Mon "scrapbook", tout simplement

Bolivie – 4

Cette randonnée se partage en 4 pages:  010203

Du 6 au 24 septembre 2016

Texte et photos de Jean-François Bouchard
Augmenté de photos de Mario Gagné


J13 – Lundi 19 septembre

Ascension du Volcan Tunupa
De Coquesa à Sabaya – 160 kilomètres

Nous nous levons très tôt. Encore une fois ! Il fait encore nuit. Aujourd’hui, nous faisons l’ascension du Volcán Tunupa (5432 mètres). Une autre belle montagne symétrique, que la mythologie locale associe au dieu du tonnerre et des éclairs. 

Román et Elvis nous conduisent en 4×4 les 3 kilomètres nécessaires pour atteindre le début du sentier, mais ils ne nous accompagnent pas pour l’ascension. C’est un jeune guide local nommé Dino, qui nous mène vers ce sommet. En fait, nous ne visons pas le vrai sommet, qui est très déchiqueté et particulièrement difficile d’accès; nous nous dirigeons seulement vers un point de la lèvre de la caldeira éventrée du volcan, à 4900 mètres.

Le sentier est clair, au milieu d’une végétation rase et de petits arbustes. Pendant les premières minutes, nous longeons des murets anciens délimitant des champs utilisés autant pour la culture que l’élevage. La densité de l’utilisation agricole de ce territoire pourtant désertique est remarquable. La végétation fait vite place à des lichens et des llaretas (Azorella compacta), sorte de minuscules plantes d’un vert éclatant qui colonisent les pierres en des coussins très denses.

La montée n’est pas particulièrement difficile. Et nous pouvons rapidement apercevoir à distance notre objectif final. Un peu avant d’atteindre celui-ci, nous croisons un jeune couple de Joliette rencontré la veille à l’hostal; ils paraissent bien heureux de leur randonnée. Un petit chien du village, qui s’est donné le rôle de guide, les accompagne.

Depuis le rebord de la caldeira, la vue sur les flancs du volcan est extraordinaire. Le mélange de couleurs, le jaune vif du soufre, l’ocre et le brun de la roche volcanique, de même que les longues traînées blanchâtres de sels, c’est un régal pour les yeux.

Nous revenons d’un bon pas vers Coquesa. À plusieurs reprises durant la descente, nous nous laissons tromper par une illusion d’optique très forte. Comme le salar, qui devrait être notre horizon, est d’une blancheur éclatante perdue dans une brume elle-même blanche, nous devenons un moment convaincus que le coteau que nous descendons est l’horizon, malgré sa pente de 15 degrés. C’est au bout de quelques secondes de confusion que la méprise devient évidente.

Après le repas du midi, nous reprenons la route. Nous longeons le Salar de Uyuni vers le nord, jusqu’au gros village de Salinas de Garci Mendoza, où nous pouvons enfin faire le plein d’essence. Il faut dire que, dans toute la région du Sud-Lípez que nous venons de traverser depuis Tupiza, il n’existe aucune station-service. D’abord parce que la population est très clairsemée. Mais surtout parce que le gouvernement interdit l’établissement de telles stations-service dans toutes les régions frontalières avec le Chili. Il craint qu’une contrebande d’exportation de carburants ne s’établisse pour profiter du fait que les carburants coûtent deux fois moins cher en Bolivie qu’au Chili.

Nous passons un petit col d’à peine 300 mètres. Nous rencontrons deux jeunes cyclistes japonaises qui travaillent fort à franchir ce col; la première est toute souriante et engage la conversation; sa compagne grogne car elle peine à garder debout le vélo qu’elle pousse dans la montée. Nous nous retrouvons sur le versant du Salar de Coipasa, le “petit frère” du Salar de Uyuni, issu de la même mer ancienne. Il a une superficie de 2200 km² et occupe la cinquième superficie au monde.

Nous longeons ce salar sur des terres assez peu densément peuplées. Puis nous nous engageons sur le salar lui-même. Cette étape d’une quarantaine de kilomètres s’effectue sur une surface de sel un petit peu humide. C’est moins impressionnant que le Salar de Uyuni, d’autant que nous roulons en direction d’un sommet qui dépasse de 1100 mètres la surface salée et réduit ainsi l’impression de distance.

Nous traversons le village de Coipasa, nous continuons vers notre destination pour cette journée, la petite ville de Sabaya, située sur la bonne route asphaltée internationale entre Oruro et Iquique.

À Sabaya, nous logeons à l’étage d’une sorte de petit motel, combiné à une échoppe, un petit magasin général. On nous attribue à chacun une chambre personnelle avec salle de bain privée. Nous voilà dans le luxe ! Depuis le balcon, je peux voir dans la cour voisine. Une dame qui fait boucherie. Elle détaille méticuleusement la viande d’un lama fraîchement abattu … sous l’œil désintéressé de deux autres lamas, bien vivants eux ! Puis, elle laisse toute cette bonne viande dans une grande bassine émaillée, à portée de deux grands chiens, …. qui n’y prêtent pas plus attention !

Comme un autre groupe de voyageurs occupe déjà la salle commune, on nous fait prendre les repas bien confortablement dans le fond de l’échoppe. Son tenancier, un homme sympathique et très simple, est tout à fait honoré de notre présence.


J14 – Mardi 20 septembre

De Sabaya à Sajama – 160 kilomètres

Ce matin, c’est presque la grasse matinée. Nous nous levons un peu plus tard. Comme Román et Elvis prennent un peu plus de temps que d’habitude à entretenir et soigner le 4×4 et à charger les bagages, je profite de l’occasion pour explorer les environs.

Tout juste à côté, un gros camion est arrêté et les nombreux gros sacs de victuailles en vrac qu’il contenait sont étalés sur la chaussée. Il y a de tout dans ces poches de 50 ou 100 kilos: des pâtes sèches, des grains, des légumineuses, des farines, des graines, de la quinoa, des patates. Mon regard est attiré par les formes sombres de chuños, ces petites pommes de terre de l’altiplano, traditionnellement séchées en alternant le grand froid de la nuit et le soleil intense de l’altitude. Comme je veux en rapporter à Québec, je m’en procure un petit sac. La vendeuse est surprise qu’un étranger s’intéresse à ces humbles légumes. Mais je lui dis que ces chuños feront des merveilles dans les soupes !
Je découvre la jolie église du village, de construction traditionnelle en adobe. Ce qui surprend, c’est son clocher qui est de construction très massive, comme si ses concepteurs avaient voulu lui donner une solidité à l’épreuve de tout, depuis les attaques d’ennemis jusqu’aux tremblements de terre.

Notre itinéraire de ce jour nous mène jusqu’au village de Sajama, au pied même de la plus haute montagne de toute la Bolivie, qui porte le même nom. Pour nous y rendre, nous traversons une suite de larges plateaux très secs et assez peu peuplés. La région a même certaines allures de Far West de cinéma, avec des villages peu animés, assez distancés les uns des autres.

Ce qui nous étonne le plus dans plusieurs des villages que nous traversons, c’est la présence de chaînes cadenassées barrant les routes publiques. À chaque fois que nous butons sur l’une d’elles, nous faisons une courte pause, et quelqu’un, un enfant, une femme, apparaît sitôt et la chaîne nous est promptement ouverte. On se demande bien à quoi ça rime. Román nous soumet en tant qu’explication que les villageois de cette région frontalière font tous de la contrebande, du carburant vers le Chili, des biens de consommation dans l’autre sens et bien sûr de la drogue aussi. Ces simples obstacles villageois permettent de détecter le passage des véhicules des forces de l’ordre, des douaniers, des militaires. C’est un peu la garantie d’une paix fonctionnelle pour ces villages de contrebandiers.

Les vallées sont larges, et pour l’essentiel très planes. Les chemins sont eux aussi très rectilignes. Ce qui ne manque pas de nous intriguer. Puis, vers midi, nous arrivons auprès d’un jolie petite rivière, et nous décidons de faire du pré qui la borde le lieu de notre pique-nique. La présence d’une telle quantité d’eau est une rareté dans ces lieux. L’herbe est drue et un vaste troupeau d’alpacas et de lamas broute tout autour de nous.

Depuis le milieu de la matinée, nous avons devant nous une vue magnifique sur les montagnes qui sont le but de notre parcours: le Nevado Sajama vers la droite et la paire des volcans jumeaux Parinacota et Pomerape à gauche.

Nous croisons éventuellement une grande route asphaltée (reliant La Paz et le port chilien d’Arica). Nous faisons le plein à une station-service, tout juste à côté du postes de douane de Tambo Quemado. Il y a beaucoup de camions. C’est un peu normal puisque Arica est le port de mer qui dessert toute la Bolivie, laquelle ne possède aucun autre accès maritime.

Nous roulons quelques kilomètres sur la route nationale puis nous bifurquons vers le nord sur un mauvais chemin qui nous mène en une douzaine de kilomètres au petit village de Sajama, situé juste au pied de l’imposante et majestueuse montagne qu’est le Nevado Sajama. Nous sommes en plein centre du parc national du Sajama, créé en 1939, ce qui en fait le plus ancien du pays. Il est bien connu pour ses sommets, sa réserve de vigognes et la présence de la forêt la plus en altitude au monde.

Pourtant, à en juger par l’état de la route d’accès et par la rareté (et la piètre qualité) des services d’hébergement et de restauration au village, le parc ne doit pas connaître un si grand achalandage.

Nous logerons ici pour les trois prochaines nuits, dans une petite auberge qui est en fait l’extension de la maison de Mario, celui qui sera notre guide pour l’ascension du Parinacota.

Nous logeons dans de sympathiques maisonnettes construites par Mario lui-même en briques d’adobe, selon le modèle traditionnel régional. Même les lits sont construits en adobe. Les toits sont la continuation des murs dans la mesure où chaque maisonnette est une voûte complexe, de forme ogivale; la voûte est recouverte d’une épaisse couche de chaume. L’endroit est engageant, les propriétaires aussi.

En faisant le tour de l’auberge, je fais une découverte assez surprenante dans la cour le long du mur de la cuisine: la tête d’un lama fraîchement abattu, déposée dans l’évier. Elvis la saisit et fait des bouffonneries. Nous nous installons ensuite. Puis nous sortons explorer le village, rien de remarquable: des maisons bien humbles, dont certaines qui se donnent des allures d’auberges, quelques petits magasins, un monumental centre d’interprétation du parc, que nous ne verrons jamais ouvert pendant notre séjour, et que nous ne pourrons donc pas visiter, une église très simple. Nous n’avons pas l’impression que le parc assure la richesse du village.

Nous poursuivons notre exploration en direction de l’école et du court (couvert) de basket, où un tournoi de fútbol se déroule. De cet endroit, nous admirons les montagnes qui nous entourent: vingt kilomètres à l’ouest, les pics jumeaux du Parinacota et du Pomerape, dix kilomètres à l’est, la masse menaçante du Nevado Sajama. Toujours à l’est, beaucoup plus près, à 1 ou 2 kilomètres seulement, nous pouvons apercevoir des sentiers qui gravissent les contreforts du Nevado Sajama. Mais ces sentiers sont surprenants: ils grimpent directement en ligne droite, depuis le plateau jusqu’aux hauteurs, sans aucun égard à la pente. J’ai interrogé Román à ce sujet, mais il n’avait aucune explication à offrir. Cette observation m’a donc amené à faire une petite recherche à mon retour.  

Les lignes de Sajama

Toute la région du plateau de Sajama est traversée par de mystérieuses lignes, apparues au cours des millénaires. Ces lignes ont été gravées sur le sol de la plus simple manière, en dénudant le sol sur une largeur de 1 à 3 mètres. Les cailloux oxydés au fil du temps sont donc écartés et ils laissent apparaître la couleur naturelle du sol, qui est plus pâle. Toutes les lignes sont parfaitement droites, et elles sont bien visibles du haut des airs. Elles sont organisées en un réseau de “toile d’araignée” radiant autour de certains points. Les scientifiques n’ont toutefois pas encore trouvé de sens à ce modèle d’organisation. On se limite à leur assigner le rôle d’itinéraires de pèlerinage anciens. Leur extension dépasse toutefois de loin celle des fameuses lignes de Nazca sur la côte péruvienne (on parle même de milliers de kilomètres), mais elles ne sont pas aussi reconnues puisqu’elles ne décrivent aucun motif symbolique reconnaissable.


J15 – Mercredi 21 septembre

Sajama

Le 21 septembre est une journée bien importante en Bolivie, car c’est la combinaison de trois célébrations. C’est bien sûr le début du printemps. Mais c’est aussi le jour de l’amour et le jour des écoliers.

Nous quittons l’auberge pour une randonnée de mise en forme, en direction du nord-ouest. Nous faisons un premier arrêt dans une zone thermale, un vaste champ de petites sources chaudes et de geysers. Le sol émet des colonnes de vapeur impressionnantes, on y retrouve des marmites bouillonnantes, avec des bulles soufrées, des cours d’eau chaude qui apparaissent et disparaissent tout aussi facilement.

Nous continuons à remonter cette petite vallée, et nous nous engageons sur un sentier bien défini, couramment utilisé par les villageois pour atteindre des pâturages d’altitude et visiter les voisins chiliens.

Au cours de cette randonnée, presque jusqu’au col frontalier à 4900 mètres, nous traversons une “forêt” très dispersée dominée par une espèce d’arbre (la queñoa, ou Polylepis tarapacana) qui parvient à s’établir à cette grande altitude. En fait, dans les limites du parc de Sajama, il atteint même 5200 mètres, ce qui lui fait atteindre ici le record mondial d’altitude pour la croissance d’un arbre.

Le sentier atteint bientôt un col où se trouve l’une des rares bornes (la borne XVI) démarquant la frontière boliviano-chilienne. Nous n’hésitons pas à traverser cette dernière.

Tout juste de l’autre côté, un peu plus bas, la Laguna Khasiri (4840 mètres) nous attire. Malgré la fine bordure de glace le long des rives, de nombreux canards profitent de cette étendue d’eau calme. Ce serait facile de continuer du côté du Chili puisqu’un chemin simple mais carrossable s’y dirige.

Nous continuons un peu plus loin et un peu plus haut, du côté bolivien vers la plus petite Laguna Sorapata (4930 mètres). Nous aurions pu continuer vers d’autres lagunas situées en enfilade un peu plus haut. Mais, comme il faut être de retour au village pour le repas du midi, c’est à cet endroit que nous rebroussons chemin. Au retour, en passant près de la borne-frontière, nous croisons un groupe de randonneurs qui reviennent eux aussi vers Sajama.

En après-midi, nous partons tous les quatre aux eaux thermales à quelques kilomètres au nord du village. Il y a là une grande foule d’enfants et de jeunes de tous les âges, avec un certain nombre de parents. L’animation est à son maximum. Pourtant nous ne comprenons pas la raison de cette excitation puisque nous ignorons ce qui se prépare. La piscine thermale est inoccupée et nous en profitons tout de suite. Mais dès que nous sommes immergés, nous constatons que le grand attroupement visait à célébrer le jour des écoliers. Nous avons devant nous le jugement final d’un concours de déguisements lancé pour les jeunes. Les concurrents devaient se déguiser en voyageurs, en touristes, dans des groupes distincts selon les niveaux scolaires et le sexe. Nous avons donc vu des jeunes montrant leurs déguisements excentriques, défilant et déclamant un petit discours. C’était sympathique de voir une grande variété de manières, depuis les timides tout-petits jusqu’aux adolescents désabusée et imbus d’eux-mêmes.


J16 – Jeudi 22 septembre

Ascension du Parinacota
Nuit à Sajama

Cette journée est le grand jour, celui de l’ascension du Parinacota, le motif même de notre voyage. Comme notre guide porte le même prénom que mon ami Mario, je référerai à notre guide sans mentionner son prénom; je l’appellerai simplement “notre guide”.

Comme il est courant pour toutes les ascensions importantes, nous préférons partir très tôt afin de pouvoir compter sur une pleine journée de lumière. Nous nous levons donc à 2 heures, prenons un déjeuner copieux et quittons l’auberge peu après 3 heures. Il fait très froid, certainement sous le point de congélation. Nous effectuons l’approche avec le 4×4, qui nous mène jusqu’au camp de base, situé au col qui sépare le Parinacota (6342 mètres) du Pomerape (6282 mètres).

La piste est simple, mais correcte. Nous prenons d’abord le chemin qui nous menait la veille au champ de geysers. Mais nous en divergeons bientôt, à l’approche d’une ferme. À ce moment, nous avons droit à un spectacle tout à fait irréel. Notre chemin traverse un vaste espace dénudé devant cette ferme, qu’occupe un troupeau de plusieurs dizaines de lamas. Les bêtes, réparties régulièrement dans cet espace, sont assoupies. Notre arrivée les réveille. Ils se soulèvent lourdement les uns après les autres et s’écartent doucement à notre passage. Le lent mouvement devant nous de ces masses laineuses de couleur claire dans la nuit profonde, voilà tout un tableau !

Nous arrivons près du camp de base un peu après 4 heures. Mais sur le chemin, qui paraissait plus étroit dans les ombres de la nuit qu’il n’était en réalité, nous croisons un autre 4×4 qui vient de laisser un autre groupe de randonneurs. Román hésite à effectuer ce croisement dans l’obscurité. Mais comme nous ne sommes qu’à quelques centaines de mètres de notre objectif du camp de base, notre guide choisit de terminer l’approche à pied. Nous sommes déjà à 5100 mètres d’altitude.

La lune est bien visible, presque pleine. Nous nous formons en colonne et amorçons l’ascension. Notre guide ouvre la marche. Mario et moi venons ensuite. Elvis ferme la marche. Román reste avec le 4×4, qu’il rendra un peu plus tard au camp de base, avant d’amorcer la montée tout seul, assez loin derrière.

Nous marchons dans le paysage fort agréable d’un large col dominé par ces deux grands sommets du Parinacota et du Pomerape, sur une surface confortable de sable et de gravillon que la lune éclaire doucement. Le col est marqué de distance en distance de gros blocs de pierre, comme une flottille de navires sur une mer calme. Même si nous étions tous munis de lampes frontales au départ, nous les éteignons rapidement, puisque la clarté de la lune sur la pâleur du sol est bien suffisante.

Nous amorçons bientôt l’ascension proprement dite, autour de 5200 mètres. La pente augmente à 35-45 degrés puisque nous sommes dorénavant sur le cône volcanique lui-même. Le sol se compose maintenant de roches volcaniques foncées, aux formes rudes, aigües, acérées. Heureusement que les bottes de montagne protègent bien nos pieds.

Nous suivons une trace assez bien visible, qui se trouve probablement en plein sur la ligne frontière. Car il faut noter que la frontière entre le Chili et la Bolivie passe par les sommets des deux volcans jumeaux. Mais comme la frontière n’est pas démarquée, impossible de savoir dans quel pays nous marchons ! En passant, cette drôle de frontière se permet même une fantaisie au sommet du Parinacota, puisque la totalité du cratère effondré (un cercle parfait de 600 mètres de diamètre) se trouve en territoire bolivien, ce qui fait que la frontière en suit le contour ouest plutôt que de piquer à travers.

Depuis l’amorce de la montée sur le cône, la lumière du jour commence à apparaître. Très doucement d’abord. Puis plus rapidement. La journée sera belle: du soleil en quantité, un froid vif mais normal pour la saison et surtout une absence de vent.

À l’est, la masse du Nevado Sajama, avec le contraste de ses falaises de roche noire et de ses glaciers tout blancs, occulte partiellement la montée du soleil au-dessus de l’horizon. La vue de ce colosse à l’allure sauvage, éclairé derrière par le soleil levant est magnifique.

Au nord, c’est la vue du sommet jumeau du Pomerape qui accompagne notre ascension. Comme la distance entre ces deux sommets est inférieure à 4 kilomètres et leur différence d’altitude de moins de 80 mètres, nous avons donc cet impressionnant voisin qui occupe tout un pan de notre vue.

À mesure que nous avançons, l’impact de l’altitude se fait de plus en plus sentir. La respiration devient plus difficile. Un petit mal de tête s’installe. Nos pas semblent plus lourds, nos pauses de plus en plus fréquentes et nécessaires. Notre attention devient moins bonne également.

Mario se sent particulièrement mal. Sa progression ralentit de plus en plus. Il fait des pauses de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. Alors que ses incursions précédentes en haute altitude (au Népal) ne lui avaient jamais causé aucun inconfort, voilà que les esprits du Parinacota se liguent contre lui.

Mario fait plusieurs efforts pour se ressaisir, mieux se concentrer, afin de faciliter son avancée, sa montée. Mais rien n’y fait. Le guide et moi envisageons avec lui des alternatives, qui ne sont pas satisfaisantes. Il doit finalement se résoudre à interrompre son ascension, autour de 5800 mètres.  

Elvis descendra lentement avec lui jusqu’à ce que les deux rencontrent Román en train de monter. À ce moment, Román fera demi-tour et mènera Mario vers le 4×4 garé à côté du refuge. Mario aura passablement de difficulté à vaincre son mal de tête et son déséquilibre, surtout que la descente du sentier est plus ardue que ne l’a été la montée. Il arrivera toutefois au 4×4 et en profitera pour se reposer.

Sur la montagne, le temps continue d’être radieux et ensoleillé. Rien à craindre de ce côté. Mais je commence à sentir les effets de l’altitude. Une bonne raison pour que notre guide et moi effectuions une pause: nous sommes alors autour de 6000 mètres. Nous pouvons éventuellement apercevoir Elvis beaucoup plus bas, qui remonte vers nous à bonne allure et nous rejoint bientôt. Il se plaint lui aussi de petits malaises. Ce n’est pas étonnant lorsqu’on considère l’effort important qu’il vient de déployer !

Autour de l’altitude de 6150 mètres, devant les malaises qui prennent plus de place, je prends moi aussi la décision d’interrompre l’ascension, et de revenir au camp de base. La perspective de continuer la forte montée sur les 200 mètres qui restent ne me sourit pas.

Notre guide comprend bien. Mais, il croit que la descente par le sentier que nous venons d’emprunter à la montée n’est pas la meilleure solution. Pour lui, il serait préférable de contourner par le haut le grand champ de neige durcie situé juste à notre gauche, pour pouvoir descendre plus rapidement et directement dans un vaste éboulis qui se trouve de l’autre côté. Il m’assure que cet éboulis (que je crains un peu) nous procurera une descente beaucoup plus facile et confortable. En fait, ce champ de neige est un champ de penitentes, des formations qui n’apparaissent qu’à des altitudes élevées et prennent la forme de minces lames de neige ou de glace durcie, orientées dans la direction générale du soleil.

Elvis a retrouvé sa forme. Il nous informe qu’il ne peut laisser passer sa chance d’atteindre le sommet, puisqu’il s’en sent maintenant capable. Il nous laisse, pour terminer l’ascension. Il y parviendra et nous rattrapera aux derniers moments de notre descente.

Après une courte pause, je prends mon courage et nous contournons le haut de ce champ de penitentes. Tout juste de l’autre côté, en moins de 200 ou 300 mètres, nous arrivons à la limite d’un magnifique éboulis. Il est large de 150 mètres, et il déboule 1000 mètres d’une seule traite, en une pente régulière de peut-être 40°, recouverte d’une épaisse couche de petits cailloux de 1 à 3 centimètres, dans laquelle nous enfonçons d’une quinzaine de centimètres. Ça me terrifie un peu, tant la pente est longue et abrupte. Et 1 kilomètre de dénivelé, c’est 2 fois le dénivelé du Mont Sainte-Anne ! Mais notre guide nous assure que ce sera facile et agréable.

Je fais quelques pas avec beaucoup de précautions. J’ai peur de tomber devant moi, …. et de rouler 1 kilomètre plus bas ! J’ai peur de déclencher une avalanche de cailloux, … qui m’emporterait certainement aussi. Mais, comme le disait notre guide, le pied s’enfonce doucement, les cailloux se déplacent tout juste un peu et la sensation est plutôt agréable. Nous nous lançons donc dans cette descente inusitée, en prenant une position souple, axée sur les talons, avec les genoux bien flexibles et les bâtons de marche bien éloignés du corps pour assurer l’équilibre.

Une fois le départ donné et l’assurance apparue, je peux admirer le paysage merveilleux, avec la face du Pomerape qui occupe tout l’horizon devant. Le fond du col est tellement loin que les détails (le refuge, le 4×4, les gros rochers, la piste) apparaissent à peine. Et les perspectives sont complètement faussées.

C’est vrai que la descente s’effectue facilement. Je peux même conserver mon attention à m’enthousiasmer pour le panorama, sans trop me préoccuper des détails de l’éboulis. Mais la fatigue musculaire apparaît très vite, aux cuisses surtout. Pour la cinquantaine de minutes de cette glissade contrôlée, je signale à notre guide la nécessité de faire 3 ou 4 pauses, le temps de déstresser les muscles.

Román et Mario nous avaient aperçus (comme deux minuscules points qui se déplaçaient sur la tache claire de l’éboulis) dès le début de notre descente. Ils avaient déplacé le 4×4 un petit kilomètre sur la piste, près du bas de l’éboulis, où ils nous attendaient pour casser la croûte.

Nous les retrouvons après cette incroyable descente, au moment même où Elvis, qui avait réussi de son côté à atteindre la lèvre du cratère, nous rattrapait. Tout le monde était bien heureux. Il n’était même pas 13 heures.
Sur le chemin du retour, alors que nous n’étions plus qu’à quelques minutes du village, notre guide aperçoit quelque chose à peu de distance de la piste. Nous arrêtons, pour découvrir le cadavre d’un de ses lamas, attaqué par un puma. Ces prédateurs sont des chasseurs bien pointilleux, qui se contentent d’une seule croquée de leurs victimes, au torse, jamais plus, jamais ailleurs. Puis, un peu plus loin, nous trouvons un second lama, tué de la même manière.  

Mario et moi sommes un peu déçus de n’avoir pas atteint le sommet, admiré le cratère et ajouté un nouveau record personnel d’altitude. Mais nous sommes en même temps rassurés d’avoir bien réagi aux symptômes du mal de l’altitude. Sécurité avant tout.  


J17 – Vendredi 23 septembre

De Sajama à La Paz – 290 kilomètres

Cette journée est la dernière de notre périple sur l’altiplano. Nous retournons à La Paz, pour notre dernière demi-nuit en Bolivie. Nous quittons le village de Sajama par le chemin qui contourne le Nevado Sajama par le nord. Cette formidable montagne est, avec son altitude de 6452 mètres, le plus haut sommet de Bolivie (mais seulement le 13ième des Andes).

En empruntant ce chemin du nord, nous faisons plus de la moitié du tour de ce volcan éteint, qui s’inscrit dans un cercle compact de seulement 8 kilomètres de rayon. Ce circuit nous permet d’abord d’identifier une large arête pentue du versant nord qui semble permettre l’accès au sommet, mais surtout de comprendre que c’est une une montagne bien compliquée, avec des pentes fortes, des glaciers traversés de crevasses, des éboulis instables.
À quelques kilomètres du village de Sajama, Román nous arrête sur le bord de la Laguna Huayna Khota, un lac de fond de vallée fraîchement disparu, et maintenant entièrement sec, vidé de ses truites; il faisait pourtant 70 hectares il y a quelques années et 5 hectares l’année dernière. Le mystère le plus complet entoure cette disparition.
Nous continuons le tour du Nevado Sajama et rejoignons la grande route d’Arica, que nous prenons en direction de Patacamaya et de La Paz. Dès que nous abordons la surface asphaltée, Román effectue un arrêt et sort le petit compresseur, afin d’augmenter la pression des pneus. Depuis 10 jours, une pression plus basse nous avait aidés à mieux naviguer dans le gravier mou et le sable des pistes du Sud Lípez et de l’altiplano. Mais nous allons terminer le voyage sur de bonnes routes modernes, même une autoroute.

Au bout d’une petite heure, nous effectuons une pause près d’un site où sont concentrés un bon groupe de chullpas, ces tombes anciennes typiques de la région. Nous prenons le temps d’observer ces monuments de 4 ou 5 mètres de hauteur, qui prennent l’allure de maisons construites d’adobe (ou de pierre), avec une porte ouverte à l’ouest.

Nous atteignons la ville de Patacamaya, où nous faisons le plein, puis nous nous engageons sur l’autoroute de La Paz. Nous arrêtons pour un dernier pique-nique le long de l’autoroute. Nous sommes assez proche de la maison d’un agriculteur, qui ne manque pas de venir vérifier auprès de nous “si nous ne pourrions pas être des voleurs ou d’autres malfaiteurs”.

Nous reprenons le chemin. Puis Román et Elvis nous laissent à l’hôtel, avant d’entreprendre leur long retour de 600 kilomètres vers Uyuni, leur ville, avec peut-être un coucher à Oruro.


J18 – Samedi 24 septembre

Retour à Québec

Nous prenons ce matin le même vol d’American Airlines qui nous a amené depuis Miami. Comme le décollage est très hâtif, autour de 6 heures, il faut donc être à l’aéroport dès 3 heures. Nous nous levons ainsi à 2 heures. Encore une nuit écourtée !


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