Mon "scrapbook", tout simplement

LLullaillaco – Introduction

Une ascension au LLullaillaco

En cette soirée de novembre, je me retrouve une fois de plus en route pour l’Argentine, plus précisément la douzième fois depuis 2003. Cette fois ci, je m’engage dans une randonnée en grande altitude, une excursion ambitieuse, presque une expédition. Pas seul, puisque je serai avec sept autres randonneurs, un guide et ses deux assistants.

Un vieux projet

Cette aventure est un vieux projet dans ma tête. D’un voyage argentin à l’autre, j’ai graduellement découvert un pays toujours très accueillant, malgré ses nombreux problèmes, un pays qui pouvait satisfaire ma curiosité de voyageur et mes rêves de randonneur. D’un voyage à l’autre j’ai discerné que mon attirance allait aux montagnes les plus sauvages et les plus extrêmes, avec une prédilection pour la Patagonie et le Noroeste, cette région andine limitrophe à la Bolivie, où la tradition autochtone et inca demeure bien vivante. Et parmi les nombreuses options qui m’étaient offertes, j’ai découvert petit à petit la beauté grandiose de la puna. À ce jour, je l’ai à peine approchée et la tentation n’en est que plus forte. Son accès est difficile, à cause de son isolement, et de l’absence de services. Mais, d’un voyage à l’autre, je m’en approche. Ce voyage au LLullaillaco devrait enfin me donner une vision substantielle de ce coin de pays.

C’est d’abord le tango qui m’a attiré en Argentine, en 2003. Je suis venu à Buenos Aires pour deux petites semaines, uniquement pour y danser le tango. À ce moment le peso venait de connaître une dévaluation remarquable, perdant d’un coup les deux tiers de sa valeur. À ce moment, rien dans le pays ne coûtait cher. Mais depuis ce temps l’inflation galopante de plus de 25% ou 30% annuellement a vite gommé cette différence.

Même si ce premier séjour était entièrement consacré au tango, j’ai vite constaté que l’Argentine était un immense pays et qu’il recelait d’énormes possibilités de nature et de randonnée. Des montagnes, un climat sec, de l’altitude, peu d’animaux dangereux, un contact sympathique avec les gens.

Je revenais six mois plus tard pour explorer les possibilités de la région de Bariloche et du parc national Nahuel Huapi. J’en suis revenu totalement ravi. Par la suite j’ai visité diverses régions du pays, presque toujours le long de la cordillère ou de la frontière chilienne

Puis, en 2007, j’ai osé aller dans le Noroeste, cette région centrée sur la ville de Salta. J’y ai découvert la beauté des déserts, le bleu intense des ciels, la gentillesse des gens, la vigueur des populations indigènes que ni la domination des Incas, ni l’invasion espagnole ni l’exploitation des Argentins n’ont réussi à soumettre.

De fois en fois, je me suis enhardi. J’ai osé m’éloigner du sentier touristique confortable pour découvrir des zones nouvelles, beaucoup plus à l’écart. Je me suis toujours senti en sécurité.

La puna

Parmi les régions qui m’attiraient le plus, il y avait la puna, cette zone étrange, presque martienne, dont j’avais tant entendu parler et dont j’avais adoré les photos. La puna (que l’on appelle aussi altiplano en Bolivie) est un vaste plateau, un élargissement de la chaîne des Andes, dont l’existence même est provoquée par la rencontre de la plaque continentale de Nazca qui s’enfonce en-dessous de la plaque sud-américaine. C’est une région particulière, un désert froid, dont le “plancher” est situé à 3500 ou 4000 mètres d’altitude, une des régions les plus sèches de la terre, une région où il ne coule presque pas d’eau et où s’accumulent d’immenses dépôts de sels. Le paysage est limité et dominé par deux grandes chaînes s’élevant à plus de 6500 mètres, une chaîne volcanique à l’ouest, une autre à l’est. Les “basses terres” prennent la forme de gigantesques salines qui couvrent des milliers de kilomètres carrés de leur enfer chimique.

En 2007, j’ai fait une première incursion dans la puna. Ce fut un simple aller-retour jusqu’à son rebord, une seule nuit à San Antonio de los Cobres. J’ai adoré cet univers difficile mais d’une si grande beauté. Mais je n’ai pu aller plus loin, et il a fallu revenir de manière précipitée. J’en ai été déçu. Depuis, je veux reprendre ce rendez-vous un peu raté.

Par contre, cette première reconnaissance m’a permis de saisir que, pour explorer cette magnifique région, je ne pouvais le faire tout seul; je devais pouvoir compter sur un véhicule tout-terrain et sur un guide pour répondre aux rigueurs et à l’isolement du lieu.

Pour le voyage suivant, en 2008, j’organisais avec un guide de Tucumán une grande tournée en tout-terrain de toute la puna, depuis Catamarca au sud jusqu’à la frontière bolivienne. Le projet ne coûtait pas trop cher; je pouvais donc me le permettre. Mais, j’avais affaire à un escroc qui a entièrement dépensé l’avance très substantielle versée, me demandait des sommes supplémentaires, et dont le véhicule en mauvais état n’aurait de toute façon pas pu rendre le service demandé. Le voyage n’a donc pas eu lieu. Ma requête continue de faire son chemin devant les tribunaux de Tucumán, sans grand réel espoir autre que d’embêter le charlatan.

Malgré cet épisode, mon intérêt a persisté, autant pour la région que pour les nombreux sommets qu’il recelait. Je me suis pris d’une curiosité particulière pour la ville-fantôme de La Casualidad et de sa mine de soufre, la Mina Julia. Une vraie petite ville d’altitude (à plus de 4000 mètres) forte de quelques milliers d’habitants, qui n’existait que pour soutenir l’extraction du soufre dans une mine située à plus de 5300 mètres , au sommet d’un pic, juste sur la frontière, à 25 kilomètres plus loin. Pourquoi  ? À cause de la folie d’une telle implantation. À cause du contraste absurde entre cet établissement humain maintenant abandonné et la grandiose beauté du paysage minéral de ce plateau tourmenté. Mais encore plus depuis que j’ai appris que le peintre salteño Francisco Ruiz, le père de mon amie Natalia, y a passé une partie de son enfance.

Les hauteurs

Lors du voyage suivant, en 2008, je fais avec mon ami Mario l’ascension d’une montagne de plus de 6000 mètres située dans la chaîne qui délimite la puna à l”est, le Nevado de Cachi. Une belle expérience qui nous permet d’atteindre, sans guide, sans porteurs, l’altitude de 5100 mètres, sans toutefois atteindre le sommet (http://jjffbb.com/?page_id=180). Nous rebroussons chemin, mais nous voulons y revenir, avec une groupe, un guide et des porteurs.

Cette même année, je découvre à Salta un musée inhabituel. Situé en pleine place centrale, juste de biais avec la cathédrale et le cabildo, en face du théâtre provincial, donc en plein centre, le Musée d’Archéologie de Haute Montagne (MAAM – http://www.maam.gob.ar/). Celui-ci n’existe que depuis la très récente (février 1999) découverte de momies (ou plutôt des corps congelés et desséchés) de trois enfants incas de sang noble qui ont été offerts au dieu-soleil il y a plus de 500 ans sur le sommet du LLullaillaco, un sommet de 6739 mètres qui démarque aujourd’hui la frontière chileno-argentine. Cette découverte fait de ce sommet le lieu de culte au sens large (ou peut-être le lieu symbolique) le plus élevé sur notre planète. Le musée nous fait comprendre l’extraordinaire particularité de ce lieu. Voilà qui ajoute à mon intérêt pour la puna, surtout que le LLullaillaco se trouve près de La Casualidad.

J’ai aussi pu établir contact avec le directeur du MAAM, señor Christian Vitry, qui a la particularité d’être à la fois un grimpeur chevronné et un archéologue d’altitude, auteur d’un guide sur le Nevado de Cachi et responsable de la recherche sur les sites incas du LLullaillaco. Il était donc un interlocuteur parfait. On peut voir ici les photos de sa dernière expédition au LLullaillaco (adresse Internet).

En octobre et novembre 2011, Mario et moi retournons au Nevado de Cachi avec un groupe cette fois ci (http://jjffbb.com/?page_id=1114). C’est au cours de cette ascension que je fais la connaissance de Nicolás Olaciregui, notre guide. J’ai pu apprécier ses qualités de guide et d’organisateur. Au cours de ce même voyage, j’ai pu retourner dans la puna, en compagnie de Mario, Monique et Louise. Nous sommes allés un peu plus profondément, ajoutant le viaduc de La Polvorilla et la route qui mène aux Salinas Grandes. Mais je demeurais encore sur mon appétit.

Sitôt revenu à Québec, j’apprends que Nicolás était allé au LLullaillaco juste après notre voyage au Nevado de Cachi. Vous pouvez trouver ses photographies ici (adresse Internet). Ceci m’incite à lui demander quelles seraient les conditions d’une expédition privée, mais cela s’avère trop cher.

Par bonheur, son agence annonce quelques mois plus tard un projet d’ascension du LLullaillaco pour novembre 2012. Je n’allais pas laisser passer cette occasion. Cette fois c’est la bonne ! Me voilà parti pour le LLullaillaco.

La montagne

La montagne, avec ses 6739 mètres d’altitude, est la septième montagne d’Amérique du sud. Seules l’Aconcagua (6962m), l’Ojos del Salado (6893m), le Pisis (6795m), le Mercedario (6770m), le Huascarán (6768m), le Bonete (6759m) et le Tres Cruces (6758m) dépassent sa hauteur. Il s’agit donc d’un montagne importante. Pourtant, puisque le “plancher” (ou la base) du grand plateau de la puna se trouve déjà autour de 4000 mètres, sa hauteur de proéminence ou de culminance n’est pas particulièrement importante. Aussi, comme la plupart des sommets de cette zone de rencontre des deux plaques continentales de Nazca et de l’Amérique du sud, le LLullaillaco est un volcan, inactif depuis les éruptions de 1854, 1868 et 1877, mais néanmoins le quatrième plus haut volcan de notre planète.

Quand on pense aux grandes altitudes, l’Himalaya vient tout de suite à l’esprit. C’est normal puisque c’est là que tous les très hauts sommets, les plus de 8000 mètres, se trouvent. Mais c’est sans compter la pléthore de grands sommets, au-delà des 6000 mètres, qu’on trouve regroupés dans la cordillère des Andes. C’est clairement la seconde région mondiale d’altitude, après l’Himalaya.

Les Andes en général et l’Argentine en particulier ont disposent d’un très grand nombre de sommets groupés à des altitudes très rapprochées. Par exemple, le plus haut sommet du Nevado de Cachi (6380m) que nous avons gravi en novembre dernier se trouve être de 18ième sommet de toute l’Argentine, même s’il n’est séparé que de moins de 500 mètres du plus haut sommet, l’Aconcagua (6962 mètres).

Avec ses 6739 mètres (“six mille et quelques mètres”, comme dirait Louise), le LLullaillaco dépasse quand même pas mal d’autres grands sommets bien connus, le Kilimandjaro (5895m), le Mont Blanc (4810m), le mont Ararat (5136m), le McKinley (6194m).

Mais, il ne faut pas non plus imaginer que cette grande altitude rend son accès très difficile. Il bénéficie de trois particularités caractéristiques de sa région, lesquelles facilitent les choses. D’abord, sa proximité du tropique du Cancer lui fait jouir d’un effet climatique semi-tropical et d’être moins touchée par l’alternance climatique été-hiver des climats tempérés. Ensuite, elle se trouve dans un des grands déserts d’altitude du monde, à la périphérie de la région de l’Atacama reconnue comme pratiquement oubliée par les précipitations. Enfin, les forces tectoniques ont poussé la plaque tectonique de Nazca sous la plaque continentale d’Amérique du sud en un paysage particulièrement étalé, caractérisé par des pentes très longues, et par un plateau déjà très élevé, qui fait office de “plancher”. Il n’y a donc pas de précipices rocheux infinis, ni une abondance d’arêtes, ni de grands glaciers, ni de quantités de neige, ni de saisons impossibles, comme pour la plupart des sommets à cette hauteur, ou comme on en trouve même dans les Andes à peine quelques centaines de kilomètres plus au sud. Le défi demeure sensé pour l’amateur que je suis.

Le nom de cette montagne vient probablement du quichua “yuyaq yaku” (“eau trompeuse”), rappelant la lagune marécageuse de son piémont oriental. La translittération espagnole du nom a la rare particularité de comporter trois doubles “L”. Voilà qui complique un peu la prononciation. En français, la plupart des gens les prononceraient comme de simples “L”, sous la forme “LuLaiLaco”. En espagnol, il y a deux prononciations différentes, reflétant les usages locaux des pays limitrophes. Au Chili, on prononce les “L” comme des “Y” sous la forme “YuYaiYaco”. En Argentine, on les prononce comme des “J” chuintés, sous la forme “JuJaiJaco”. C’est cette dernière prononciation que j’entendrai puisque je serai avec des guides argentins et nous ferons l’ascension depuis le territoire argentin.

Le groupe

Notre groupe est constitué de huit clients, une femme, sept hommes.

Trois sont des Brésiliens provenant de la ville de Campinas, dans l’état de São Paulo. Marco-Aurelio, 63 ans, professeur universitaire en chimie, à la retraite mais encore sollicité par ses collègues, grand amateur de voyages, de randonnées à pied et en véhicule tout-terrain. Tercia, 62 ans, sa femme, architecte. Fernando, dans la quarantaine, propriétaire avec son frère d’une petite entreprise, ami et compagnon d’entraînement des deux premiers.

Trois sont Argentins, de Buenos Aires. Aníbal, 69 ans. Fernando, dans la cinquantaine, océanologue dans le monde entier, et quand même amateur de montagnes. Omar, 49 ans, urbain endurci, venu tester son intérêt pour la montagne.

Enfin, il y a Álvaro, 54 ans, homme d’affaires espagnol, mais profondément basque, vivant au Paraguay.

S’ajoute l’équipe d’encadrement. Il y a d’abord Nicolás, 36 ans, notre guide et animateur du voyage. C’est lui qui, par le biais de l’entreprise dont il est copropriétaire (Adventure & Landscape), est responsable de l’épopée. Ensuite Augusto, peut-être 30 ans, étudiant, conducteur de la seconde camioneta. Enfin Armando, 22 ou 23 ans, vivant avec sa famille à 4200 mètres sur les flancs du Nevado de Chañi, dans le village de El Moreno.

Le voyage

Le LLullaillaco n’est pas à la porte !

Il faut d’abord prendre l’avion: 2 heures de vol pour Toronto, 11 heures pour Santiago, 2 heures pour Buenos Aires. Ce qui fait que, 24 heures après avoir laissé la maison, je me retrouve au centre de Buenos Aires. Mais je ne fais qu’y passer !

Depuis la grande gare routière de Retiro, il faut ajouter à peu près un autre 20 heures de transport dans un bus très confortable avant d’arriver à Salta. J’y retrouve les propriétaires de la sympathique auberge Las Rejas, les Castellanos.

Mais il y a encore plus de 500 kilomètres à faire avant d’arriver au LLullaillaco. Et ce ne sont pas des kilomètres faciles, sauf peut-être les 170 premiers kilomètres jusqu’à San Antonio de los Cobres. Après cela, toutes les routes sont de simples pistes, où un tout-terrain est essentiel: 210 kilomètres jusqu’au village de Tolar Grande, puis encore 150 kilomètres.

Suite…