Mon "scrapbook", tout simplement

Bolivie – 1

Cette randonnée se partage en 4 pages:  020304

du 6 au 24 septembre 2016

Texte et photos de Jean-François Bouchard
Augmenté de photos de Mario Gagné

Le projet

En 2014, trois des kinésithérapeutes du gymnase où je m’entraîne chaque jour m’ont approché, séparément, mais pour le même motif . Sachant que j’ai une grande affection pour la randonnée pédestre et la montagne, ils ont chacun attiré mon attention sur une activité de financement qu’organisait alors la fondation de l’hôpital auquel est affilié ce gymnase. Il s’agissait d’un voyage dit “caritatif” dont l’objectif était l’ascension d’un sommet bolivien atteignant une altitude de 6348 mètres, le Parinacota. Je n’avais jamais entendu parler de ce sommet. Mais j’étais intéressé par son altitude, qui dépassait celle de mon propre record de mai 2014 au col du Saribung (6060 mètres).

J’ai fait un peu de recherche, ce qui m’a permis de découvrir qu’il s’agissait d’un volcan dormant localisé en plein sur la frontière entre la Bolivie et le Chili, et partagé entre deux parcs nationaux. Son nom provient de la langue aymara, dans laquelle il s’écrit Parina Quta et signifie la montagne du lac (quta) des flamants (parina). Le lac en question est la Laguna Chungará, située juste au sud de la montagne, à une altitude de 5500 mètres, créé il y a 8000 ans par une éruption majeure ayant déversé 6 kilomètres cubes de laves sur l’altiplano.

La montagne m’intéressait. Une belle montagne bien symétrique. Avec la possibilité d’améliorer mon record d’altitude. Il faudrait compter sur les avantages et les inconvénients d’un sommet à plus de 6000 mètres qu’il est possible d’atteindre en une seule journée depuis un village situé à 4300 mètres sur le plateau de l’altiplano.

Le projet était une activité de financement de la fondation de l’hôpital. Les participants devaient, en plus de couvrir les frais de leur voyage, souscrire un don d’au moins $5000 à la fondation. L’objectif pour les participants était donc de susciter un intérêt pour leur performance sportive dans cette ascension afin d’inciter amis, famille et connaissances à contribuer par leur entremise à la fondation.

Ça me posait problème. J’ai tout de même rencontré la responsable de la fondation. J’ai même envisagé toutes sortes d’autres manières d’effectuer ce don sans solliciter mon entourage. Mais rien n’y faisait. J’ai finalement songé qu’il serait peut-être possible de faire cette ascension indépendamment, sans la fondation.

J’en parlai donc à mon fidèle compagnon de randonnée, Mario, qui s’est tout de suite montré très intéressé. J’ai ensuite contacté des agences, autant québécoises que boliviennes. Ces dernières avaient des prix plus intéressants, en plus de démontrer une connaissance plus intime du pays. Nous avons demandé des propositions à trois de ces agences. Et nous avons vite été charmés par Alaya, une agence franco-bolivienne, qui nous proposait un voyage privé, juste pour nous deux, avec un programme incorporant l’ascension du Parinacota, d’autres ascensions d’acclimatation ainsi qu’une composante touristique intéressante. L’entente fut rapidement prise, avec une date encore éloignée, septembre 2016.


J00 – Mardi 6 septembre

Notre périple bolivien commençait à La Paz. Comme cette ville exceptionnelle (la métropole la plus haute du monde) possède un aéroport tout aussi exceptionnel (le plus haut aéroport international du monde à 4061 mètres, dont l’altitude n’est dépassée que par 4 aéroports régionaux tibétains), bien peu de vols au long-cours la desservent. Nous avons donc dû prendre le seul vol direct depuis l’Amérique du nord, un vol d’American Airlines de Miami. Mais, même si la piste de 4000 mètres compte parmi les plus longues du monde, la très faible densité de l’air ne permet pas le décollage pour le retour sur une aussi longue étape (4860 kilomètres), C’est pourquoi une escale à Santa Cruz de la Sierra, l’autre grande ville bolivienne, est prévue. Nous ferons donc cette rare expérience d’un vol triangulaire à cause de l’altitude.

Je prends l’autobus tôt ce matin (7h30) depuis la gare de Sainte-Foy. De son côté, Mario quitte sa maison de Deschaillons avec sa voiture, qu’il laisse chez des beaux-parents à Laval. Nous arrivons tous les deux en même temps vers 10h00 à l’aéroport de Dorval. Un premier vol nous mène à Philadelphie, un second à Miami. Puis nous prenons le vol international pour La Paz en fin de soirée.


J01 – Mercredi 7 septembre

La Paz

Décidément, ce vol est très particulier. L’arrivée à La Paz se fait juste un peu avant 5 heures du matin. Trop tôt pour qu’un petit déjeuner soit servi. Un simple décalage du départ de Miami nous aurait pourtant permis d’arriver à un moment plus propice.

Le nombreux personnel de l’aéroport attendait les voyageurs endormis que nous étions. Le passage à l’immigration est courtois et sympathique. Les bagages ne tardent pas. Julio, le chauffeur de l’agence, nous attend et nous mène à notre hôtel.

Même si nous n’avons pas changé de fuseau horaire, le décalage naturel et culturel est important entre Miami et La Paz. Ici en altitude il fait froid, à peine au-dessus de zéro. L’aéroport est compressé de toutes parts par un développement urbain dense, actif et désorganisé.

Il fait encore nuit noire. Au cours de la descente depuis l’aéroport, nous pouvons admirer l’étrange et admirable vue du grand amphithéâtre naturel où s’agrippe La Paz, avec ses lumières scintillantes. Une vision étonnante. En quelques minutes, nous descendons de 400 mètres.

Nous sommes à notre hôtel avant 06h30. C’est le veilleur de nuit qui nous accueille. Le chauffeur nous laisse en indiquant que la responsable de notre voyage nous rencontrera autour de 10 heures. Notre chambre sera prête une quarantaine de minutes plus tard, après que les femmes de chambre soient arrivées. Nous en profitons pour dormir les quelques heures qui nous manquent.

Nous descendons vers 10 heures au foyer de l’hôtel pour notre rencontre avec Delia, la responsable du bureau de La Paz de notre agence. Nous apprendrons plus tard qu’elle est la belle-sœur du propriétaire d’Alaya, le Français Cédric Camus. Elle nous fait une présentation très détaillée du programme de notre voyage. C’est aussi le moment de verser (cash, en billets américains !) le prix de notre voyage. Delia nous remet la liste de nos nombreux rendez-vous pour toute la prochaine semaine. Nous la quittons avec la certitude qu’elle sera l’ange qui veillera sur nous tout le long du voyage.

L’hôtel où nous logeons (l’Hostal Naira) est situé au cœur touristique de La Paz, au début de la rue Sagárnaga, juste à côté de la Plaza Mayor et de la Iglesia de San Francisco. L’hôtel s’est développé autour d’une belle maison coloniale et il s’avère un endroit simple et bien douillet.

Sitôt la rencontre avec Delia terminée, nous partons à la recherche d’un guichet automatique pour y retirer des billets. C’est notre premier vrai contact avec la ville et avec le pays. Notre hôtel est au centre de la vallée, à son plus profond. Il faut donc “remonter” toutes les rues du quartier voisin, où se concentrent les études de notaires et les cabinets d’avocats. C’est à ce moment que nous réalisons pleinement que nous sommes subitement à une belle altitude. La respiration est en effet un peu difficile à 3600 mètres ! Nous retirons nos billets sans difficulté.

Puis nous cherchons ensuite un endroit pour casser la croûte. Nous sommes évidemment très affamés puisque nous n’avons pas déjeuné ce matin. Je propose un fast-food bolivien typique où les assiettes sont très garnies et appétissantes. Nous choisissons un plat élaboré autour du charqui, cette viande effilochée et séchée (du bœuf ? du porc ? du lama ? Difficile à dire !) si typique de ces hauts plateaux.

Nous retournons à l’hôtel puisque nous avons un rendez-vous à 14 heures avec Eduardo, notre guide pour une visite de la ville. Tout au long de ce voyage, nous aurons une suite de rendez-vous avec des guides, des chauffeurs, des responsables locaux. Chaque rendez-vous sera à l’heure. Et chaque fois, ce sera avec une personne compétente et agréable.

Eduardo nous attendait, un peu avant l’heure. Il nous emmène, avec Julio comme chauffeur. Nous faisons d’abord une courte tournée dans le centre, en direction d’un petit parc renommé pour la vue qu’il donne sur la ville … et pour les amoureux qui le fréquentent, car les baisers qui y sont échangés tissent des liens particulièrement forts, dit-on !

Nous y laissons notre chauffeur. Après une petite marche (qui nous fait passer devant l’ambassade du Canada), nous prenons le téléphérique municipal. Ce sera d’abord la ligne jaune qui nous mènera vers le bas de la ville, puis une correspondance à la ligne verte.

Les transports publics de La Paz ont été limités jusqu’à récemment à une série de lignes de minibus … privés, qui relient chacun des quartiers au centre-ville. Il n’y avait pas de réseau public intégré. Et la densité du trafic créait d’énormes embouteillages. Le gouvernement a décidé de résoudre cette situation en construisant des lignes de téléphériques qui tisseraient un réseau intégré au-dessus des embouteillages. Trois lignes fonctionnent depuis 2014. Bientôt sept autres lignes seront en service. Ce qui fait de La Paz la seule ville au monde dotée d’un réseau de transport public basé sur des téléphériques.

Depuis les confortables cabines, la vue de l’agglomération est magnifique. Nous admirons le sommet du grandiose Nevado Illimani, le plus haut point de la Cordillera Real (et le second sommet de Bolivie), qui domine la ville à l’est de ses 6438 mètres, à une distance de seulement 35 kilomètres du centre-ville.

Après une correspondance rapide à la ligne verte, nous atteignons le bas de la ville. La Paz se distingue encore ici car, en raison de l’altitude et en contradiction avec toutes les autres villes du monde, les riches se concentrent au bas de la ville, laissant les hauteurs (et les vues) aux plus pauvres.

Notre chauffeur nous attend au terminus du téléphérique. Il va nous conduire dans la banlieue sud pour la visite de la soi-disant Vallée de la Lune, une zone argileuse et fragile qui recèle un agréable labyrinthe de gorges et de pitons érodés. Une belle visite, qui n’a pourtant rien à voir avec la lune.

Premières impressions

Au cours de cette première journée, nous sommes frappés par l’animation de La Paz. On voit partout des gens qui travaillent fort. Souvent des petits métiers de la rue: vendeurs, cuisinières, constructeurs, livreurs. On sent que la Bolivie est intensément au travail.

Une autre chose qui nous frappe. Une grande partie des femmes portent les vêtements traditionnels: les jupes amples superposées, la blouse, le chandail, le châle couvrant, le tablier de coton, les cheveux nattés et le chapeau melon (le bombín). Cela est vrai autant pour les jeunes que pour les vieilles, malgré que nous soyons dans une grande agglomération urbaine. La tradition se porte bien en Bolivie.

Il nous paraît aussi que le trafic urbain est composé en quasi-totalité des minibus qui assurent la liaison avec les divers quartiers. Cette évidence se double d’une bizarrerie: un grand nombre de ces minibus portent sur leur carrosserie des inscriptions en caractères japonais. L’explication qu’on nous donne est que l’immense majorité des véhicules vendus en Bolivie (et pas seulement les minibus) se compose de véhicules japonais usagés, importés et recyclés sur place. Le recyclage est très sérieux, et certainement synchronisé avec les constructeurs (surtout Toyota) puisque les volants de tous ces véhicules passent de la droite à la gauche. Voilà une filière très particulière où tout le monde y gagne !

Eduardo nous mène ensuite à la Plaza Murillo, le centre symbolique de la ville et du pays. C’est là que se trouve le marqueur du kilomètre zéro. Mais c’est surtout là que sont érigés les centres symboliques du pouvoir, la cathédrale, le palais du gouvernement et le Congrès National regroupant les chambres des députés et des sénateurs. La place est “noire de monde”, des passants, des jeunes, des vieux, des gens affairés, des badauds, divers manifestants. Il y aussi de vastes nuées de pigeons, peut-être les plus actifs, les plus agressifs qu’il m’ait été donné de croiser.

Eduardo attire notre attention sur une originalité, une bizarrerie en fait, au fronton de l’édifice du Congrès National. Depuis 2014, l’horloge de cette façade a été modifiée: les aiguilles tournent maintenant à l’envers du sens habituel et la suite des numéros a en conséquence été renversée. C’est une commande expresse de Evo Morales, le très original premier président autochtone du pays. La raison ? Marquer d’un symbole concret la créativité de son gouvernement, la spécificité des populations indigènes du pays et la particularité de l’hémisphère sud (où beaucoup de choses tournent à l’envers du sens conventionnel).


J02 – Jeudi 8 septembre

Du lac Titicaca à Copacabana et à l’Île du Soleil –  150 kilomètres  

Nous partons tôt ce matin pour un court séjour au lac Titicaca, prévu par l’agence pour nous acclimater à l’altitude. Nous prenons un bus touristique vers la ville de Copacabana, reconnue pour sa basilique et pour son accès au lac.

La Paz est installé dans le fond d’une grande cuvette creusée à l’est de l’altiplano par la rivière Choqueyapu. Tous ses accès se font par cet altiplano, la vaste plaine de haute altitude située entre les deux principales cordillères andines. Tous les chemins convergent, à un endroit appelé El Alto. Ce lieu, qui n’était qu’une bourgade de 40.000 habitants à mon précédent séjour en 1973, est devenu aujourd’hui une métropole qui dépasse le million de personnes. Cela en fait la métropole la plus haute du monde à 4150 mètres.

El Alto est une ville entièrement autochtone. C’est une ville plutôt désorganisée, le fruit du débordement de la croissance de La Paz, qui s’est imposé sans plan d’ensemble. El Alto connaît une croissance très rapide. Les infrastructures urbaines sont de toute évidence très déficientes. Le réseau routier est surchargé et la circulation particulièrement lente et difficile. Tous les édifices paraissent être en voie de construction; le rez-de-chaussée peut être occupé par un commerce, le premier étage par des appartements semi-finis, mais les autres étages demeurent le plus souvent à l’état de chantier, ou même de projets à peine esquissés. Tout au long des boulevards, on ne voit que des fournisseurs de matériaux et de diverses quincailleries. On sent la vitalité du développement, mais aussi une intense désorganisation.

Nous nous engageons sur la route de Copacabana, qui paraît être une bonne route nationale. Mais, nous déchantons rapidement car les services de voirie projettent maintenant de la transformer en autoroute et ils se sont donné le mot pour y ouvrir une multitude de chantiers successifs. Notre bus doit donc faire de multiples détours dans des quartiers à basse densité où les rues ne sont que des chemins primitifs incapables d’absorber cette circulation intense. Cela entraîne de longs délais. Nous constatons que la majorité des lots ne sont pas encore construits. En général, on n’y trouve qu’une esquisse de mur d’enceinte, souvent marqué d’un avis très menaçant, du genre: “Si vous entrez ici, je vous tue” ou “Si vous stationnez ici, j’incendie votre voiture”. Belle atmosphère !

Nous quittons éventuellement la ville. Dans la campagne, on peut sentir ce même désir de développement. De petits chantiers partout. Mais on constate aussi que, traditionnellement, cette campagne a toujours connu une grande densité d’activité, malgré l’altitude, le froid et la sécheresse des lieux. Les abords du lac Titicaca ont toujours été au centre de l’activité andine. En témoignent la présence du centre tout proche de la très ancienne civilisation de Tihuanaco, et de l’Île du Soleil. Et l’omniprésence de terrasses anciennes (mais aujourd’hui en grande partie délaissées) sur les collines.

Nous longeons bientôt le lac Titicaca (en fait la large baie de Huiñaymarca, qui est séparée du corps principal par le détroit de Tiquina). Malgré que cette baie ne représente qu’un sixième de la superficie totale du lac, malgré la très grande altitude et malgré l’étonnant panorama des nombreux glaciers de la Cordillera Real, on évoque facilement la mer.

Nous arrivons bientôt au détroit de Tiquina, le mince canal naturel qui sépare la péninsule de Copacabana du reste de la Bolivie. Même si cette ville est située sur une péninsule accessible par la route, il faudrait traverser une petite portion du territoire péruvien. Les relations transfrontalières étant toujours très compliquées en Amérique du Sud, les Boliviens préfèrent encore la traversée de ce détroit en bac.

Même si la distance entre les deux villages jumeaux de San Pablo et de San Pedro n’est que de 780 mètres entre les deux rives, il n’existe ni pont ni traversier. Seule une invraisemblable flotte de bacs primitifs, capables de prendre seulement 2 bus ou 4 voitures à la fois pour la courte traversée. Ces lourds bacs sont mus chacun par un simple moteur hors-bord, qui parvient tout juste à fournir à la tâche. Les embarcadères ne sont que d’élémentaires assemblages. Les bacs ne transportent même pas les passagers des bus, qui doivent transférer à une petite vedette, puis remonter à bord des bus sur l’autre rive. L’ensemble de cette activité de transbordage est bien typique et exotique, peut-être même un peu drôle, mais combien inefficace !

Nous traversons la péninsule, pour arriver en une dizaine de kilomètres à la ville de Copacabana, sur la partie principale du lac Titicaca. Cette petite ville joue le rôle d’étape entre Cusco et La Paz sur la route touristique classique; l’abondance des jeunes touristes en fait foi. Nous prenons le repas du midi à l’un des nombreux restaurants de la rue principale; ce sera un plat de truite du lac, comme il se doit.

Nous descendons vers l’invraisemblable collection de quais chambranlants qui tient lieu de port. Nous en profitons pour acheter les billets de la navette vers l’Île du Soleil et pour faire une promenade le long de la plage en attendant le départ de la navette. Même si les ressources touristiques du lieu sont bien simples, on sent qu’il s’agit d’un lieu très prisé, autant par les jeunes touristes étrangers, par les familles boliviennes que par les pèlerins de tout le continent.

Le lac Titicaca

Le lac Titicaca est un lac bien particulier. Il est le plus grand lac d’Amérique du sud en superficie (8562 km² ou 8 fois le Lac-St-Jean) et en volume (893 km³). Il est le 18ième au monde en superficie. Il est aussi le plus haut lac navigable au monde avec une altitude moyenne de 3812 mètres. Les rivières qui l’alimentent prennent leur source juste à l’est dans la Cordillera Real, cette magnifique chaîne de sommets enneigés. Le lac se caractérise aussi par le fait qu’il perd plus de 90% de ses eaux par évaporation, laissant moins de 10% de ses effluents vers le lac Poopó par le biais de la rivière Desaguadero.

Nous nous lançons sur le lac et effectuons la traversée en 90 minutes. La navette nous laisse au village de Yamani, au sud de l’île. À l’approche du débarcadère, nous ne pouvons qu’être saisis par la très grande densité des vestiges de terrasses anciennes qui couvrent entièrement les pentes bien marquées de l’île. On sent que cette Île du Soleil a été dans son passé un important centre d’activité agricole.

Eduardo nous présente cette île, en insistant sur le rôle important qu’elle a joué d’abord dans la civilisation de Tihuanaco puis dans l’empire inca. La légende raconte que c’est de cette île que Manco Cápac et Mama Ocllo, frère et sœur et mariés l’un à l’autre, les enfants du soleil et du lac, seraient partis pour fonder Cuzco et créer l’empire inca.

Isla del Sol

L’Île du Soleil est une île rocheuse et vallonnée, de 14 km², avec une altitude maximum de 260 mètres au-dessus du niveau du lac. Elle a été très densément occupée au cours de son histoire; de nombreuses terrasses agricoles en témoignent. Elle a été un lieu d’une grande valeur symbolique pour l’empire inca, comme l’indiquent les très nombreuses ruines. Aujourd’hui, elle n’héberge que 800 familles, dont les activités sont l’agriculture, la pêche et le tourisme. Il n’existe ni route ni véhicule motorisé sur l’île; le transport se fait avec les bateaux, les mules et la marche à pied.

Du débarcadère, nous grimpons vers le village situé dans les hauteurs, et nous nous installons à la Hosteria Las Islas, un endroit sympathique et confortable. Depuis la terrasse, où nous partageons une bière, nous avons une vue imprenable vers l’est sur les terrasses qui portent le nom des Jardins de l’Inca, sur une partie du lac mais surtout sur la Cordillera Real.

Cette cordillère, qui compte 500 sommets au-delà de 5000 mètres sur moins de 100 kilomètres (et 7 au-delà de 6000 mètres), offre un fond de scène parfait. Malgré que cette chaîne ne soit située qu’à 16 degrés au sud de l’Équateur, l’abondance de glaciers s’explique par le contact entre les masses d’air humide de l’Amazonie et d’air très sec de l’altiplano. La juxtaposition d’un grand lac qui se donne des allures de Méditerranée avec cette multitude de glaciers a vraiment de quoi surprendre !


J03 – Vendredi 9 septembre

De l’Île du Soleil à Copacabana et à La Paz – 150 kilomètres

Nous quittons notre auberge sitôt après le petit déjeuner. Nous grimpons jusqu’au sommet du village, et poursuivons notre chemin en direction du nord de l’île sur un très bon sentier de crête. La vue est magnifique: le lac dans son immensité, les innombrables terrasses, cultivées ou abandonnées, le grand nombre d’embarcations amarrées dans les anses les plus abritées. La végétation est assez limitée, à l’exception des bosquets d’eucalyptus cultivés par les villageois pour leurs besoins en bois. Nous continuons de cette manière pour une douzaine de kilomètres, jusqu’au village de Ch’allapampa, à l’extrémité nord de l’île. Le sentier, très bien entretenu, est une ancienne route inca.

À l’approche de notre but, nous prenons un raccourci un peu plus sportif, qui nous mène directement au village. Le temps nous est un peu compté pour attraper la navette qui retourne directement à Copacabana depuis le petit port. Nous arrivons un peu avant l’heure et passons quelque temps aux abords des quais de Ch’allapampa. Les villages de l’île ont une fière allure. Et je ne cesse d’être étonné de retrouver une atmosphère méditerranéenne à ce qui est pourtant un lac d’altitude. Le retour s’effectue en un peu moins de deux heures de navigation. Nous prenons le repas du midi au même restaurant que la veille, à nous délecter une nouvelle fois de la truite du Titicaca.

Puis nous traversons la ville en direction de la basilique, la Basílica de la Virgen de la Candelaria de Copacabana. Ce lieu de pèlerinage a des racines très anciennes. L’artiste Francisco Tito Yupanqui, petit-fils de l’inca Túpac Yupanqui, a sculpté autour de 1580 une vierge noire qui est devenu extrêmement populaire. Elle a suscité une fervente dévotion à la grandeur du Pérou et de la Bolivie actuels. Et on lui a attribué de nombreux miracles. Il a donc bientôt fallu construire une église capable de recevoir les nombreux pèlerins. Cette vierge est encore à ce jour la patronne vénérée de la Bolivie. Sa réputation déborde amplement les frontières; le quartier de Copacabana à Rio de Janeiro au Brésil (et la plage attenante) tiennent leur nom de cette dévotion.

Le sanctuaire en est venu à jouer un rôle bien particulier, celui du centre national de bénédiction des voitures. En effet, les Boliviens accordent une grande importance à la protection de la Vierge de Copacabana. Ils font le voyage, décorent abondamment le véhicule de végétaux, de banderoles, d’images saintes et attendent patiemment l’une des deux cérémonies quotidiennes de bénédiction sur la place devant la basilique. Le 4×4 qui nous a mené pendant les 10 journées de la tournée du Sud Lípez arborait fièrement à l’intérieur du pare-brise une grande banderole dorée signalant une telle bénédiction.

Alors que nous sommes arrivés à Copacabana en bus touristique, c’est avec le minibus privé de l’agence que nous retournons à La Paz. Nous retrouvons Julio comme chauffeur accompagné de son épouse, qui avait profité de ce petit voyage pour venir faire ses dévotions à la basilique.

Au retour dans la capitale, Eduardo nous fait descendre dans la rue dite du “marché des sorcières”. Même si c’est un lieu fréquenté par les touristes (qui en apprécient l’exotisme), c’est d’abord le marché où le petit peuple de La Paz se pourvoit d’objets rituels et magiques, ainsi qu’en médicaments naturels et philtres “surnaturels”. On y trouve une grande variété d’objets et d’ingrédients permettant de faire des offrandes aux dieux ou de jeter un sort contre les esprits. On y trouve des remèdes, des herbes, des amulettes, des poudres magiques, des crapauds séchés, des tortues pour la longévité. On y trouve même des fœtus de lama séchés, que les Aymaras enterrent sous la fondation des nouvelles maisons, afin de se garantir la bonne fortune et la protection de la Pachamama, la terre-mère toute-puissante.

La politique

Depuis sa création il y a 200 ans, la Bolivie a toujours été menée par des politiciens représentatifs de la classe “créole”, représentant avant tout la bourgeoisie européenne et métisse. La majorité indigène était à peine représentée en politique.

Mais depuis 2002, beaucoup a changé. Un certain Evo Morales, fils de modestes paysans aymaras de la région d’Oruro, devient planteur de coca dans la région amazonienne du Chapare. À ce titre, il s’engage politiquement dans un syndicat de cocaleros, et il mène une opposition à la classe politique traditionnelle, en particulier contre l’implication des États-Unis dans la politique nationale d’éradication de la culture de la coca.

Son élection en tant que député au Congrès en 1995 lui permet de continuer cet effort de prépondérance indigène au niveau national. En 2002, il faillit être élu président, avec seulement 2% de moins des votes que le gagnant. Puis, en 2006 il remporte la victoire dès le premier tour.

Il forme un gouvernement qui se fit le champion des droits des autochtones, de l’anti-impérialisme, et de l’environnementalisme. Il fixa un objectif de réduire la pauvreté et l’analphabétisme. Il a été reconnu internationalement pour son œuvre, mais il est aussi critiqué comme étant autoritaire et radical. Mais son administration a permis des actions importantes (comme la nationalisation du gaz) et elle a apporté une fierté à tout un peuple. Il a été réélu d’abord en 2009, puis à nouveau en 2014.

Le Wiphala
Le drapeau traditionnel

Un exemple très symbolique de l’affection mutuelle qui existe entre Evo Morales et le peuple bolivien, c’est l’existence d’un populaire programme de construction de terrains de fútbol en gazon synthétique dans chaque quartier et chaque gros village du pays, dans l’espoir d’inciter les Boliviens au sport et accessoirement de créer une équipe nationale de fútbol de qualité. Le programme porte le simple nom de “Bolivia cambia, Evo Cumple“, ou “La Bolivie change, Evo y voit“. Toute la simplicité d’un prénom, d’un lien personnel et d’une phrase limpide !

Pour signifier l’importance égale des 33 langues qui s’ajoutent à l’espagnol, Evo Morales a aussi fait renommer le pays comme étant l’Estado Plurinacional de Bolivia. Il a aussi ajouté au drapeau national tricolore traditionnel, un second drapeau très coloré (le wiphala), une adaptation de la bannière traditionnelle inca et soulignant l’apport des nations autochtones.


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