté l’écoumène, la zone habitée et exploitée par l’homme, pour entrer dans l’univers de la haute montagne. D’ailleurs, depuis les lacs de Damodar, les noms des lieux-dits n’ont plus de lien avec le Mustang traditionnel; ils reflètent plutôt le passage et les intérêts des grimpeurs étrangers. C’est ainsi que notre camp est aujourd’hui établi au Japanese Camp.

Les versants sont de plus en plus occupés par un assortiment de glaciers, petits et grands. Un peu plus haut que notre camp la rivière, pourtant petite à cette altitude, frôle un de ces glaciers et y sculpte une grande grotte; la masse de la face visible de la glace est d’un bleu très profond, presque violet.

La température est maintenant très différente. Des nuées ne cessent de se créer, pour disparaître aussitôt. De fréquentes averses de neige obscurcissent le ciel.

De la neige et de la glace

J15 – Vendredi 2 mai 2014

de Japanese Camp (5280m)
à High Camp (5700m)

5h00 de marche

Nous continuons la remontée de la vallée du Dhechyang Khola. Mais, depuis hier, la rivière a été graduellement remplacée par un glacier.

Pendant un moment, nous longeons la rive gauche, grimpant des lambeaux de moraines aux allures dévastées, pour en redescendre aussitôt. L’avancée n’est pas facile, car il faut compter avec des cailloux et des rochers de tous formats, avec des sections glacées et des rampes glissantes.

Puis, après quelques heures, nous quittons les moraines pour cheminer au sein même du chaos du glacier. Il faut d’abord naviguer les nombreux monticules de glace et de neige, contourner les petits lacs gelés formés à la surface du glacier, le tout pendant que la neige tombe abondamment, mais sans beaucoup de vent.

Nous nous engageons ensuite dans un long passage aux allures irréelles, magiques. En fait, nous grimpons une pente douce couverte de neige abondante, dans un couloir d’une cinquantaine de mètres de large, enserré entre deux spectaculaires murs d’une glace dure et brillante d’une dizaine de mètres de hauteur bien verticaux. L’atmosphère intimiste du moment est amplifiée par une belle bourrasque de neige. On imagine facilement que, sous un soleil brillant, il en aurait été tout différent, et le scintillement de la glace nous aurait alors aveuglé.

Nous arrivons éventuellement au bout de cette montée. Nous constatons que les murs de glace n’avaient que peu de profondeur. C’était presque un décor de théâtre !

Devant nous, le glacier a perdu sa pente. Mais il faut maintenant le traverser, car le moins pire site pour établir le prochain camp se trouve être une arête basse et dépourvue de couvert glacé qui se trouve sur l’autre versant de la vallée, sur la rive droite.

Le glacier présente un immense désordre de bosses et de trous couverts de neige (avec une variation de l’ordre de seulement une dizaine de mètres), qu’il faut délicatement négocier. Même si elles sont brèves, les pentes entre les bosses et les trous sont abruptes.

La neige est abondante et inégale, révélant des cavités où les porteurs lourdement chargés s’enfoncent à l’occasion. Certaines charges doivent être fractionnées. Et certains porteurs traversent la dernière partie du glacier en deux fois.

Le camp est installé sur une petite butte (en fait le faîte d’une moraine médiane) émergeant de la glace, presque au pied de la pente abrupte menant au col de De Hults (6225m). Le sol est constitué de grosses pierres empilées; notre confort est donc plutôt limité.

La neige continue de tomber dru. Et il fait froid. À cette altitude, il fait trop froid pour qu’il y ait de l’eau sous forme liquide. Les cuisiniers et les porteurs doivent donc s’armer de piolets pour “miner” les masses de glace massive qu’ils feront fondre.

La journée du lendemain sera vraiment le grand moment de notre expédition. C’est à ce moment que nous traverserons le col de Saribung. Nous quitterons alors le Mustang pour nous engager sur un autre versant, celui de la région de l’Annapurna.

La traversée de ce col est essentielle pour la suite de notre périple, puisque c’est le passage le plus facile qui s’offre à nous pour traverser cet immense massif du Damodar Himal, avec ses dizaines de sommets qui dépassent les 6000 mètres.

Pour réussir cette traversée, nous devons pouvoir compter sur de bonnes conditions. Or, depuis notre arrivée au High Camp, il vente beaucoup et les averses de neige s’enchaînent. Si l’on y ajoute que la température est très basse, nos espoirs pour une belle traversée le lendemain sont plutôt modérés.

Il faut donc que la température s’améliore. Nous ne nous engagerions pas dans un si haut col dans une tempête, ni même une bourrasque. Dans ce cas, il nous faudrait attendre que ça se calme, et éventuellement peut-être revenir sur nos pas.

Notre leader conserve bon espoir, malgré le vent et la neige. Il prépare tout de même la traversée du lendemain, en nous demandant de devancer le programme matinal habituel de 2 heures, histoire de profiter de la neige portante de la matinée et d’arriver au col avant que celle-ci ramollisse trop.

Le passage du col de Saribung

J16 – Samedi 3 mai 2014

de High Camp (5700m)
à Glacier Camp (5300m)
via le col de Saribung (6060m)

8h00 de marche

Comme prévu, nous nous levons très tôt, vers 4 heures plutôt que les 6 heures coutumières. Il fait encore sombre, mais l’aurore n’est pas bien loin.

Il fait un froid mordant, mais le ciel est clair, les nuages sont disparus pendant la nuit et les vents sont tombés.

Nous parvenons à quitter le camp vers 05h40. Nous suivons une dorsale de pierres accumulées, la moraine médiane, enserrée dans la surface neigeuse et immaculée du glacier.

Au bout de quelques minutes, nous nous trouvons au pied de la montée abrupte mais apparemment très facile du col de De Hults. Mais il ne faut pas se fier aux apparences, car l’autre versant de ce col a très mauvaise réputation, en raison de ses bris de pente abrupts.

Nous continuons notre chemin. Bientôt, c’est le col de Saribung, celui là même où nous allons passer, qui apparaît. Nous sommes en pratique à la tête de cette vallée puisque, outre le col de Saribung, un bon nombre d’autres cols et d’autres versants offrent d’autres possibilités de cheminement facile. Nous avons beau être à presque 6000 mètres, l’épaisse couche de bonne neige sur des glaciers aux pentes très modérées donne l’envie d’aller partout. La montagne est bénigne, sous le soleil radieux.

Nous entreprenons la longue, mais facile, montée du col de Saribung dans une magnifique couche de neige. J’imagine que des skieurs s’en donneraient à cœur joie dans cette agréable vallée.

Un groupe de porteurs a pris les devants. Malgré leur expérience, et leur grande force, l’altitude les mine certainement car ils ne négligent pas de faire des pauses régulières.

Je n’hésite pas à m’engager dans la trace des porteurs, mais pas mal devant le groupe des randonneurs, afin d’avoir tout le temps d’émettre un signal de ma balise au col. Je ne voulais pas être pressé par le temps.

La marche n’est pas vraiment difficile. Oui, il faut compter avec l’altitude, mais les 5 années d’entraînement presque quotidien au gymnase du PPMC ont un réel impact. Ni le cœur ni les poumons ne démontrent ce stress de l’altitude que j’ai déjà connu. C’est comme si les muscles, qui sont nettement plus forts, assuraient plus efficacement leur travail, sans imposer de tension indue. Comme je le dirai à mon retour, c’est “comme à Québec”. Je suis évidemment enchanté de vivre ce plaisir pur, dans un aussi bel environnement.

Je rattrape plusieurs des porteurs, qui ne tardent quand même pas à reprendre leur effort après de courtes pauses. J’atteins le col proprement dit tout seul, bien en avant du groupe qui mettra une vingtaine de minutes à arriver.

Les porteurs, eux, dépassent un peu le col et se rendent à la lèvre de la pente de descente sur l’autre versant.

Je jouis donc d’un moment de solitude béate au sommet de ce large col habillée de neige fraîche, sous un soleil de plus en plus présent.

Nous avons quitté le High Camp à 10 ou 5 degrés sous zéro. Au col, un peu après 9 heures, il fait déjà 5 degrés. À partir de ce moment, la température ne cessera d’augmenter encore, rejoignant les 15 ou 20 degrés en début d’après-midi. À partir du col, nous aurons à nous accommoder d’une neige de plus en plus transformée, de plus en plus molle et lourde.

Mario est le prochain randonneur à atteindre le col. Nous nous empressons de vérifier l’altitude avec son GPS: 6060 mètres. Mario est enchanté de ce résultat ! Il avait entrepris cette expédition pour souligner son 60ième anniversaire. C’est pourquoi il avait été charmé par l’altitude symbolique des 6000 mètres que l’on nous annonçait. Alors, vous imaginez que le symbolisme de 6060 mètres est encore pus fort, 60+60, le chiffre 60 deux fois.

Le groupe se retrouve bientôt au sommet du col, le leader, les randonneurs, les sherpas. Tout le monde est heureux. Des chaînes de drapeaux de prière sont déroulées, qui seront certainement bientôt emportées par les vents. Nous profitons du moment.

La vue est magnifique. De part et d’autre du col, de petits sommets (Saribung Peak et Kharsang Peak) que nous aurions pu escalader. Derrière nous, les multiples sommets du massif du Damodar. Devant nous, la vallée que nous allons bientôt dévaler; au-delà, à quelques kilomètres à peine, la frontière tibétaine et beaucoup d’autres sommets.

Il ne faut pas traîner ici malgré notre plaisir et malgré la très belle température. Il faut déjà nous engager dans la descente. Le site du camp est encore éloigné. Et la neige est en train de se transformer à une vitesse folle. La progression sera plus difficile dans cette neige lourde et le risque d’avalanche augmentera.

La descente s’amorce par une large et assez abrupte pente enneigée, qui nous apparaît toute douce sous une couche de neige fraîche. Il faut pourtant s’en méfier, car la neige recouvre un glacier.

Le groupe avance en file indienne dans cette neige assez profonde. Les passages successifs permettent de compresser un chemin de plus en plus facile à suivre. Mais la compression se fait suffisamment forte pour qu’un des porteurs en tête de peloton, mais pas le premier, enfonce subitement dans une crevasse, relativement petite mais quand même assez large et profonde pour qu’il s’y enfonce. Sa charge le sauve d’une chute profonde, puisque le gros panier qu’il porte sur le dos s’accroche au rebord de la crevasse, le retenant.

La température ne cesse d’augmenter et la neige de mollir. Le soleil nous aveugle; mais les lunettes de soleil, que tout le monde porte, protègent nos yeux. Mais la réverbération de sa lumière violente sur la neige est sans merci. Malgré les crèmes solaires qui protègent notre visage, chacun se retrouve en fin de journée avec des brûlures à l’intérieur des narines. Jamais nous aurions pu imaginer que celles-ci étaient exposées.

À mesure que la température augmente, la neige devient moins stable. C’est ainsi que notre descente est ponctuée de quelques petites avalanches, qui délestent un peu de la neige nouvellement tombée au sommet des falaises qui délimitent le glacier que nous suivons. Mais, il n’y a pas de quoi s’inquiéter, car les avalanches sont bien petites et nous descendons à quelque distance de ces murailles. La perspective d’une plus grosse avalanche demeure toutefois inquiétante.

Au début de l’après-midi, nous atteignons la limite de la neige nouvellement tombée la veille. Il reste encore des zones de plus vieille neige, qui sont séparées les unes des autres par des sections de roche, de moraine ou de glaise. Nous pouvons donc partiellement progresser sur de vieilles moraines, ce qui est plus rapide.

À partir de ce moment, il devient plus difficile de suivre une trace claire. Il n’y a plus de neige pour retenir la trace des pas des guides. Et il n’y a pas non plus de vrai sentier tracé au sol. Les guides et les porteurs cherchent constamment le meilleur parcours, entre le roc, les cailloux et la neige, entre les cordons de moraine et les nappes d’eau, entre les montées et les descentes.

Nous marchons depuis le lever du jour. Il y a donc déjà la fatigue de cette longue journée. Mais cette étape de progression plus lente et plus délicate nous achève.

Le guide le sent bien, en choisissant plus rapidement qu’il ne l’aurait voulu le site de notre campement. L’endroit n’est pas parfait (vieille neige pourrie (et mouillée) au sol, manque d’espace, …) mais nous sommes enchantés de nous arrêter.

C’est d’autant plus vrai que le ciel se couvre maintenant et que des averses de neige apparaissent.

Une descente vers plus de confort

J17 – Dimanche 4 mai 2014

de Glacier Camp (5300m)
à Phu (4030m)

9h00 de marche

Après une bonne nuit de sommeil, nous sommes revigorés. Et chacun se sent prêt à continuer la descente de la vallée. Nous pouvons consacrer moins de temps à assurer nos pas et conséquemment plus de temps à admirer le magnifique paysage des versants rocheux parsemés de nombreux glaciers.

Nous finissons par quitter la zone très bousculée des moraines, mais la vallée porte toujours les marques d’un recul récent des glaciers, que l’érosion pluviale n’a pas encore eu le temps d’adoucir. Les pentes demeurent extrêmement minérales. Le sol est toujours aussi rocailleux.

Une vraie rivière commence à se former à partir des nombreux torrents. Nous commençons à apercevoir des signes de passage d’autres humains, même si ce ne sont pas encore des signes d’occupation régulière.

Un timide sentier apparaît bientôt. Mais, il n’est créé que par les seuls touristes de passage. Ce n’est pas un sentier de la vie quotidienne des paysans locaux, qui ne s’aventurent vraisemblablement pas souvent aussi loin dans la montagne.

Notre groupe fait la pause du midi sur une pente escarpée, un peu au-dessus de la rivière. Puis, de ce point, nous entreprenons une grimpée qui nous mène vers des plateaux latéraux qui, eux, sont visités par les bergers locaux.

Nous y trouvons un nouveau sentier très bien tracé que les gens de Phu sont en train de construire vers la frontière tibétaine, dans l’espoir de faciliter le commerce au-delà de la frontière, qui est toute proche.

Comme ce serait tentant de pousser une pointe dans cette direction ! Comme ce serait tentant d’aller vers l’amont de cette vallée suspendue et vers ses glaciers, pour épier cette frontière !

Nous faisons bientôt un arrêt dans un hameau abandonné, peut-être occupé à l’occasion pour de brefs séjours par des pasteurs. Le temps de prendre notre souffle, et nous continuons notre chemin.

Villages abandonnés

Un peu partout, le long de notre traversée, nous croisons de nombreux indices de la dépopulation de la région, autant des villages franchement abandonnés que des terrasses cultivables mal entretenues et laissées à elles mêmes.

On constate en même temps que les populations sont en train de se regrouper sur les meilleurs (ou les moins pires) sites.

La vie moderne permettant maintenant plus de commerce, les paysans se fient moins à leur agriculture de subsistance. De plus, l’ouverture des vallées au tourisme apporte de nouveaux revenus, qui ne font que renforcer ce commerce. Cette tendance universelle a des impacts locaux très marqués sur l’occupation du territoire.

Par contre, il faut bien avouer que les villages abandonnés peuvent être très pittoresques et très esthétiques.

Le chemin reste pratiquement à niveau, tandis que la rivière (la Layju Khola) continue de perdre très rapidement de l’altitude. C’est ainsi que nous nous retrouvons bientôt à une grande hauteur au-dessus de la rivière. Notre sentier suspendu à la pente nous apparaît de plus en plus petit. Mario et moi nous nous amusons à estimer cette altitude relative, en prenant la hauteur de l’édifice Marie-Guyart de Québec comme unité de mesure ! Nous dépassons les 2 ou 3 unités, soit 400 ou 600 mètres.

Juste devant, à quelques kilomètres, nous constatons que le sentier devra prendre beaucoup d’altitude afin de contourner par le haut une gigantesque muraille d’éboulement qu’aucune piste pourrait traverser directement. C’est un peu décevant de devoir grimper encore beaucoup, alors que nous sommes pourtant en train de dévaler.

Tout à coup, c’est une profonde vallée secondaire, dont nous ne soupçonnions même pas l’existence, qui s’ouvre subitement sur le côté. C’est le site du grand village de Nagoru, maintenant totalement abandonné.

Le village comporte de nombreuses maisons encore partiellement debout. On y voit plusieurs st?pas et chörten, ainsi que les restes d’un monastère troglodytique dans les falaises.

Le bas de la vallée, juste sous le village, est complètement travaillé en terrasses, souvent pentues, mais qui sont maintenant abandonnées.

Une fois le village dépassé, nous entreprenons un dure montée, celle-là même qui nous permet de contourner la falaise.

Au sommet de cette côte, nous croisons un petit groupe de quelques randonneurs accompagné de leurs guides et porteurs, qui montaient leur camp. Venus sans plan précis, ils se sentaient à la limite des capacités de leur groupe, et prévoyaient rebrousser chemin dès le lendemain.

La randonnée continue sur l’excellent sentier que les villageois de Phu sont en train d’améliorer. Puis nous arrivons à un élargissement de la vallée, où nous rejoignons la rivière encore plus importante du Phu Khola. Encore une petite heure de marche et nous rejoignons le village même de Phu.

Le village nous paraît un peu démoralisant, construit de pierre foncée, qui se détache à peine de son triste univers de pierre foncée. Les maisons sont toutes adossées à un éperon défensif, signe de la turbulence historique des relations dans cette vallée.

Le village est nettement en altitude, au-delà des 4000 mètres. Il est entouré de toutes parts de très hauts sommets et de grands glaciers. La vie ne doit pas être facile.

À cette date hâtive du début de mai, aucun des champs n’est ensemencé; la terre n’est même pas encore préparée ou travaillée. D’ailleurs les champs sont petits et il y en a peu. La terre elle-même paraît pauvre.

Au cours des journées suivantes, nous pourrons voir combien l’altitude et le froid limitent le confort des populations. À mesure que nous continuerons notre périple, nous verrons de plus en plus de verdure et des cultures de plus en plus avancées, allant même jusqu’à des premières récoltes aux environs de Besisahar.

Nous établissons notre camp sur la rive opposée au village, sur un terrain prévu à cet effet. Les aménagements (toilettes, douches, refuge) déjà réalisés par des organismes de développement sur le site sont en si mauvais état qu’ils sont inutilisables.

La température est toujours bien fraîche.

Retour à la moyenne montagne

J18 – Lundi 5 mai 20144

de Phu (4030m)
à Methang (3630m)

7h00 de marche

Le programme initial prévoyait une journée de repos à Phu, après la longue traversée du col de Saribung et du Damodar Himal. Mais, nous nous sentons en forme, nous n’apprécions pas vraiment l’environnement froid et sévère de Phu. C’est pourquoi nous préférons continuer notre route vers une altitude plus basse et un climat plus tempéré.

Nous amorçons la descente de la vallée du Phu Khola. Après moins d’une heure de marche dans une vallée tourmentée, nous arrivons à un éperon rocheux, doublé d’un rétrécissement, qui a marqué la limite et la défense traditionnelle du village contre les attaquants venus de l’aval.

Nous traversons une petite muraille défensive dans un passage très resserré. Le mur surplombe d’un côté une imposante falaise, de l’autre un à-pic démesuré sur la rivière. L’endroit devait être bien facile à protéger ! Au-delà, nous nous engageons dans une descente vertigineuse aux mille détours qui nous amène avec précaution 200 ou 300 mètres plus bas, au niveau de la rivière.

Nous longeons alors paisiblement le cours d’eau, qui ne cesse de grossir. Nous alternons les passages faciles sur des pentes vastes et les resserrements le long de falaises. Le sentier s’engage même franchement en dessous d’une grosse chute d’eau.

La végétation épaissit rapidement. Des herbages et des arbustes poussent maintenant le long de notre pistes. Bientôt, ce sont de vrais arbres (des conifères) qui apparaissent sur les versants. Nous traversons même à intervalles réguliers des zones couvertes de copeaux, visiblement de petits “chantiers” d’élagage où les forestiers préparent les arbres abattus sur le haut des versants.

Un peu plus loin, les versants s’étranglent tellement que le sentier doit être découpé sur quelques kilomètres à même la falaise, un peu comme l’est le chemin de la Mâture dans les Pyrénées.

Cette section plus périlleuse, où des petites pierres ne cessent de dévaler la falaise surplombante, nous mène à un plateau où est établi Kyang, un hameau de Phu.

Nous faisons la pause du midi à cet endroit, avant de nous engager dans une nouvelle montée, afin de traverser une vallée secondaire. La randonnée se continue bien haut sur un versant de plus en plus couvert de végétation. On peut même dire que nous longeons et traversons de petites forêts.

Un animal-végétal ?

Entre les villages de Kyang et de Chyako, Harka, notre leader, nous parle vaguement d’un animal-végétal qui existe dans la contrée que nous traversons, mais sans apporter beaucoup de détails. Il ajoute que sa valeur est telle pour les Chinois que le prix de sa “cueillette” entraîne des désordres sociaux menant au vol et au meurtre.

Un animal-végétal ? Oui ! Oui ! répond Harka. C’est un puissant aphrodisiaque, du “Viagra himalayen”, dit-il. Nous sommes évidemment tous sceptiques.

Peut-être pour confirmer l’existence de cette bizarrerie, Harka nous raconte aussi qu’en 2009, des Népalais étrangers à la région sont venus faire la cueillette de cet animal-végétal dans la vallée de Naar sans demander la permission aux propriétaires des terres. Après avoir eu connaissance de ce acte de pillage, les villageois ont retrouvé et capturé les 7 étrangers, puis les ont assassinés. Les crimes s’ébruitèrent et les coupables arrêtés. Un tribunal en a éventuellement condamné six à une détention de 20 ans et treize autres à un emprisonnement de 2 ans.

Une fois de retour du voyage, j’ai fait une rapide recherche et découvert que l’Occident a seulement établi depuis 1993 qu’il existe sur le plateau tibétain un champignon très spécial (Ophiocordyceps sinensis en latin, yarshagumba en népalais) qui infecte une larve, la fait lentement mourir, la momifie sous terre et la transforme en substrat pour un cordyceps, un champignon, qui se développe l’année suivante au-dessus du niveau du sol avec l’apparence d’une plante.

Ces larves vivent de 10 à 15 centimètres sous le sol dans des prairies du plateau himalayen situées entre 3000m et 5000m.

La larve dotée de son cordyceps est déterrée, déshydratée et vendue à prix d’or sur le marché chinois en tant qu’aphrodisiaque. Un kilogramme de ce produit vaut sur le marché de consommation entre $3000 et $18,000 selon la qualité.

Sa collecte joue aujourd’hui un rôle économique important tant au Tibet qu’au Népal. Elle a aussi été une source de financement dans la guerre civile népalaise.

Quelques heures plus tard, nous rejoignons un vaste dégagement, un peu moins pentu, où était établi le joli hameau de Chyako, appartenant au village de Naar, et maintenant abandonné lui aussi. Mais l’ouverture de la vallée au tourisme permettra une certaine renaissance puisque nous y croisons le chantier d’un nouveau lodge.

La marche est facile sur ce vaste “plateau”, du moins jusqu’à ce que nous ayons à traverser un profond ravin, doté d’un très long pont suspendu. Cependant, comme nous sommes à la saison sèche, nous choisissons plutôt de traverser le torrent directement.

Nous dominons maintenant la vallée, depuis de hautes terrasses boisées. Sur l’autre versant, tout en bas, on aperçoit la vallée du Labse Khola donnant accès au village principal de Naar. Au confluent des rivières, sur un petit plateau situé au-dessus d’une gorge étroite d’une centaine de mètres, on peut apercevoir un monastère moderne, tout jaune. Nous croyons un moment que c’est dans son voisinage que nous monterons le camp. Mais le sentier s’en éloigne vite et il continue à monter un peu. C’est plutôt vers Methang (ou Meta) que nous nous dirigeons.

Bizarrement, malgré que le ciel se couvre de nuages au cours de l’après-midi, sans vraie menace d’orage toutefois, le soleil continue d’accompagner notre progression à travers une étrange trouée ininterrompue dans l’épaisseur des nuages. Nous voilà donc constamment au soleil, malgré le ciel très nuageux.

Meta, ce hameau du village autrefois guerrier de Naar compte aujourd’hui une population très réduite par rapport à son apogée. De nombreuses terrasses de culture abandonnées témoignent de son occupation passée. Le lieu a été abandonné pendant une bonne période, avant de revivre aujourd’hui, sous l’impulsion de la randonnée touristique maintenant possible depuis l’ouverture de la zone aux étrangers en 2003. Des lodges viennent d’être construits.

Nous campons dans la vaste cour d’un lodge récemment construit. Autour de nous, d’autres établissements s’édifient tranquillement, marquant ainsi l’impact important de la récente ouverture de la région au tourisme.

Même s’il faut toujours se munir d’un permis spécial pour randonner dans la région, au moins l’accès est-il possible. Cela marque déjà un tournant important pour l’économie régionale.

Sur les terrasses, qui ne sont plus cultivées depuis un certain temps, on aperçoit de nombreux et massifs empilages de planches soigneusement sciées, en train de sécher, avant d’être acheminées à dos d’hommes vers leurs utilisateurs. Même si la couverture forestière de la vallée n’est pas très dense, l’altitude plus basse et la formidable protection des massifs presque verticaux qui l’enserre permettent la croissance de magnifiques conifères.

Depuis le milieu de cette journée jusqu’à Koto, nous traversons souvent des petits chantiers d’abattage d’arbres et d’équarrissage de troncs, où tout le travail se fait simplement à la hache, au godendard (la scie de long) et à l’herminette. Nous croisons ou dépassons souvent des hommes lourdement chargés de très longs et lourds madriers.

Le hameau de Methang est établi sur un plateau assez vaste, que l’occupation ancestrale a transformé en terrasses. Il se situe beaucoup plus haut que le fond de la vallée, qui nous apparaît depuis le sentier comme un canyon. Il n’est donc pas surprenant de voir défiler devant nos yeux, remontant la vallée, d’énormes bancs de brumes et de nuages. Nous nous sentons “accrochés” bien haut.

Retour à la civilisation

J19 – Mardi 6 mai 21014

de Methang (3630m)
à Koto (2620m)

7h00 de marche

Dès le départ de notre campement de Methang, nous avons la surprise de débouler aussitôt une pente forte qui nous mène au fond de la vallée. Même si nous continuons de descendre la même vallée, la rivière porte maintenant le nom de Naar Khola.

La vallée est très étroite, souvent moins de 100 mètres au fond. Elle est aussi extrêmement encaissée, enserrée entre des murailles presque verticales. Le sentier doit donc longer étroitement la rivière, qui tient en fait du très gros torrent. De distance en distance, les escarpements deviennent impossibles à franchir et il faut changer de rive sur des ponts suspendus.

Dans un cas, le pont traverse un resserrement extrême de la rivière, sous d’imposants surplombs rocheux qui le dominent de 300 ou 400 mètres. Chacun se sent tout petit, opprimé par l’étroitesse des lieux. Cette impression de danger et de fragilité est encore augmentée par la présence d’un bloc rocheux d’une cinquantaine de centimètres de diamètre qui s’est détaché du surplomb et s’est encastré dans les panneaux d’aluminium de la surface même du pont.

Depuis le col de Saribung, la descente nous fait vivre une sorte de printemps très accéléré par les variations de végétation, depuis le glacier, par les chaos morainiques, la désolation végétale de Phu, l’apparition des premiers arbres, puis d’une forêt de conifères exploitée, et maintenant d’une épaisse couverture végétale.

Nous croisons ce matin des porteurs qui acheminent en étapes écourtées un ensemble de grandes pièces métalliques destinées à la construction d’un nouveau pont plus haut dans la vallée. Les charges sont tellement hautes et surtout tellement larges que ces hommes doivent le plus souvent marcher de côté ou de biais, “en crabe”, pour contourner les rétrécissements, les obstacles ou les autres marcheurs. Chacun monte une charge sur une certaine distance, la dépose, redescend charger la suivante, monte cette dernière jusqu’à la prochaine étape, Et le cycle recommence.

Au creux de cette gorge, les abords du sentier regorgent de petits fraisiers sauvages, qui allaient bientôt mûrir.

Dans un élargissement de la vallée, nous nous arrêtons pour le repas du midi. Le lieu est magnifique, au pied d’un énorme rocher, avec une vue plongeante sur la rivière.

Lorsque nous arrivons, les cuisiniers ont déjà monté leur cuisine près du grand rocher, abritée du vent par une grande toile. Les sherpas étendent une autre grande toile au sol en guise de nappe, pour un magnifique pique-nique: le luxe d’une soupe et de caris de légumes le midi, sous le grand soleil.

C’est à des moments comme ceux-ci que nous apprécions particulièrement l’intendance extraordinaire arrangée par World Expeditions.

Après un court repos, sinon une toute petite sieste pour certains, nous reprenons le chemin. La vallée ne cesse de s’élargir, la rivière de grossir. La végétation s’épaissit, à mesure que la température grimpe.

Nous débouchons de la gorge proprement dite. La vallée est maintenant beaucoup plus large, avec de vagues allures de paysage suisse. De hautes terrasses couvrent la base des flancs de montagne, signe d’une déposition ancienne.

Il ne reste plus qu’un obstacle à franchir avant d’atteindre Koto, une haute falaise qui s’avance jusqu’à la limite de la rivière, bloquant un passage facile. Le sentier se glisse alors subtilement dans une longue percée qui a été laborieusement excavée à même la falaise. Nous la suivons, en savourant cette drôle de sensation de glisser dans la roche même.

Il ne reste alors qu’un dernier pont à traverser, sur la rivière Marshyangdi Nadi que nous venons d’atteindre avant d’aboutir à Koto et au circuit de l’Annapurna.

Un policier, au poste de contrôle vers Manang, sur le circuit principal, voit notre groupe surgir devant lui, et nous demandant bien d’où nous venons. À notre réponse de “du Mustang par le col de Saribung” il nous démontre beaucoup de respect.

L’arrivée au village de Koto, avec ses allures de village suisse, nous plonge dans un monde bien différent, avec l’électricité, une variété de commerces, une piste importante qui prend même des allures de route. Le village est entouré de champs riches de cultures déjà bien avancées et de grands conifères sur les pentes.

Contact avec l’affluence touristique

J20 – Mercredi 7 mai 2014

de Koto (2620m)
à Tal (1690m)

6h00 de marche

Nous avons maintenant rejoint le célèbre circuit de l’Annapurna, ce périple renommé qui fait le tour complet du massif de l’Annapurna. L’affluence touristique est importante. Depuis 1977, les randonneurs du monde entier y affluent. Et le développement commercial des villages n’a pas failli à la tâche. Au fil des années, un chemin carrossable a même remplacé le sentier traditionnel aux deux extrémités du circuit, jusqu’à Jomsom et Kagbeni à l’ouest, jusqu’à Koto et presque Manang à l’est.

Nous nous engageons maintenant dans la vallée de l’est, celle de la rivière Marshyangdi Nadi. Nous suivrons le chemin pour une bonne partie de ces deux dernières journées. C’est même une nécessité puisque quelques portions du sentier sont actuellement inutilisables depuis que des éboulis les aient fait s’écrouler.

Le chemin s’avère un très bon sentier, même si sa qualité est souvent douteuse pour les jeeps qui l’empruntent. La vallée est assez densément peuplée. Le chemin traverse donc à certains endroits une continuité de fermes et de villages.

À plusieurs endroits, on peur apprécier l’effort énorme (et l’imagination) qu’il a fallu déployer pour permettre la construction d’un chemin, aussi humble soit-il.

En contraste avec ce que nous venons de vivre au Mustang et dans la vallée de Naar-Phu, la circulation est ici très importante. Il y a énormément de marcheurs, villageois comme randonneurs, et une bonne quantité de ces petits 4×4 de marque Tata qui font office de bus.

Nous suivons le chemin, qui descend sur la rive droite, et nous faisons l’arrêt du midi dans un tea house de Dharapani. Nous reprenons cette route puis, au milieu de l’après-midi, nous traversons la rivière pour joindre le sentier traditionnel. Celui-ci nous mène bientôt au village de Tal, situé sur un vaste dépôt de bonnes terres qui bordent la rivière, accalmie à cet endroit. Le village lui-même compte un très grand nombre de lodges, parce qu’il est situé sur le sentier traditionnel.

Fin de la randonnée

J21 – Jeudi 8 mai 2014

de Tal (1690m)
à Besisahar (810m)
via Syange

4h00 de marche

Sitôt après avoir quitté Tal, la rivière reprend sa déboulade, et redevient un immense torrent. Nous continuons de suivre le sentier traditionnel, qui longe la rivière en rive gauche.

En moins de deux heures, à Chyamche, le sentier change de rive et rejoint la route. De là, nous continuons deux autres heures vers Syange où se termine notre randonnée.

Nous prenons là le repas du midi. Puis nous répartissons les 30 personnes du groupe et tous les bagages dans 3 grands 4×4, pour continuer la route vers Besisahar.

La route n’est pas très bonne, et les chauffeurs doivent rouler lentement. Nous perdons vite de l’altitude. Et nous constatons que le cours inférieur de cette rivière, la Marshyangdi Nadi, attire de nombreux adeptes de rafting.

Nous traversons pendant une dizaine de kilomètres un grand chantier chinois de construction d’une importante usine de production hydroélectrique.

Nous nous établissons en plein centre de Besisahar, dans la cour arrière d’un restaurant.

C’est ce soir qu’a lieu le traditionnel souper des adieux, pendant lequel s’échan­gent les remerciements et les pourboires.

Retour à Katmandou

J22 – Vendredi 9 mai 2014
De Besisahar à Katmandou

Dès le matin, notre autobus arrive pour nous mener à Katmandou, un agréable (mais combien lent) périple.